Étiquette : Jean Seberg

  • Le dernier selfie de Romain Gary

     

     

    « Je pense ne plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie. »

     

    Le 2 décembre 1980, l’écrivain Romain Gary mettait fin à ses jours. Quelques mois plus tôt, il avait tenu ces sombres propos lors d’un entretien accordé à Radio-Canada. A l’occasion du centième anniversaire de sa naissance en 2014, Gallimard publiait « Le sens de ma vie », une retranscription de cet entretien avec Jean Faucher.

     

     

     

    Cheese… on dirait que Romain Gary a fait le choix, lorsqu’il se confie au réalisateur québécois, de disparaître avec le sourire. Car, en cette année 1980, les jeux sont faits, de toute évidence. « Je pense, confie Gary, ne plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie ». Vie devant moi, vie devant soi. Que Gary ne cesse de raconter, pour vaincre le temps dont il se plaint de ne pouvoir maîtriser la course effrayante. Vieillir ? On connaît, sur le sujet, sa religion…

     

    « J’imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi je suis incapable de vieillir, j’ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J’ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais. »

     

    Le voici donc, à quelques mois de la chute finale (il se tire une balle dans la bouche le 2 décembre 1980), qui tire les derniers feux de cette vie d’artifice, racontant à un rythme d’enfer, depuis ses premiers souvenirs de la révolution soviétique – « J’étais couché sur la place Rouge, il y avait des balles qui sifflaient, ma mère s’est jetée sur moi pour me protéger » – les mille facettes de sa personnalité.

    On dirait un guide de musée qui ferait visiter Chambord dix minutes avant la fermeture : enfance russe, passage en Pologne, installation en France. Mais soudain Gary passe en mode ralenti : sa mère entre en scène, l’amour de sa vie.

    On sait, depuis « La Promesse de l’aube », le rôle fondamental qu’a joué la tenancière de la pension Mermonts à Nice. Francophile, Mina Owczynska, qui fabriquait en Russie de fausses étiquettes Paul Poiret pour les coller sur des chapeaux de sa fabrication, est persuadée que son chouchou de fils cumulera les honneurs : « ambassadeur de France » et « grand écrivain français ».

     

    Le Paris de Gary

     

    Romain, pour l’heure, fait surtout du sport. Il excelle dans l’art du tennis de table, publie une nouvelle dans « Gringoire » (Gary écrit depuis l’âge de neuf ans), et monte à Paris. Il gagne sa vie comme marchand de glace, puis comme serveur dans un restaurant russe, et passe ses nuits dans les maisons closes de la capitale, où il interviewe des prostituées pour le compte d’un journaliste qui lui sous-traite le job. Monde fantastique où, dit-il, sa part obscure manque de prendre le dessus.

     

    « Je me suis souvent trouvé à Paris entre deux métiers, n’ayant guère de quoi vivre, je n’avais que deux chemises, je vivais de concombres et de pain et je me souviens d’un épisode particulièrement pénible […] à Miromesnil, un établissement pour dames où à la fois des messieurs pervers et des dames un peu trop libérées à l’époque et trop affranchies venaient pour se satisfaire. Un camarade américain m’avait proposé contre très forte rétribution d’aller en quelque sorte procurer les satisfactions que vous imaginez à ces dames. »

     

    Portrait de l’artiste en demi-mondain, avant de finir mondain tout plein…

    Car l’écrivain semble conduire sa vie comme un amusant bolide, curieux des obstacles et s’amusant des embardées. Avec son premier roman, « Le Vin des Morts » (1937), ouvrage néocélinien que refuse Robert Denoël, il cherche sans succès à se faire un nom dans la littérature.

    Qu’importe, la guerre éclate, donc la promesse d’une mort héroïque. Gary rejoint de Gaulle à Londres. Le Général, que Gary insupporte avec ses manières de voyou de grand chemin et de bandit au coeur noble, lui fait passer un sale quart d’heure. Puis ce seront les missions (dans l’aviation) et la victoire. Auteur d’un livre à succès, il est félicité par le Général. D’être sacré compagnon de la Libération sera, dit-il, le plus beau moment de sa vie.

     

    Gary féministe ?

     

    Fier militaire auréolé de toutes les gloires, il rentre à Nice pour découvrir que sa mère est morte depuis plusieurs années. Gary, dès lors, va mener cette existence brillante mais dont on sent que lui manque le moteur essentiel. Vie de femmes (Lesley Blanch, Jean Seberg), de films (il devient scénariste à Hollywood), d’écrivain (sous son nom et sous celui, entre autres, d’Emile Ajar), de diplomate aussi.

    Dans l’étrange conclusion qui parachève le livre, et où il livre l’explication de sa vie, Gary rend hommage à la féminité qui l’a, dit-il, toujours inspiré.

     

    « Je pense que si le christianisme n’était pas tombé entre les mains des hommes, mais entre les mains des femmes, on aurait eu une tout autre vie, une tout autre société, une tout autre civilisation. »

     

    Gary féministe ? De tous les masques dont il n’a cessé de se parer, il ne manquait plus que ce dernier…

     

    Auteur : Didier Jacob

     

    ✓  « Le Sens de ma vie », par Romain Gary, Gallimard, 110 p., 12,50 euros.
    ✓  Du même auteur chez le même éditeur, « Le Vin des Morts », 240 p., 18 euros.
    ✓  « La Promesse de l’aube (CD) », lu par Hervé Pierre, Gallimard.
    ✓  Un album consacré à Jean Seberg, préfacé par Antoine de Baecque, paraît au Mercure de France.

     

    Romain Gary, né le 8 mai 1914 à Vilnius, de son vrai nom Roman Kacew, est l’auteur d’une quarantaine de livres dont « Les Racines du Ciel » (prix Goncourt 1956), « Les Clowns Lyriques » et, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, « La Vie devant Soi » (Prix Goncourt 1975). Il est mort le 2 décembre 1980, à Paris.

     

     

     

  • Romain Gary et Jean Seberg : un mystérieux mariage

     

     

    16 octobre 1963, à Sarrola-Carcopino, un petit village de 500 habitants dans le maquis corse, sur la route entre Ajaccio et Bastia, Jean Seberg, actrice de 24 ans, épouse Romain Gary, diplomate et écrivain de 49 ans.

     

    La photo d’en-tête d’article sera la seule et unique preuve en image de cet événement. Celui qui l’a prise est un certain « Domy », agent secret. L’acte de mariage sera retrouvé en 2010 sur l’île de beauté. Les rumeurs, légendes et interprétations sont nombreuses autour de ces deux personnages. Jean, enceinte, aurait menacé de se suicider si elle mettait au monde l’enfant avant leur union. Romain Gary aurait donc fait marcher ses relations afin que l’acte de naissance de leur fils Diego date de 1963, afin de dissimuler la grossesse antérieure au mariage. Mais Alexandre Diego est bien né en 1962, le 17 juillet. Pour sauver les convenances, sa naissance est annoncée le 26 octobre 1963. Entre les deux, l’enfant est envoyé en Espagne où il sera élevé par Eugénia Munoz.

    Tout a commencé à Los Angeles en 1959, un peu avant les fêtes, par un véritable coup de foudre entre la petite WASP de l’Iowa et l’enfant de Vilnius en Lituanie. Gary est Consul de France et marié à Lesley Blanch. Jean est marié à un avocat, François Moreuil. Tous deux vont divorcer pour vivre leur amour à la manière de Roméo et Juliette, jusqu’à leurs suicides respectifs. Romain Gary se donnera la mort le 2 décembre 1980 avec un revolver Smith et Wesson de calibre 38, en se tirant une balle dans la bouche après avoir fumé un dernier cigare. Jean Seberg le 30 août 1979.

    Leur mariage, tout autant que leurs morts, ont fait de ces deux êtres hors normes des personnages de roman. Romain Gary laisse derrière lui une lettre mystérieusement datée du « Jour J », dans laquelle est écrite cette phrase sur une feuille retrouvée au pied de son lit : « Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs ». Il faut dire que tous deux avaient refait leurs vies, et pas toujours avec bonheur. En 1979, Jean Seberg s’était remariée avec Ahmed Asni, associé à des trafics de stupéfiants, qui la battait et l’a dépouillée de tout son argent. Portée disparue le 30 août 1979, elle est retrouvée le 8 septembre enroulée dans une couverture, posée à l’arrière de sa voiture, une Renault blanche, tout près de son domicile, rue du Général Appert dans le XVIème arrondissement de Paris. Son mari, Asni, avait déclaré à la police qu’elle s’était enfuie de chez elle toute nue sous son manteau, avec seulement une bouteille d’eau. Etrange déclaration… Dans sa main, les enquêteurs trouvent une lettre d’adieu adressée à son fils Diego. Le rapport d’autopsie indique qu’elle est morte d’une overdose de médicaments mélangés à de l’alcool. Elle avait plus de 8 grammes d’alcool par litre de sang, ce qui est énorme. C’est ce qui rend sa mort douteuse : avec une telle quantité d’alcool absorbée, on tombe dans le coma. Si on sort, on ne pense sûrement pas à emporter une bouteille d’eau ! Malgré tout, l’enquête conclut au suicide.

    Le mariage est tout aussi mystérieux. Aucun des biographes de l’héroïne d’A bout de souffle ou de l’auteur de La Promesse de l’Aube n’a réussi à résoudre l’énigme. C’est un vrai jeu de piste. Le mariage a eu lieu en pleine semaine, pas un week-end, après la rentrée des classes. En plein âge d’or des paparazzi, ce mariage aurait dû faire la Une de tous les magazines, Paris-Match en tête, en France et aux Etats-Unis. Le point de départ de cette longue enquête : une simple photographie en noir et blanc remise par Diego, leur fils, sur laquelle on distingue plusieurs personnes : les mariés bien-sûr, ainsi que trois hommes et une femme. Il s’agit du maire et son secrétaire, du général Charles Feuvrier et de son épouse Françoise, les témoins. Tous morts. Tous, sauf un : le photographe, celui qu’on ne voit pas mais qui est bien là, caché derrière son appareil. C’est lui qui a témoigné pour raconter. Romain Gary organise son mariage comme s’il était encore en mission sous la France occupée : dans le plus grand secret. Pour cela, il utilise les rouages qu’il connaît et les relations qu’il a, celles de ses années dans l’armée. Il demande l’aide et la complicité du Général De Gaulle. Un avion est affrété par les services secrets, direction l’aérodrome d’Ajaccio, en Corse, loin, très loin de la capitale, des médias, là où l’omerta est une seconde nature, sur une terre où les secrets savent être bien gardés, question d’honneur. A leur arrivée, une voiture les attend, avec à son bord le capitaine Domy Colonna Cesari. C’est lui qui, ce jour-là, immortalisera les mariés sur la photo. Aujourd’hui âgé de 94 ans, vivant toujours en Corse non loin de Porto Vecchio, l’ancien colonel et agent de renseignements a enfin livré le secret des amoureux. La presse n’annoncera le mariage que cinq jours après.

     

     

    Interview de Jean Seberg :

    [youtube id= »ssyyBP0LB7I » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

     

    Gary & Seberg, un coup de foudre :

    [youtube id= »NoEkJ6leO6k » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Instant-City-Mariage-en-Douce