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  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 04)

     

     

    Dès la fin des années 90, la musique de John Williams va évoluer et muer, et ce tout au long de la décennie suivante. Hormis peut-être pour sa contribution aux trois films de la saga « Harry Potter »,  où il y déploie une orchestration encore toute Williamesque, ses nouvelles compositions vont paraître de moins en moins clinquantes et de plus en plus minimalistes. Il va peu à peu délaisser ses influences allemandes et slaves pour leur préférer des tonalités plus françaises (Debussy, Ravel, Poulenc, Satie…)

     

    Au cours de cette décennie 2000, le jazz s’invite ainsi dans l’oeuvre de John Williams, d’abord sur la B.O de « Catch Me If You Can », avec un tempo que n’aurait pas renié Henry Mancini, puis sur le film « Tintin » presque dix ans plus tard ; ce qui, avec le recul, n’est pas très étonnant, puisque Williams vient précisément de cette mouvance. Il faut se souvenir qu’il est pianiste de formation et qu’il a commencé avec le jazz dans les années 50 puis 60…

     

    A.I.

    En 2001, Steven Spielberg renoue avec la science fiction, avec « A.I. ». Un projet de longue haleine, initié par Stanley Kubrick, mais qu’il ne pourra jamais mener à terme, malgré un scénario abouti et des recherches préparatoires sur les effets spéciaux supervisées par le réalisateur de clips visionnaires et de génie, Chris Cunningham (celui qui mettra également en image l’univers onirique et cauchemardesque du musicien Aphex Twin ou de la chanteuse-elf Björk).

    C’était un souhait que le réalisateur de « Barry Lyndon » avait formulé, quant à son projet d’adaptation au cinéma du roman de Carlo Collodi. A savoir que s’il ne pouvait pas le réaliser lui-même, ce serait à Steven Spielberg de s’en charger, car Kubrick considérait qu’il était le seul (après lui…) à pouvoir mettre en image cette histoire, tant les visions des deux hommes étaient similaires, en particulier dans la façon d’approcher le matériau d’origine. John Williams est forcément de la partie, pour illustrer et ajouter aussi de la profondeur supplémentaire au film.

    Pour ce faire, Williams crée une thématique qui pourrait renvoyer à la musique du film « E.T. », puisque là encore tout s’écoute du point de vue de ce que ressent l’enfant, ici, un petit robot. Et cette fois-ci, la musique ne s’oriente pas vers Prokofiev et des accents de cuivres tonitruants, mais beaucoup plus vers Debussy, Leo Delibes, Berlioz ou Sibelius. Bref, pratiquement que des influences françaises, à l’exception d’un finlandais. Autre nouveauté, Williams va pour la première fois utiliser l’électronique, et même le son d’une guitare électrique.

     

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    Cette histoire, qui renvoie à celle de Pinocchio, donne au film et à sa musique des accents d’une tristesse insondable, comme nous n’avions jamais eu l’occasion de le ressentir auparavant dans un film de Steven Spielberg. Ce petit enfant-robot, qui veut être aimé par une maman humaine, tente coûte que coûte d’exaucer son vœu. Il y parviendra finalement, grâce à une génération de robots qui a survécu à l’homme bien des millénaires plus tard, alors que la terre est désormais recouverte de glace.

    Mais c’est seulement pour 24 heures qu’il pourra partager son amour avec un clone recréé pour l’occasion, et qui clôturera le film, lorsque l’enfant et la maman s’endorment tous les deux, après avoir passé une journée comme il en avait toujours rêvé, dans un sommeil éternel. Il s’agit sans nul doute de l’une des fins les plus bouleversantes pour un film du réalisateur de « Schindler’s List », et surtout déchirante pour un film trop court…

    La musique dispense un thème élégiaque au piano, avec quelques touche de violoncelle et une voix de soprano lointaine et enveloppante ; ce thème qui revient sans cesse dans le film, et pour le final, en une longue caresse qui commence par une musique atonale et blanche, comme le décor que nous fait découvrir Spielberg, avec ces étendues recouvertes de neige, puis l’apparition de ces robots humanoïdes, filiformes et translucides. Lorsqu’ils remettent en fonction le petit robot, seul témoin d’un monde qui n’existe plus, les notes chaudes du piano reviennent, annonciatrices du passé revisité et de sa mélancolie.

    Ce thème est aussi bien dédié au petit garçon artificiel qu’à la maman revenue d’entre les morts, grâce à une mèche de cheveux dont l’ADN va permettre de la faire revivre une journée, mais pas plus. Cette musique délicate et tragique accompagne ainsi la journée parfaite, comme l’avait toujours souhaité l’enfant synthétique. Une journée fantasmée, durant laquelle seule la mère et sa progéniture sont en parfaite symbiose.

    Il s’agit en tout cas de l’un des plus beaux scores que John Williams ait pu composer pour un film. Un film qui lui-même est l’un des plus beaux mais aussi des plus tristes qu’ait réalisé son auteur.

     

     

    Minority Report

    « Minority Report » sort en salle en 2002, soit un an après « A.I. ». Décidément, le réalisateur d’« Amistad » est inarrêtable. L’histoire, tirée cette fois d’une nouvelle de Philip K. Dick, dépeint, dans un futur pas si éloigné, la mission d’une police travaillant de concert avec des médiums qui annoncent les crimes et forfaits avant même qu’ils ne soient commis par leurs auteurs présumés. Steven Spielberg propose ici une société déprimante et un futur anxiogène. Entre un monde kafkaïen et orwellien, tout ce qui nous est montré semble plausible et c’est d’autant plus effrayant…

     

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    Et c’est exactement ce que John Williams va imaginer pour sous-tendre au mieux cette histoire paranoïaque à souhait. Avec « Minority Report », deux thématiques se confrontent. La première colle aux basques d’une action incessante et survoltée, dans laquelle on suit ces policiers en jet pack virevolter dans tous les sens. Williams nous assaille avec une musique dont les accents tout droits sortis des scores d’un cinéma des 70’s rappellent un tempo Jazzy, même si l’ensemble est symphonique, finalement très proche du travail de Lalo Schifrin sur le film « Bullitt ».

    L’autre ambiance s’articule autour du personnage de Sean, le fils du personnage central incarné par Tom Cruise, mort noyé. Doux et mélancolique, et dans lequel les cordes ont la part belle, ce thème se décline à différents passages, en leitmotiv, lorsque le héros se souvient de son fils. C’est à la fin du film qu’un second thème plus apaisé apparaît, pour se muer ensuite en générique final. Dans ces deux cas, la musique n’appartient pas aux personnages ou à leur représentation. Elle exprime un état général. La suite orchestrale qui clôture « Minority Report » propose enfin une résolution et de la douceur qui ouvrent ainsi sur de nouvelles perspectives. Cette même musique entendue auparavant simplement par petites touches, et qui signifiait dans ces cas précis l’espoir.

    Avec « Minority Report », c’est aussi la première fois que la musique composée est mise en retrait par rapport aux séquences fortes du film. Elle ne fait qu’accompagner les péripéties, sans jamais être envahissante… Et c’est en réécoutant le score après avoir vu le film qu’on la redécouvre pleinement.

    Mais Steven Spielberg n’en a pas encore fini avec la science fiction… Il boucle ainsi cette trilogie, au début des années 2000, avec un remake, et toujours et encore John Williams à la musique. De science fiction, il en sera d’ailleurs de nouveau question plus récemment avec « Ready Player One », sorti en 2018, mais cette fois sans son compositeur fétiche… C’est Alan SilvestriRetour vers le Futur ») qui se voit confier la composition du score.

     

     

    La Guerre des Mondes

    Vu par le prisme spielbergien, cette histoire d’invasion extra-terrestre tirée d’un roman de H.G. Wells datant de 1898, qui avait déjà connu une adaptation pour la radio en 1938 (réalisée par l’immense Orson Welles) puis pour le cinéma en 1953, devient un cauchemar cinématographique, dans lequel les spectres du 11 septembre et de la Shoah se mélangent pour offrir un spectacle magistral mais éprouvant.

    John Williams, fort de ces données, compose pour « La Guerre des Mondes » une musique anxiogène, brutale, où même les moments d’accalmie, notamment à la fin avec la résolution, n’offre ni apaisement ni espoir…

     

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    Tout au long du film, il flotte dans l’air comme une interrogation, un doute… Même si « La Guerre des Mondes » se clôture par un happy end en demi-teinte, le score se garde bien de toute fanfare qui pourrait célébrer une quelconque victoire des humains sur ces féroces forces extra-terrestres. En effet, ce qu’imagine le compositeur de « Munich » pour signifier l’impuissance totale des hommes contre les machines martiennes, c’est une musique qui n’est jamais victorieuse, mais qui repose plutôt sur un sentiment de passivité et de fatalisme.

    La défaite et la mort des envahisseurs ne pourront finalement être imputées qu’aux plus petits êtres que notre terre ait engendrés : les microbes. C’est donc bien à un film amer et fataliste que nous convient Steven Spielberg et son compositeur attitré. L’Amérique n’est plus montrée comme une nation triomphante, avec ses héros et leurs morceaux de bravoure. Le personnage principal, pourtant incarné de nouveau par l’indestructible Tom Cruise, passe le plus clair de son temps à fuir ou à se terrer comme un lapin apeuré.

    Une des superbes idées qu’a également Williams pour signifier la présence létale des extra-terrestres, outre ce son épouvantable produit par les tripodes avant qu’ils ne fassent feu sur les foules en panique, c’est dans la musique elle-même qu’on la trouve, avec l’emploi de chœurs féminins utilisés comme des percussions, censés exprimer ainsi une dangerosité menaçante et implacable dans les desseins de ces créatures belliqueuses.

    Tout le score est glaçant, sans une once de chaleur ou de patriotisme bon teint, dont seuls les Américains sont en général capables de se fendre. Là aussi, John Williams va à rebrousse-poil des thèmes tonitruants qu’il eut l’habitude de composer par le passé.

    Nous sommes bien dans une ère de défaitisme et d’incertitude absolue quant à l’évolution du monde. Steven Spielberg et John Williams, que l’on a souvent taxés de niais, voire même de partisans d’un américanisme primaire, nous rappellent que l’être humain n’a jamais été aussi proche de sa fin.

     

    A l’instar d’un Ennio Morricone, John Williams est sans nul doute le dernier des compositeurs vivants à avoir autant créé pour le cinéma, reconnu entre ses pairs non seulement pour la qualité de ses musiques de films, mais aussi pour l’impressionnante diversité des œuvres composées. Et il ne connaît aucun rival, qui pourrait lui arriver ne serait-ce qu’à la cheville. Même si cela n’est pas forcément un gage de qualité, il faut tout de même noter sa longévité dans l’industrie du cinéma et ce souci constant de se remettre en question, d’innover et de tenter de créer avec toujours l’humilité et la candeur qui le caractérisent.

    Autant dire, la marque des plus grands…

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 03) »

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 03)

     

     

    John Williams… Quand la musique est bonne, bonne, bonne, quand elle ne triche pas !!! Euh, désolé… Allez, revenons à nos moutons… « Star Wars », « Superman », « Harry Potter », « Jurassic Park »… Quel serait l’empreinte laissée par ces films sans leur thème d’ouverture ? Car lorsque l’on se remémore l’une de ces œuvres, c’est en premier lieu sa musique qui nous vient en tête, avant même les images.

     

    La tétralogie Indiana Jones

    A l’instar de ces marches et de ces mélodies reconnaissables entre mille, et dans le monde entier, John Williams va composer pour le nouveau projet de George Lucas et Steven Spielberg, en 1981, un autre thème incontournable, parmi tous ces grands standards cinématographiques : « Les Aventuriers de L’Arche Perdue ».

    Indiana Jones, c’est d’abord cette silhouette légèrement voûtée, surmontée du chapeau Traveller de la chapellerie anglaise Herbert Johnson, et le fouet. C’est Harrison Ford, bien-sûr, mais aussi cette musique, avec ces cuivres  qui surgissent de nulle part, comme une invitation au voyage et à l’aventure. Puis le thème s’envole et vous met du vent dans les cheveux, avec cette irrépressible envie d’action, de découverte et de course-poursuite.

    Steven Spielberg, qui rêvait de réaliser un épisode de James Bond ou encore d’adapter Tintin au grand écran, va combler en partie cette frustration en mettant en scène ce personnage imaginé par son ami George Lucas.

     

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    Car John Williams a toujours eu ancré en lui ce génie de la synthèse. A savoir qu’en quelques simples notes, il parvient à rendre caduque tout ce qui a pu être produit ou entendu précédemment, dans un registre similaire. Pour un personnage fort comme Indiana Jones, il lui faudra donc un hymne qui puisse venir compléter sa panoplie à la perfection et ainsi participer à sa légende.

    Et c’est imparable… Après avoir découvert au cinéma en 1981 « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et sa musique, il vous sera dès lors impossible d’imaginer ou d’apprécier tout autre thème écrit pour un sujet similaire. Tant le compositeur de « La Dernière Croisade » assoit encore un peu plus le genre avec chacun de ses scores. Ses créations deviennent non seulement les génériques des films qu’elles illustrent, mais en même temps le générique en tant que tel du genre qu’elles développent.

    Ainsi, non seulement ce film mêlant archéologie, spiritisme, action et fantaisie, fait office d’œuvre définitive sur le sujet, mais de surcroît, sa musique devient instantanément un classique. Tel un alchimiste, John Williams va réaliser la fusion parfaite entre image et son, en composant une suite orchestrale tour à tour grandiose, lyrique, spectaculaire et mystique.

     

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    Il y a bien-sûr (et c’est la mode actuellement…) tous les insurgés, les scandalisés, ceux qui crient sans relâche au plagiat, au saccage auquel se livrerait John Williams, en dépossédant d’autres illustres compositeurs de leurs œuvres. Non et cent fois non ! Le compositeur de la marche des Jeux Olympiques de 1984 n’a jamais plagié qui que ce soit. Et je renvoie les accusateurs de tout poil à la définition exacte du verbe « plagier ».

    Oui, John Williams s’inspire beaucoup, c’est un fait, voire emprunte des thèmes qu’il transforme. Et j’ai d’ailleurs largement évoqué ses influences dans les deux précédentes parties. Certes, il utilise des matériaux connus pour les remettre à sa sauce. Mais je vous mets au défi de trouver dans ses propres partitions des copiés-collés de musiques déjà existantes et des mélodies en tous points identiques à celles qui auraient pu être créées par d’autres. On peut évidemment reconnaître parfois des emprunts à tel ou tel compositeur ou y déceler les influences dont il se nourrit.

    Mais John Williams n’a pas son pareil pour défricher, réarranger et souvent améliorer. Le procès que certains lui font sur ses prétendues impostures est ainsi dénué de tout fondement. Et avant de refermer cette parenthèse, la position de ceux qui souhaitent réduire ce compositeur multi-oscarisé au rang de vulgaire faussaire, d’escroc ou de petit faiseur à la solde d’Hollywood, est risible. Je renvoie donc tous ces censeurs à leur bûcher des vanités et à leur condescendance.

     

    Pour en revenir à Indiana Jones, car c’est après tout de cela dont il s’agit ici… John Williams déploie pour chacun des films de la série, y compris pour ce 4ème opus qui est à mon sens le plus faible (euphémisme…), des trésors de mélodie et d’ingéniosité. Même si je considère que « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et « Le Temple Maudit » restent sans conteste les deux meilleurs scores de la tétralogie, mais aussi les deux meilleurs films.

    Pour le premier, John Williams reprend les principes opératiques allemands et italiens, tout au long des titres, et place peu à peu des motifs qui grandissent au fil de l’intrigue qui se précise, jusqu’au final ou le thème susurré jusque-là, explose en un maelström orchestral et choral, avec la manifestation divine qui déchaîne la colère de Dieu contre les nazis.

    Une autre des grandes prouesses de ce score reste le morceau intitulé « Desert Chase ». Il accompagne la fameuse course-poursuite en camion, quand Indiana Jones tente de récupérer l’Arche d’alliance, aux mains des Nazis. La musique épouse ici le moindre geste, le plus petit mouvement, que ce soit de la mise en scène ou des personnages ; une scène qui dure un peu moins de 8 minutes, mais qui est un bijou de découpage et d’idées filmiques. Une fois de plus, la musique de Williams ne cherche pas à voler la vedette à la séquence, mais uniquement à la sublimer.

     

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    Le Temple Maudit

    Là encore, cette composition suit le film à la virgule près. Ce deuxième opus est bien plus rapide que le précédent, mais aussi beaucoup plus sombre. John Williams réinvente encore une fois le score, puisqu’il imagine de nouveaux thèmes et de nouvelles sensations. Si le premier proposait une musique aux accents bibliques, pour « Le Temple Maudit », on est dans le serial pur et les films de Fritz Lang, entre « Le Tigre du Bengale » et « Le Tombeau Hindou ». Les chœurs ne sont plus divins mais lugubres, presque païens.

    Tout le film de Spielberg se conçoit comme une longue course-poursuite. Il pousse même le concept jusqu’à imaginer la scène des wagonnets dans la mine à la manière d’une attraction de fête foraine, un grand huit où le spectateur serait lui aussi convié, aux premières loges. Même si le film est plus cynique, sa musique n’en demeure pas moins réussie.

    Les morceaux « Children In Chains » et « Slave Children’s Crusade » figurent parmi ces nouveaux thèmes forts et inspirés qui viennent s’incruster comme jamais dans l’univers des films Indiana Jones. « The Temple Of The Doom », autre morceau-phare qui renvoie au « Carmina Burana » de Carl Orff, apporte là-aussi une nouvelle thématique dans l’œuvre du maestro, avec ces percussions et ces chœurs possédés et maléfiques.

     

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    Indiana Jones et La Dernière Croisade

    Si ce nouvel opus, malgré la présence de Sean Connery, s’avère être plus faible et moins inspiré que les deux précédents, force est de reconnaître que John Williams garde toujours la main. Là encore, il joue avec les thèmes déjà existants, pour mieux les malaxer, les transformer.

    Toujours prompt à trouver de nouvelles mélodies, c’est autour du Graal et d’une noblesse oubliée, celle des Chevaliers de la Table Ronde, que Williams construit ici le score du troisième film de la série. Il parvient à relier les thèmes existants aux nouveaux et ainsi inscrire le personnage d’Indy dans la légende.

     

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    Indiana Jones et Le Royaume des Crânes de Cristal

    Tout le monde s’accorde à dire que ce 4ème volet de la série est une véritable gabegie. Une bouillie scénaristique, numérique et filmique. Pourtant, John Williams ne ploie pas sous le poids de la catastrophe et compose avec pas grand-chose de fort à se mettre sous la dent un score tout à fait honorable. On ferme les yeux, on écoute la musique de ce film et on se prend à rêver d’une aventure mystérieuse et palpitante.

    Tout est virevoltant et léger. John Williams, comme il a pu le faire avec les Star Wars, revisite les thèmes connus. Il les inclut dans les nouvelles compositions, pour mieux inscrire le film dans une continuité. Ce qui n’est pas tâche aisée, quand on assiste à la catastrophe qu’est ce 4ème volet des aventures d’Indiana Jones, à tous les niveaux. Même si Steven Spielberg ne parvient pas cette fois-ci à sauver quoi que ce soit dans ce naufrage, il reste encore et toujours la musique. La musique de John Williams…

     

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    Pour la 4ème et dernière partie consacrée à John Williams, j’évoquerai « Minority Report », « A.I. » et « La Guerre des Mondes ».

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

     

     

     

  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 02)

     

     

    La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.

     

    Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.

    Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…

     

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    Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.

    Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.

     

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    Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.

    Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.

     

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    « E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.

    Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.

    Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ».  Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.

    En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.

     

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    John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.

    On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.

    Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.

     

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    Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.

    La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] « John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »

     

     

     

  • John Williams : quand la musique devient du cinéma

     

     

    Vouloir écrire sur un compositeur de musique de film âgé aujourd’hui de 87 ans pourrait tenir de l’exercice d’hommage en boucle et de piété un peu empruntée. John Williams mérite bien-sûr des louanges et de la gratitude de la part de tous ses fans et des mélomanes du monde entier, tant l’expression de son travail, la variété et le nombre de ses chefs-d’œuvre échappent à tout pronostic. Mais tout cela ne serait pas très constructif…

     

    Alors plutôt que de parcourir sagement la biographie de John Williams, tâche ingrate que je laisserai bien volontiers à Wikipédia et aux nombreux ouvrages retraçant déjà en long et en large ses différentes évolutions musicales, je vais me permettre plutôt l’exercice qui consiste à revenir sur ses œuvres les plus fondamentales, ainsi que sur celles qui m’ont le plus impressionné. Un butinage qui ne se souciera ni de date ni de classement de telle ou telle partition écrite par le maestro. Non, J’évoquerai simplement des œuvres impérissables, à l’aune d’un parcours parsemé de trésors et d’émotion.

    Mais avant de s’essayer à une présentation générale de l’homme et d’aborder son positionnement dans l’industrie de la musique de film, on peut déjà commencer par acter que John Williams est sans conteste l’un des plus grand mélodistes qu’Hollywood ait connu et que l’on ne compte plus ses compositions qui ont, ne serait-ce qu’entre 1975 et 1985, célébré et rendu immortels nombre de films, avec des thèmes devenus autant des classiques que les films eux-mêmes : « Les Dents de la Mer », « Superman », « Rencontres du 3ème Type », « Star Wars », « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », « E.T., l’Extra-Terrestre »…

    Des mélodies d’emblée fortes et évidentes, que l’on associe étroitement aux métrages ; et le principe immuable de créer un thème reconnaissable entre tous, pour chacun des films auxquels il a pu contribuer. Principe lancé dans les années 60 avec Ennio Morricone, John Barry, Lalo Schifrin, Maurice Jarre et bien-sûr Jerry Goldsmith. Période faste pour la musique de film, quand les studios ne craignaient pas de dépenser sans compter pour créer des B.O. inoubliables. Les années 60, 70 et 80 sont définitivement l’âge d’or de la musique de film. Les Trente Glorieuses, comme un état de grâce, lorsque les musiciens pouvaient réellement créer sans trop se préoccuper des conventions, des modes ou de quelconques sordides impératifs commerciaux.

    Une carte blanche qui a finalement contribué à élever ainsi la Musique de Film au rang d’art majeur et permis qu’elle soit reconnue à sa juste valeur, au point que même encore aujourd’hui, on puisse la jouer lors de concerts qui font immanquablement salle comble ; « Le Seigneur des Anneaux », « Retour vers le Futur », « Star Trek », autant d’oeuvres parmi les plus emblématiques que leurs compositeurs respectifs revisitent régulièrement sur scène… On ne compte d’ailleurs plus chaque année les concerts qui nous proposent de revivre tous ces grands moments de cinéma.

     

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    La musique de film devient ainsi beaucoup plus qu’un simple médium illustratif, mais un art en soi, au même titre que des compositions pour des opéras, ballets ou autres représentations. La musique écrite pour un film devient elle-même un protagoniste du film, un jalon incontournable, une extension de la mise en scène ainsi que de l’histoire qui y est racontée.

     

    C’est dans ce contexte que vont se croiser plusieurs écoles et styles, tout au long de ces années hyper-créatives. Et des figures qui deviendront bientôt incontournables vont révolutionner la musique pour les films…

    Quincy Jones, qui commença sa carrière comme arrangeur puis surtout comme compositeur de musique de film, avant de devenir un producteur célèbre, apporta par exemple des accords de Bossa Nova dès le début des années 60, pour les films qu’il devait illustrer. Bossa Nova d’ailleurs réutilisée à plein régime par Morricone pour un paquet de productions de la deuxième partie des années 60 et essorée jusque dans le milieu des années 70.

    Lalo Schifrin est quant à lui reconnu pour ses thèmes Jazzy hyper-sophistiqués et ses expérimentations sonores. Herbie Hancock apporte un jazz très urbain et atmosphérique. David Shire et Roy Budd seront de leur côté associés à des polars et des thrillers de ces années-là, mais avec en plus une dimension sensorielle inédite. Tous ces nouveaux compositeurs vont ainsi régner en maîtres durant les années 70 et jusque dans les 80’s.

    De la musique moins empesée que celle que pouvaient traditionnellement proposer Miklós Rózsa, Max Steiner, Erich Wolgang Korngold et plus généralement toute cette famille des musiciens des années 30, 40 et 50. Des compositeurs chevronnés, certes, mais qui devaient fournir des scores très didactiques, dans le seul but de souligner des scènes et des péripéties, sans jamais les supplanter.

    On peut dire qu’Alex North et Bernard Herrmann sont probablement les premiers à tirer leur épingle du jeu en sachant faire la transition entre cette musique stéréotypée et redondante qu’on leur commandait le plus souvent et de nouvelles influences. Mais surtout, avec un ton très personnel, une façon nouvelle d’approcher le film à illustrer et de faire ressentir les émotions au spectateur. Ils furent à juste titre des passerelles qui permirent aux nouvelles générations de musiciens et compositeurs, sevrés avant tout au jazz de par leurs formations respectives, de prendre le relais.

    John Williams, Jerry Goldsmith et James Horner, le trio gagnant de la fin des années 70 mais surtout des années 80, vont reprendre à leur compte le principe ultra codifié, pour ne pas dire pompier, d’un style musical tombé en désuétude, issu de cette grande tradition du Hollywood d’antan et qui, après les années 60 et 70, va de nouveau rebattre les cartes.

     

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    C’est aussi avec la fin de ce que l’on appelait le « Nouvel Hollywood » et le retour en force des films à gros budget tout public, que l’orchestre symphonique est réintégré dans le paysage cinématographique. Il va sans dire que tous ne vont pas forcément composer que pour des films prestigieux… Loin s’en faut. Beaucoup vont même créer des musiques parfois plus fortes que les films eux-mêmes.

    Je pense par exemple à la magnifique composition de James Horner pour « Krull », film aujourd’hui totalement oublié mais qui pourtant musicalement est un chef d’œuvre dans son genre. Horner se surpasse dans cette ambiance d’Heroic Fantasy riche, puissante et intense. John Barry et son score « The Black Hole » apporte de la mélancolie et de l’immensité à un film qui sonne désespérément creux, mais que le compositeur attitré des James Bond ne traite pas pour autant par-dessus la jambe. Ambiance majestueuse, infinie, alliée à une parfaite illustration en musique de ce que peut laisser imaginer la puissance d’un trou noir et la terreur qu’il véhicule.

    Jerry Goldsmith, pour la trilogie « The Omen », propose une montée en puissance orchestrale, à mesure que l’antéchrist gravit les échelons et grandit, avec un final tout en apothéose biblique, à grand renfort de chœurs ; alors que les films en soi ne sont que des séries B surfant sur la vague des films millénaristes, avec diablerie et possession.

    Quant à John Williams, ce dernier ne déroge pas à la règle avec le film de Steven Spielberg, « Hook ». Si cette relecture de Peter Pan est un naufrage à tous les niveaux, il reste néanmoins son score, qui s’écoute, en faisant abstraction du film lui-même, comme une œuvre absolument ébouriffante. Une explosion de thèmes et d’envolées saisissants qui expriment à eux seuls tout le culte de Peter Pan, l’esprit d’aventure et toute sa part de rêve et de mélancolie liés à l’enfance qui passe et ne revient pas.

    Ainsi, malgré la médiocrité des films incriminés, paradoxalement, on est surpris par la richesse thématique mise en œuvre pour si peu à offrir visuellement. Tous ces compositeurs, et John Williams en premier lieu, ne sont donc pas que de simples contributeurs au film, mais de grand architectes avec une vision d’ensemble innovante et surtout indépendante.

     

    Passée cette présentation informelle, j’aborderai à présent « L’Empire Contre-Attaque » (l’Episode V de la saga Star Wars).

    Car on a ici affaire à une osmose totale entre la musique et le film. Et elle illustre presque en temps réel l’action qui se déroule à l’ écran. A l’instar de l’opéra, l’orchestration fait écho aux péripéties en devenant le prolongement naturel de l’oeuvre. La saga de George Lucas s’est d’ailleurs toujours vue comme une série de films qui n’aurait pas eu forcément besoin de dialogues, tant la force évocatrice des images et la musique de Williams suffisaient au spectacle et à l’émotion.

    Mais avant d’évoquer « The Empire Strikes Back » sorti en 1980, le score le plus maîtrisé et inspiré qui ait été composé pour un « Star Wars », revenons d’abord trois ans en arrière, avec la découverte de ce compositeur qui s’illustre pour la première fois avec le premier épisode de la Saga, l’Episode IV, destiné à l’origine à n’être qu’un épisode unique : « La Guerre des Etoiles » exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir ». Sans oublier le double vinyle entièrement noir, avec le logo Star Wars couvrant presque toute la pochette du disque. Magique…

    N’ayant pas encore vu à l’époque ce premier film et finalement découvert John Williams qu’avec l’Episode V (« L’empire Contre Attaque »), il ne s’agissait là pour moi que d’une évocation de ce nouvel univers. Tous les différents thèmes, l’orchestration, leurs motifs, m’avaient pourtant permis de me plonger dans un monde d’une richesse assez folle.

    Alors certes, peut-être n’étais-je pas encore assez pointu en musique de film pour ne pas détecter, dès la première écoute, dans le thème de la fanfare d’ouverture celui d’un film de 1942, « Kings Row », écrit par Erich Wolgang Korngold ; cet immense compositeur chez qui John Williams ira beaucoup piocher, pour se forger un style musical inimitable et grandiloquent, typique de l’époque. « Captain Blood » ou « The Sea Hawk », d’autres œuvres du compositeur du premier film consacré à Robin des Bois, « The Adventures of Robin Hood » (1938), serviront à donner ce fameux ton suranné et désuet au projet de George Lucas. Tout l’esprit sérial, avec ce long déroulé au début pour résumer le suivi des aventures en cours.

     

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    John Williams est avant tout un grand technicien et il saura se plier sans jamais se forcer aux desiderata comme aux exigences de ses nombreux commanditaires ; George Lucas et Steven Spielberg en tête, qui formeront avec le compositeur d’« Amblin’ » un duo indéfectible tout au long de la filmographie du réalisateur de « Duel ».

    A l’origine, George Lucas souhaitait, comme pour Kubrick et son « 2001 l’Odyssée de L’Espace », n’utiliser que des musiques classiques, afin de rendre toute leur majesté à ses visions spatiales et à l’exploration de planètes inconnues. Cela aurait pu d’ailleurs, selon sa propre réflexion, tendre une perche évidente au public et créer un sentiment quasiment d’intimité avec ce qu’il voyait à l’écran.

    John Williams va alors non seulement lui proposer de composer exactement ce qu’il désire, mais avec de surcroît une véritable identité. Une musique nouvelle et pourtant étrangement familière. Une musique qui participe à l’exclusivité du projet. La puissance orchestrale de Williams et son aisance presque insolente deviendront en une poignée de films sa marque de fabrique.

    La qualité mélodique indéniable et une précision infaillible, alliées au brio des morceaux composés, font référence aux travaux d’autres grands compositeurs classiques mais renvoient également au respect sacré que l’on ne peut pas juste afficher comme une évidence. Car John Williams est un orfèvre qui sait viscéralement lier musique et image. Tel un chirurgien qui réaliserait des opérations impossibles dont on ne verrait jamais les coutures…

     

    Star Wars premier du nom était ébouriffant, mais ce n’est rien en comparaison du score qui va être composé pour sa suite…

    Pour cette saga longue de presque 50 ans, Williams fonctionne comme l’avait déjà imaginé Wagner en son temps pour ses opéras, maniant habilement le principe du leitmotiv ; à savoir créer un thème différent pour chaque protagoniste, qui sera utilisé par la suite au grès de l’action et des situations, afin de marquer l’entrée en scène dudit personnage ou encore d’appuyer son implication dans l’intrigue, qu’il soit d’ailleurs présent ou absent à ce moment précis.

    La musique interagit directement avec le scénario et le ressenti du spectateur ou de l’auditeur. Ces différents motifs peuvent alors s’inclurent dans la partition, joués à un moment précis, fut-ce uniquement sur une poignée de notes sur la portée. Convoqué lointainement ou plus précisément par un seul instrument, en ayant pris soin de choisir lequel exactement, afin de signifier ledit personnage et l’état d’esprit avec lequel on en parle, vous ressentirez alors, largement déployée dans vos oreilles, toute la maestria du maître, son sens de l’observation et la précision du travail de dentelière qu’il exécute.

    Cette forme diégétique malaxée minutieusement par Williams, surtout pour les « Star Wars », crée un lien indissociable, viscéral, et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on qualifiera ces films de George Lucas de « space opéra ». Dans « La Guerre des Etoiles », exploité ensuite sous le nom de « Star Wars, Episode IV : Un Nouvel Espoir », on trouve ainsi « Le thème de Luke » et également celui de Leïa.

    « Le thème de Luke », appelé également « Le thème de la Force », va ainsi figurer dans tous les autres épisodes de la Saga. Il est autant rattaché au pouvoir des Jedi que celui de la famille Skywalker. Ces quelques notes suffisent immédiatement à exprimer l’audace comme l’espoir ; une lumière face aux ténèbres que représentent l’Empire et le côté obscur de la force.

     

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    L’Episode V : une explosion donnant ainsi la pleine mesure de la fougue et de l’imagination sans limites de Williams…

    On découvre donc dans cet Episode V successivement « Le Thème de Han et Leïa », « Le Thème de Yoda » et le plus emblématique d’entre tous, qui restera comme le plus imparable, la fameuse marche impériale ou « Thème de Darth Vader ».

    D’autres musiques deviendront également cultes, comme « The Asteroïd Field » et ses cordes virevoltantes, illustrant la scène du Faucon Millenium slalomant entre les corps célestes, ou encore « Hyperspace » (utilisé au début du film, puis de nouveau vers la fin, lorsque le Faucon tente d’échapper aux griffes de Vader et que l’on assiste à un dialogue télépathique entre Luke et son « Papa »).

    Un autre grand thème, intitulé « Carbon Freeze / Darth Vader’s Trap / Departure of Boba Fett », souligne plusieurs actions conjuguées, avec notamment le magnifique « Thème de Han et Leïa » précédemment entendu, cette fois-ci fondu et restitué en une complainte beaucoup plus déchirante, lorsque Han est sur le point de se faire congeler. Leïa finit par avouer à Han qu’elle l’aime et celui-ci lui rétorque un laconique « je sais », avec la musique qui s’élève en un hymne tragique mélangé à des bruitages effrayants et le cri de tristesse de Chewbacca.

    Sublime moment de dramaturgie rehaussé une fois de plus par un John Williams au sommet de son art. On assiste là tout bonnement à une scène de « La Tosca » de Puccini, avec la Tosca et Cavaradossi, son bien-aimé, condamné à être fusillé…

     

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    Pour revenir une dernière fois encore sur la Marche de l’Empire et ce morceau intitulé « The Imperial Probe / Aboard The Executor », Williams y laisse subtilement traîner au début du film quelques notes extraites de ce fameux thème, que l’on n’identifie pas encore à une menace. Mais ces quelques mesures planent déjà comme des ombres…

    Lorsque les officiers impériaux finissent par localiser la base rebelle sur la planète Hoth et que l’on voit la majestueuse et néanmoins implacable flotte de Star Destroyers impériaux se déployer, le thème explose alors en une marche militaire sinistre (John Williams s’est d’ailleurs inspiré des marches allemandes du Troisième Reich).

     

    On ressent à ce moment précis un frisson qui nous parcourt l’échine, tant le timing est parfait et la musique créée pour l’occasion semble miraculeuse, transmettant un sentiment autant de crainte que d’admiration.

     

    En substance, la musique de John Williams, ce sont avant tout ces influences des compositeurs classiques européens connus, de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, revisités ou utilisés de manière intelligente et ludique.

    Nous verrons dans le prochaine épisode que l’inspiration de Williams sait parfaitement faire le grand écart entre toutes ces influences et que l’on peut retrouver dans son œuvre aussi bien des compositeurs russes et tchèques (car ce sont sans doute ceux qui évoquent le plus d’images et de symboles, de Prokofiev à Dvořák, en passant par Tchaïkovsky, Borodine ou Moussorgski) que les Français, avec Debussy, Ravel et même Bartók à deux reprises.

    J’aborderais donc tout prochainement les deux autres immenses chefs-d’œuvre que sont « Rencontres du 3ème Type » et son pendant intime, « E.T., l’Extra-Terrestre », ou comment John Williams a su appréhender le thème des extra-terrestres en réinventant notre vision sur ce sujet.

     

     

     

  • Jerry Goldsmith : Puissance, Mélodie et Chaos

     

     

    Jerry Goldsmith pourrait être le pendant de cet autre grand compositeur et mélodiste qu’est John Williams, car lui aussi a tant œuvré pour le cinéma à Hollywood, en contribuant à rendre immortels de nombreux films, avec ses scores reconnaissables entre tous.

     

    Mais si John Williams l’Américain a d’abord reçu une formation de jazzman, pour Jerry Goldsmith, c’est plutôt du côté du classique qu’il faut aller chercher technique et musicalité. Ses origines juives ashkénaze de Roumanie auront été infusées au fil du temps dans des influences profondément ancrées du côté de la musique d’Europe de l’est, qu’elle soit classique ou populaire et folklorique.

    C’est donc ici que la comparaison avec son illustre homologue s’arrête, car si Williams, le compositeur de « Star Wars », a su avec brio rebondir de thèmes emblématiques en envolées légendaires, il est toujours resté confortablement calé entre jazz et orchestration néo-classique, hormis peut-être pour deux ou trois scores surfant parfois sur le sériel et la dissonance (« Rencontres du Troisième Type », « Images » ou même « La Guerre Des Mondes »).

    Quand Jerry Goldsmith fut capable tout au long de sa très longue carrière de se réinventer sans cesse… Le compositeur à la queue de cheval a exploré et expérimenté, en utilisant pour étoffer ses œuvres à peu près tout ce qui pouvait émettre un son ; de l’électronique, dont il fut l’un des précurseurs au cinéma (« The Illustrated Man » en 1969 ou « Logan Run » en 1976), au bol de cuisine, en passant par un sifflet d’enfant ou encore des croassements de corbeaux (« Damien : La Malédiction 2 »)

     

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    Avec les musiques de « Patton », « Gremlins », « Papillon », « Basic Instinct », « Star Trek », « Chinatown », « Alien », « Rambo », « Poltergeist », « Legend » ou « Le 13ème Guerrier », Goldsmith impose sa patte. Autant de genres et de styles différents pour un compositeur hautement prolifique…

    Arrêtons-nous un moment sur une de ses œuvres en particulier, « La Planète des Singes » de Franklin J. Schaffner sortie en 1968. Sûrement son score le plus fou, le plus ambitieux et le plus mémorable. C’est là où réside toute la versatilité de Jerry Goldsmith qui compose un an plus tôt, en 1967, pour le film « In Like Flint » avec James Coburn, une pop Jazzy et désinvolte, avant de faire un grand écart absolu l’année suivante avec la musique de « The Planet Of The Apes »…

    Jamais percussions furieuses, maelström de cuivres et de sonorités inquiétantes, brutes, n’auront aussi bien collé à des images. Plus que la simple illustration sonore du film, la musique de « La Planète des Singes » constitue une œuvre singulière et puissante, digne de Stravinsky, Ligeti ou Bartok. Si le film de Schaffner est une réussite totale et un véritable ovni dans le paysage cinématographique de l’époque, c’est sans conteste grâce à Jerry Goldsmith qui signe le plus génial des scores du 7ème Art.

     

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    Mais Jerry Goldsmith, ce furent aussi souvent des musiques magnifiques composées pour des films pas forcément tous bons…

    La trilogie de « La Malédiction » avec le fameux Damien, l’Antéchrist, en est le parfait exemple. Car ce ne sont pas forcément des chefs d’œuvre impérissables. Et ces succédanés s’inscrivent plutôt dans la vague opportuniste des films de l’époque qui ont surfé sur le carton mondial de « L’Exorciste ». Il n’en reste pas moins que même si les trois films sont moyens, ce que Jerry Goldsmith a composé pour les habiller nous fait véritablement tomber à la renverse.

    Si vous écoutez les trois scores dans l’ordre chronologique, vous vous apercevrez qu’ils recèlent en eux une logique musicale propre, qui rappelle à certains égards de grandes œuvres classiques, comme dans une symphonie, lorsque l’orchestre se déploie petit à petit pour finir par exploser, alliant la puissance des choeurs au gigantisme du son. Le célèbre thème principal « Avé Satani », scandé par ces chœurs lugubres, en dit long sur la ferveur et le premier degré qui habitaient le compositeur de « Outland ».

    En évoquant le grand Jerry Goldsmith, ce que l’on gardera en mémoire, au-delà de ses compositions mythiques, c’est évidemment cette faculté à sans cesse se renouveler, cette puissance musicale inimitable (« La Momie », « Total Recall », « Capricorn One »), ses inventions (« Logan Run », « The Illustrated Man »), ses fulgurances pour le Space Opera (« Star Trek », « The Last Starfighter », « Explorers ») et un souffle romanesque inégalable (« Chinatown », « L.A. Confidential », « Medecine Man »).

    En substance, l’infatigable inspiration d’un génie discret, artisan magique tant au service des films que des oreilles mélomanes… Et au vue des œuvres composées et de cette facilité à réinventer les poncifs, tout en les sublimant, Goldsmith volait décidément bien au-dessus de la mêlée.

     

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  • Ennio Morricone, l’inventeur de la musique de film

     

     

    Aborder la carrière d’Ennio Morricone, c’est un peu comme avoir l’outrecuidance d’essayer de décrypter le travail de Dieu sur terre.

     

    Voyez-vous, en gros, l’échelle des valeurs, et où s’y situerait le compositeur et chef d’orchestre italien ? Oui, Ennio Morricone est un génie, un dieu, sans conteste le plus grand des compositeurs de musique de film. Souvent copié mais jamais égalé… Il est toujours vivant, et je me fiche de le savoir, en fait, car ses chefs d’œuvre sont bien installés dans l’imaginaire collectif depuis un demi-siècle déjà. Aujourd’hui, le maestro se contente certes de diriger des concerts pour le prestige poli de soirées de gala dans des salles remplies le plus souvent de messieurs et dames qui s’en tamponnent le coquillard de ce qu’ils écoutent. Certes, il a récemment composé un thème original pour faire plaisir à Quentin Tarantino, qui l’utilise dans pratiquement tous ses films. Il y a bien encore de temps en temps une composition pour tel ou tel film plus ou moins oubliable. Vieillard transformé en institution, bardé de récompenses et de médailles en tous genres, Morricone est l’un de ces derniers monstres vivants, à l’instar de Lalo Schifrin, Quincy Jones ou Herbie Hancock, qui ont dans leurs genres respectifs transformé et bouleversé le son des musiques de film, et plus généralement notre sensibilité musicale ainsi que notre goût pour le cinéma.

    C’est dans les années soixante qu’Ennio Morricone surgit, en même temps que John Barry et Lalo Schifrin, dans le paysage un peu routinier de l’habillage musical de film. De nouveaux noms, qui n’étaient pas prédisposés à emprunter cette voie, vont tous partir du même postulat pour accompagner un film et lui apporter une singularité, une identité, ce petit supplément d’âme qui fait la différence. C’est ce que ces nouveaux compositeurs vont justement mettre en œuvre pour faire avancer le cinéma vers une autre approche du ressenti et de l’implication émotionnelle des spectateurs. La musique ne sera plus là simplement comme accompagnatrice ou illustratrice d’une scène, d’un geste ou d’un sentiment, mais bel et bien un personnage à part entière qui influera sur l’histoire elle-même. La musique pourra devancer l’action, elle pourra exprimer beaucoup d’autres choses qu’on ne voit pas forcément à l’écran, mais qui sont censées faire partie de l’univers décrit par le réalisateur. La musique va devenir intuitive, ludique, interactive et installer un dialogue entre l’oeuvre et le spectateur. C’est bien dans les années 60 et encore davantage dans les 70 que le cinéma deviendra toujours plus immersif.

    Le plus souvent, la musique se composait après que le film ait été réalisé, monté et sonorisé. Le compositeur attitré devait se contenter, tel un peintre, d’accommoder ici et là la touche, la couleur et d’habiller les surfaces demandées. Suite à sa rencontre avec Sergio Leone, et la longue collaboration de toute une vie qui s’en suivit, Ennio Morricone allait prendre le problème à l’envers en composant la musique avant que le film ne soit produit. Le réalisateur du « Colosse de Rhodes » avait donc le score de son futur film déjà prêt sur le tournage et articulait ce qu’il avait écrit en fonction de la puissance émotionnelle de ce que Morricone avait composé, projetant ce que le film serait, une fois abouti… Avec « Pour une Poignée de Dollars » naîtra une collaboration qui allait durer huit films. C’est à la lecture de l’histoire ou du scénario que Morricone imaginait en quelque sorte son propre film et son propre ressenti. A l’arrivée, les films de Sergio Leone gagnaient en force, en puissance décuplée, ultra-iconographique et tout faisait sens.

    Au delà de cette approche qui n’appartient sans doute qu’à Morricone, c’est bien la magie exercée par tous ces grands noms de la bande originale de film qui est parvenue à rendre viscérale et entière leur musique, à l’instar d’un John Williams sur une quantité impressionnante de films et leurs thèmes légendaires (« Jaws », « Star Wars », « Superman », « Indiana Jones », « Harry Potter », « Jurassic Park »…), John Barry et les « James Bond », Lallo Schifrin et « Bullit », « Tango », « Mission Impossible », « Mannix ». Des identités musicales indissociables des films qu’elles représentent. Ainsi, la grande force de tous ces compositeurs de génie, à commencer par celle du plus génial d’entre eux, c’est qu’ils ont su évoluer avec les époques qu’il traversaient et s’y adapter.

     

    Jouer et composer à contre-courant d’une mode, comprendre le film et son auteur pour essayer de faire ressortir l’œuvre par l’emploi inédit d’instruments, de voix et de tout ce qu’il était possible de mettre au service de la création pure.

     

    Edda Dell’Orso, la grande chanteuse soprano, fut avec Sergio Leone et Bruno Nicolaï, une autre des contributions majeures au rayonnement de l’œuvre de Morricone. C’est avec « Le Bon, la Brute et le Truand » que leur collaboration démarre, et elle durera le temps d’une centaine d’autres titres qui suivront jusque dans les années 80, avec une des plus emblématiques B.O., celle de « Once Upon A Time In America ». Edda Dell’Orso, c’est cette voix féminine qui semblait descendre du ciel pour y remonter aussitôt et qui a toujours donné un avant-goût d’impalpable, de doux, de mélancolique et de céleste.

    Replongeons par exemple dans la scène d’ouverture de « Il était une fois dans l’Ouest », juste après l’intro et le massacre par une horde de tueurs de toute une famille qui se préparait à un mariage, cette scène dans laquelle Claudia Cardinale descend du train dans une petite bourgade de l’Ouest, en pleine construction. On est censé venir la chercher mais personne ne viendra. Elle attend. La musique commence, douce, cristalline, et constituera le thème récurrent du film, à chaque fois qu’apparait ce personnage : le thème de Jill. La voix d’Edda Dell’Orso fait son apparition. On comprend, avec juste quelques plans et cette musique, que cette femme devait se marier aujourd’hui. La musique continue et semble la suivre, comme une Louma, lorsqu’elle rentre dans la gare pour demander des indications. On la voit ensuite ressortir et la caméra s’envole avec la musique. C’est à ce moment précis, lorsque nos poils se dressent sur les bras et que nos yeux s’écarquillent, embués, que l’on sait que Sergio Leone et surtout Morricone nous feront aimer le cinéma inconditionnellement. La fameuse magie du cinéma…

    Avec sa formation de trompettiste puis de chef d’orchestre classique, ayant fait ses armes en passant par la radio et la télé où il composa des génériques, des jingles, Ennio Morricone saura donc manier toutes ces connaissances pour les fondre ensemble. Pas étonnant que sa musique soit aujourd’hui parmi les plus utilisées par les arrangeurs et divers Dj, pour être mixée et en faire de nouveaux morceaux. Morricone fut en quelque sorte le premier grand mixeur de l’histoire de la musique, un expérimentateur, un sorcier. Dans les années soixante, on assiste aux déferlantes Atonale, Dissonante et Bossa Nova, ce courant musical apparu dans les années 50 au Brésil. Utilisé partout ailleurs comme ce que l’on qualifierait de nos jours de « Musique Lounge », Morricone va quant à lui s’en servir pour composer ses premières musiques de film,  notamment pour des giallos ou des comédies sentimentales, en y injectant des sonorités plus angoissantes.

    Tandis que François de Roubaix, Michel Magne, Pierre Jansen ou Pierre Henry suivaient les traces de Ligeti ou de Stockhausen en France, sans trop savoir où aller avec cette musique dite répétitive et aux premières sonorités électroniques, outre-atlantique, Jerry Goldsmith avait quant à lui déjà bien compris l’utilité de cet héritage, en mélangeant ces sons atonaux produits par des machines avec un orchestre symphonique (« The Illustraded Man », « La Planète des Singes »). Ennio Morricone, plus radical encore et toujours plus moderne, poussait donc l’idée de mélanger tous ces sons et ces influences pour exprimer l’époque et cette ébullition permanente que l’on trouvait aussi bien dans le cinéma (La Nouvelle Vague) que dans la musique (tous les noms précédemment cités) ou dans la mode (Cardin, Paco Rabanne, Courrèges).

    Aujourd’hui, revoir bon nombre de ces films italiens de qualité toute relative souligne le fait que Morricone ne se moquait jamais du film qu’il devait illustrer, comme d’aucun l’aurait fait d’une commande alimentaire. A chaque fois, on est stupéfait de la richesse thématique, mélodique, de la sophistication des arrangements déployés. « Metti Una Sera A Cena », comédie polissonne italienne avec Jean-Louis Trintignant ou bien encore « Crescete E Moltiplicatevi », film d’exploitation italien du début des 70’s, avec histoire prétexte et jeunes femmes dénudées, sont deux exemples frappants de films passables soutenus par une musique assez dingue.

    Ennio Morricone était en fait à l’aise avec n’importe quel genre que l’on pouvait lui soumettre, alors qu’on a un peu trop tendance à le cantonner strictement au rôle de compositeur de musique de westerns spaghetti, et surtout à oublier qu’à l’époque, Bruno Nicolaï (qui oeuvra au côté de Morricone comme arrangeur et orchestrateur pendant plus de vingt ans), Luis Bacalov, Riz Ortolani, Piero Umiliani étaient eux aussi d’authentiques et talentueux compositeurs de musique de film, et que tous ont créé pour des genres très différents, du Giallo au Polar, en passant par le Western ou les films érotiques bon teint. C’est d’ailleurs ce qui fait la force et la richesse de la musique de film transalpine, si on la compare (mais peut-elle être comparée ?) à celle produite en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis.

    L’autre force du cinéma Italien, c’est l’ouverture d’esprit qui a toujours fait tant défaut au cinéma français. Que ce soit pour la musique ou pour les thèmes abordés au cinéma, les compositeurs et réalisateurs n’ont pas de problème avec les étiquettes. Ainsi Morricone a pu passer du film bis d’exploitation à des œuvres à gros moyens et à renommée internationale, avec la même élégance et le même sérieux dans la manière de travailler.

     

    Durant les décennies 60 et 70, le cinéma offrait une totale liberté aux compositeurs. Ce n’est pas pour rien si les meilleurs B.O. de films ont été composées dans ces années-là.

     

    Morricone a tout d’abord collaboré à la production de films italiens dans les années soixante, avant de s’exporter en France dès les années soixante-dix, avec en particulier Henry Verneuil et ses polars louchant justement sur le cinéma italien (« Peur sur la Ville », « Le Clan des Siciliens ») ou américain (« Le Casse », « Le Serpent » ou « I Comme Icare »)… Mais s’il y a des œuvres plus prestigieuses que d’autres, que le public ou Morricone lui-même mettent hélas trop en avant, avec des concerts qui sentent le sapin et le syndrome Charles Aznavour, il y a pourtant d’authentiques chefs d’œuvre un peu passés à la trappe, qui pourtant n’ont jamais perdu de leur puissance, de leur modernité et de leur créativité. Pour faire court, les musiques de « Danger : Diabolik » de Mario Bava, « Le Venin de la Peur » de Lucio Fulci, « Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon » de Elio Petri, « La Dona Invisibile » de Paolo Spinola, « Photo Interdite d’une Bourgeoise » de Luciano Ercoli… Et je ne cite pas les films de Dario Argento, où Morricone a contribué grandement à l’univers torturé et expressionniste du réalisateur de « Profundo Rosso »…

    Ennio Morricone, l’homme aux cinq-cents musiques de film, et peut-être encore d’avantage, puisque l’on découvre tous les jours des musiques composées pour des films totalement oubliés, le stakhanoviste de la B.O., capable de travailler sur trois, quatre ou cinq films par an, n’a jamais démérité ou exercé son talent par dessus la jambe. Retravaillant, recréant, réinventant ou revenant sur des partitions qu’il avait jugées faibles au moment de leur création, pour mieux les faire aboutir sur un autre film des années plus tard, Ennio Morricone a façonné son œuvre comme un tout, avec cohérence et la satisfaction de laisser derrière lui un héritage digne, beau et intemporel.

     

     

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