Étiquette : Serge Gainsbourg

  • De Gainsbourg à Gainsbarre : seul l’amour est un art

     

     

    Serge Gainsbourg est un monde à lui tout seul, un concept. Une immensité aussi grande que contrastée. C’est un océan puissant, profond et tour à tour sombre, étincelant, élégiaque ou vociférant, en fonction des flux et reflux du temps. Et la lune, maîtresse argentée, l’a souvent brinquebalé, en yo-yo schizophrénique.

     

    Capable de composer des chansons aux mélodies sublimes et aux textes ciselés comme de sorties publiques plus problématiques, Serge Gainsbourg était ce Docteur Jekyll et Mister Hyde soumis à l’astrologie et aux femmes, esclave de son signe zodiacal et de son thème astral. Ses frasques et ses attitudes sont aussi célèbres que ses chansons. Gainsbourg était bélier ascendant poisson, l’eau et le feu. Il a véhiculé, tout au long de ces trente années passées sous les feux de la célébrité, autant de paradoxes, d’excès et de fulgurances, dans le seul but de se construire un personnage de légende ; plus qu’une carrière, une épopée.

     

    « Je t’aime et je crains de m’égarer et je sème des grains de pavot sur le pavé de l’anamour. »

     

    Peintre et romancier avorté, nourri de poésie et de littérature du 19ème siècle, Gainsbourg voue un culte et une obsession à Rimbaud, Musset, Baudelaire, Edgar Alan Poe, et chez les écrivains, à Oscar WildeLe Portrait de Dorian Gray ») ou Benjamin ConstantAdolphe ») ; mais surtout à sa bible absolue, la matrice de toute son œuvre et de ses pulsions, « A Rebours » de Joris-Karl Huysmans. Et c’est ainsi qu’il deviendra ce dandy flamboyant, cynique et passablement méchant, qui jette sur le monde un regard désinvolte.

     

    « Ce mortel ennui qui me vient quand je suis avec toi… »

     

    Vous ne lui trouverez pas d’équivalent créatif et artistique dans le reste du paysage musical et lexical. Sans le savoir, Gainsbourg a su remixer avant l’heure Brahms, Chopin, Beethoven, Schumann, Khatchaturian, Sibelius, Dvořák, pour reprendre ces mélodies appartenant à l’inconscient collectif et leur apporter sa prose et ses humeurs.

    Ce fils de parents juifs russes ayant fui le communisme n’aura jamais autant rendu leurs lettres de noblesse à la langue française comme à ces illustres compositeurs. Et ce qu’il aura raté ou perdu dans la peinture, il le retrouvera dans la musique et la chanson, qu’il appelait pourtant un art mineur.

    Plus encore que ses quelques percées dans la réalisation pour le cinéma ou la publicité, il composera également des musiques de films (« La Horse », « Ce Sacré Grand-Père », « Je T’aime Moi Non Plus », « Mister Freedom », « Slogan », « Cannabis », « Manon 70 »…), en leur apportant une plus-value indéniable, tant en termes de qualité que d’émotion, qui transcenderont les longs-métrages eux-mêmes. Des mélodies, des sonorités à la modernité évidente, qui se dissocient instantanément des images et dont on se souvient encore aujourd’hui, contrairement aux films qu’elles habillèrent…

    De la fin des années 50 jusqu’au début des années 90, le petit Lucien Ginsburg, qui deviendra tour à tour Serge Gainsbourg puis Gainsbarre, en une lente et sinueuse métamorphose, nous aura gratifié d’une œuvre himalayesque. Ce petit garçon juif arborant fièrement son étoile jaune comme on porte une étoile de shérif, sans doute déjà enclin à l’anti-conformisme et avec sa vision du monde toute personnelle, cet enfant malingre aux oreilles décollées, transportera longtemps une pelletée de complexes. Se sachant laid ou pensant l’être, il cultivera toute sa vie un art de la provocation et du bon mot, quitte parfois à être méchant en blessant les autres.

     

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    Telle la petite chenille, il a commencé simple pianiste sous la houlette de Boris Vian, puis s’est déployé comme un papillon noir et or. Son œuvre n’a eu de cesse que de croître, à raison de tubes incontournables et de chansons inoubliables. Il fut toujours à la recherche de collaborateurs rares et talentueux, entre Alain Goraguer pour la patte jazzy, Michel Colombier et l’avènement pop, Jean-Claude Vannier pour les expérimentations psychédéliques ou Jean-Pierre Sabard pour des sons plus « FM ». Autant d’inspirations et de rencontres, pour mieux créer encore et canaliser toute cette passion, ce sacerdoce imposé par une exigence sans limite. Ces arrangeurs ont servi les créations de Gainsbourg comme des écrins et les diamants qu’ils renferment.

    Chaque décennie recèle un ton et évoque un univers bien défini, où Serge surfe allègrement sur les genres et les attentes, pour dépasser aussi les lignes imposées par l’époque. Il ne veut pas simplement se contenter de recracher de petites chansons à succès, bien sages, à l’image d’un Claude François, car son objectif ultime est de sublimer le moment et s’inscrire toujours, à la manière d’un Ronsard, d’un Baudelaire, dans un(e) geste définitif(ve).

    Ces volutes Gitanes, la fragrance Van Cleef & Arpels, cette verve au débit saccadé et narquois, ont séduit les plus belles femmes. Et il en a fait chanter plus d’une… Blondes, brunes, rousses, elles se sont toutes bousculées pour venir roucouler les mots que Gainsbourg leur sculptait sur mesure, tel un Michel-Ange torturé, fougueux et génial. Certaines sont restées plus longtemps que d’autres, avec ce privilège d’être dans l’intimité de l’homme à la Rolls Royce, comme un collier de perles qu’on ne quitte jamais, même pour dormir. Bardot, Gréco, Deneuve, Bambou

    Et puis il eut Jane, à qui l’auteur de « Je t’aime moi non plus » consacra tout un album, « Histoire de Melody Nelson », probablement son chef-d’œuvre. Pour l’ex-épouse du compositeur anglais John Barry, Gainsbourg déploie toute son imagination et écrit ses textes les plus forts, les plus fous, ceux qui donnent l’impression de léviter.

     

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    « Ecoute ma voix, écoute ma prière. Écoute mon cœur qui bat, laisse-toi faire… »

     

    A Jane Birkin, Gainsbourg offre autant de chansons sublimes. Il n’a pas peur de les rendre meilleures, et bien plus encore que celles qu’il se réserve. L’amour rend aveugle. L’amour rend fou. L’amour rend meilleur aussi. Si Serge Gainsbourg ne sait pas dire « je t’aime », parce que tout compte fait, sa pudeur et sa timidité souvent le rongent, il s’emploie par des moyens détournés à déployer sa prose et son lyrisme, pour hurler ses sentiments en des élégies somptueuses et des musiques sophistiquées.

    Il était un poète à fleur de peau qui se cachait derrière la subversion et l’insolence…

    Jane Birkin possède une voix fragile et candide, mais en théorie pas celle conçue pour chanter. Et pourtant, c’est toute l’histoire de la chanson française que cet artiste au physique étrange révolutionne. Les mots collent ici au plus près de la tessiture de la petite Anglaise. Ce sont presque des feulements qui parfois expriment autant de caresses, de désirs et de tristesse. La chanson va devenir intime, tellement proche. Une fois de plus, Gainsbourg étonne, innove. Avec l’élégance dont il s’entoure pourtant et cette manière de ne pas y toucher, il grave tout un répertoire dans le marbre.

    En 1971, sort dans les bacs le nouvel album du propriétaire du 5 bis rue de Verneuil. S’inspirant des riffs langoureux et hypnotiques de Jimi Hendrix, Serge Gainsbourg imagine toute une histoire dans laquelle il décrit un personnage sorti tout droit d’un roman caché de Lewis Caroll. Presque androgyne et encore enfant, Gainsbourg tient la ligne de crête dans ses descriptions, avec des allusions qui aujourd’hui l’enverraient tout droit au tribunal, accusé par nos nouveaux inquisiteurs, serviteurs infatigables de la bien-pensance.

     

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    « Comment tu t’appelles ? Melody ! Melody comment ? Melody Nelson ! Melody Nelson a les cheveux rouges et c’est leur couleur naturelle. »

     

    Tout dans ce nouvel opus n’est que somptuosité et magnificence. Avec cette « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg tutoie les astres. Hélas, ces idiots qui constituent le public de l’époque préfèrent se bâfrer de Mike Brant et autres chanteurs bellâtres du moment. C’est un échec commercial et critique cinglant, avec moins de 18.000 copies vendues. Gainsbourg en gardera longtemps une aigreur et une douleur, tel un ulcère. Mais il va prendre sa revanche, à sa façon.

    Avec « L’Homme à Tête de Chou », qui sort cinq ans plus tard, Gainsbourg réitère pourtant avec le principe de l’album-concept. Ce nouvel opus peut s’écouter comme l’autre versant de celui de 71. Une version plus glauque, plus sordide, de cette Melody, être diaphane et fantastique, devenue désormais une simple humaine prénommée Marilou. Une coiffeuse un peu vulgaire et passablement intéressée, qui rend dingue celui qui est tombé en pâmoison sous ses charmes de shampouineuse. Elle le mènera à sa perte, avant que celui-ci, dans un éclair de lucidité, ne lui fasse la peau en lui fracassant le crâne à coup d’extincteur d’incendie.

     

    « … elle a sur le lino, un dernier soubresaut, une ultime secousse.
    J’appuie sur la manette, le corps de Marilou disparaît sous la mousse… »

     

    Gainsbourg aura tout testé, tout tenté, avec des fortunes diverses, même avec deux albums Reggae et un ultime album Funk, très dispensable.

    Si Serge Gainsbourg, à l’instar d’un Gilbert Bécaud, ne tombera jamais dans l’oubli, c’est parce qu’il était habité par l’amour et sa passion des femmes. C’est ce qui reste et qui vibre à chaque nouvelle écoute de son œuvre. Qu’il les chante ou qu’il les ait fait chanter, chacune d’entre elles nous habite et nous subjugue. De la petite chansonnette (« Le Poinçonneur des Lilas », « L’Ami Caouette ») à la définitive (« 69 Année Erotique », « Je suis venu te dire que je m’en vais »), cette précision du mot, cette musique et ses arrangements, alliés à la désinvolture qui le caractérisait, ne peuvent pas nous faire oublier que ce dandy absolu était d’une ultra et hyper-sensibilité qui lui permettait ainsi de voler au-dessus des contingences et des hommes. Son œuvre polymorphe et précieuse s’enracine dans notre culture. On a chacun une chanson, un air, une phrase, une rime, de celui qui fumait des Gitanes lorsque Dieu, lui, préférait les Havane.

     

    « Sorry angel, sorry so, c’est moi qui t’ai suicidée mon amour, moi qui t’ai ouvert les veines.
    Je sais maintenant tu es avec les anges pour toujours, pour toujours et à jamais. »

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 16 : La Marseillaise by Gainsbourg

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Nous ne pouvions pas quitter cette année 1979 sans évoquer la Marseillaise version Reggae de Serge Gainsbourg… Parti à Kingston pour enregistrer son album « Aux Armes et Caetera » avec les plus grands musiciens jamaïcains, le chanteur français en rapporte un scandale fondateur.

     

    Ça n’est plus une offense que de passer en 2019 la Marseillaise Reggae de Serge Gainsbourg sur les ondes du service public. 40 ans après l’affaire « Aux Armes et Caetera », les passions se sont apaisées et ce bon Gainsbarre est désormais célébré jusqu’au sommet de l’état comme l’un des plus géniaux représentants de notre culture populaire. Si nous parlons aujourd’hui de cet enregistrement qui fit scandale en 1979, c’est justement pour tenter d’aller un peu plus loin que les grandes pétitions de principe qui, d’un bord et de l’autre, s’affrontèrent à l’époque.

    Une première remarque, tout d’abord : en 1979, lorsqu’il part à Kingston, en Jamaïque, enregistrer cet album reggae qui va véritablement révolutionner sa carrière, Serge Gainsbourg n’a guère connu le succès auparavant. En fait, à deux reprises uniquement. Une première fois, en 1969, avec « Je t’aime moi non plus » et une seconde fois en 1978 avec « Sea, Sex and Sun », 45T qui fut l’un des tubes de cet été-là.

    À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer « Aux Armes et Caetera », sa cote d’amour navigue donc à marée basse et ses derniers disques – « Rock Around the Bunker », « L’Homme à Tête de Chou » – furent autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.

    Et les musiciens qu’il va rencontrer en Jamaïque, Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et quelques autres légendes du reggae, ne connaissent en fait rien de Serge Gainsbourg, si ce n’est cela… Eh oui, toujours « Je t’aime moi non plus », ici dans une version quelque peu salace du jamaïcain Judge Dread datée de 1974. Car « Je t’aime moi non plus » est la seule chanson de Gainsbourg qui ait traversé l’Atlantique en 1979…

     

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    Mais Gainsbourg, avec sa Marseillaise version Reggae, va aussi enseigner aux Français quelques singularités de leur hymne national. Par exemple, le dernier couplet de son « Aux Armes et Caetera »… Il n’est en fait pas de Rouget de Lisle, mais de l’abbé Antoine Pessonneaux, professeur de rhétorique à Vienne en 1792. L’abbé qui écrit ce que l’on appelle « le couplet des enfants », que Gainsbourg a réappris à des millions de Français.

     

    « Nous entrerons dans la carrière

    Quand nos aînés n’y seront plus

    Nous y trouverons leur poussière

    Et la trace de leurs vertus »

     

    D’ailleurs, lors de sa dernière tournée en 1988, Gainsbourg choisira de chanter encore un autre couplet à la fin de sa Marseillaise. Un couplet beaucoup plus patriotique, au premier degré.

     

    « Tout est soldat pour vous combattre,

    S’ils tombent, nos jeunes héros,

    La terre en produit de nouveaux,

    Contre vous tout prêts à se battre ! »

     

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    Mais il est vrai que Gainsbourg n’avait jamais exprimé de sentiments particulièrement opposés à la Nation Française en tant que telle, et appelons un chat un chat, il a toujours apprécié la fréquentation des militaires ou des policiers.

    Son anti-communisme était d’une virulence assez forte pour qu’il ne méfie pas assez des militaires… Et a-t-on vraiment prêté attention à ce qu’il dit au moment du célèbre incident de Strasbourg ? Cherchez bien, vous vous souvenez ? Les paras qui veulent empêcher le concert d’avoir lieu, les musiciens jamaïcains qui refusent de monter sur scène, Gainsbourg le point levé, et ça donne ça. Gainsbourg l’insoumis, le vrai, pas à la mode mélanchoniste…

     

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    Etats-Unis, Gabon, Bahamas… Serge Gainsbourg était autant artiste que voyageur. Les pérégrinations de cet iconoclaste l’ont même mené jusqu’en Jamaïque, La Mecque du renouveau musical. C’est ainsi dans la patrie de Bob Marley que Gainsbourg entre dans sa période Gainsbarre, s’inspirant de la force révolutionnaire et jusqu’au-boutiste du reggae. Un changement de cap symbolisé notamment par le fameux scandale de La Marseillaise… Retour sur la genèse du concert où Gainsbourg mit les « paras au pas ».

     

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    « C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. » (Serge Gainsbourg)

     

    Lorsque Gainsbourg décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island Records, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.

    Aujourd’hui, avec le recul, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.

    À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.

     

    « Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. » (Serge Gainsbourg)

     

    Pourtant, lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée : « Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : Je dois te prévenir, je ne parle pas. Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. »

    « Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée. Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »

     

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    « J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux Armes et Caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme), (rires)… autrement, ça va pas. »

     

    Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston : « faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »

     

    Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album « Aux Armes et Caetera », c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » – cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.

    Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille Canaille », une chanson de 1931. Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres, comme « Les Locataires » : « eau et gaz à tous les étages ». Sans oublier le texte « Brigade des Stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs ont su le faire avant lui (« Des Laids des Laids », « Pas Long Feu » ou « Daisy Temple »).

    Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ». On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé !

    Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre Gainsbourg en même temps que cette musique venue tout droit de Jamaïque, le Reggae. « Aux Armes et Caetera » deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec « Mauvaises Nouvelles des Etoiles ».

     

    En ce premier jour de l’année 2020, nous sommes ravis de clore ce 40ème anniversaire de l’année 1979 avec Serge Gainsbourg, car quel autre précurseur que lui aurait pu aussi bien symboliser cette année-charnière qui scellait le sort de nos dernières utopies… Après 1979, rien ne fut plus jamais comme avant.

     

    Sources : Musiq XXL / Bertrand Dicale / Sens Critique

     

     

     

  • Gainsbourg / Vannier | Histoire de Melody Nelson

     

     

    Musicien autodidacte, Jean-Claude Vannier apprend les rudiments de l’orchestration en potassant un « Que sais-je ? »… A l’époque, il est ingénieur du son, notamment pour des musiciens arabes : l’influence de leur musique sera déterminante dans son écriture, en particulier des arrangements de cordes caractéristiques des albums qu’il réalisera par la suite.

     

    En 1971, Jean-Claude Vannier rencontre Serge Gainsbourg, et ils composent ensemble le mythique « Histoire de Melody Nelson ». Cet album est considéré comme le premier concept album français, dans la digne lignée des « Porgy And Bess » de Miles Davis, « Blonde On Blonde » de Bob Dylan, « Pet Sounds » des Beach Boys, « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles ou du fameux « Tommy » des Who.

    Melody Nelson, c’est l’histoire d’une jeune fille aux cheveux rouges, une adorable garçonne âgée d’une quinzaine d’années, percutée au début de l’album par la Rolls Royce Silver Ghost 1910 de Serge Gainsbourg. L’album se referme par la disparition de Melody, dans le crash du Boeing 707 à destination de Sunderland (Cargo Culte).

    A l’occasion de l’enregistrement de cet album « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg abandonne pour la première fois le chant pour ce parlé-chanté narratif qui deviendra par la suite une des marques de fabrique de ses albums ultérieurs. Gainsbourg et Vannier réaliseront ensuite plusieurs musiques de films : « Cannabis », « La Horse », ou encore « Slogan ». Leur collaboration s’achève en 1973 avec le disque de Jane Birkin, « Di Doo Dah », sur lequel Vannier compose plusieurs titres seul.

     

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    Histoire de Melody Nelson
    © 1971 Philips
    Histoire de Melody Nelson (40th Anniversary Deluxe Edition)
    © 2011 Mercury