Étiquette : H.P. Lovecraft

  • Silence Plateau | The Thing

     

     

    Il y a des films comme ça, parfaits, voire géniaux, mais qui souffrent d’un mauvais timing. « The Thing » en fait partie. Sorti entre « Rencontre du 3ème Type » et « E.T. », il n’a hélas pas tenu la contradiction, à une époque, en 1980, où la mode était aux extra-terrestres super sympas, les messages de paix intergalactiques et les enfants rêveurs.

     

    John Carpenter n’est pas le genre de réalisateur à surfer sur de quelconques vagues commerciales ou des opportunités du même acabit. Ce qu’il voulait à l’origine, c’est surtout faire le remake d’un film de 1951 de Howard Hawks, avec une de ses rares incursions dans le fantastique et l’horreur, « La Chose D’un Autre Monde ». Dans ce film d’exploitation, le réalisateur de « Fog » y voyait l’opportunité de pouvoir pousser beaucoup plus loin l’idée du péril et de l’invasion extra-terrestre, en mettant en image l’esprit de l’un de ses romanciers favoris, à savoir H.P. Lovecraft.

    Avec cette histoire simple et linéaire, son unique décor et sa poignée de personnages bien trempés, son maquilleur de grand talent, Rob Bottin, « The Thing » a tout d’un film à ranger sur la même étagère que « L’Exorciste », « Massacre à la Tronçonneuse » ou « Evil Dead ». Une maîtrise totale de son sujet, un traitement au premier degré, où l’on croit totalement à ce que l’on nous montre.

    A la grande différence de ses illustres modèles comparatifs, qui dans des mises en scène inspirées, illustraient cependant l’horreur en ne faisant que suggérer au lieu de nous montrer, laissant alors au spectateur le soin d’imaginer et de croire avoir vu, John Carpenter opte quant à lui pour la démonstration frontale. C’était là la grande idée folle qui enfin pouvait dire d’une certaine façon ce que l’inventeur de Cthulu et ses hordes de visions cauchemardesques exprimait à longueur d’écrits soixante-dix ans plus tôt.

    « The Thing » devait donc être un film avec un « méchant » extra-terrestre. Un méchant comme on ne l’avait encore jamais vu sur un écran de cinéma. Ce que les spectateurs à l’époque ne souhaitaient donc plus voir… Encore une fois, le film sort en salle trop tard puisqu’avec cette nouvelle décennie, voici l’avènement d’un cinéma plus mainstream, plus familial et où il faut des films qui se terminent bien, avec des héros positifs et des messages à visée universelle.

    Ce que raconte « The Thing », c’est tout bonnement la fin du monde, avec ce final nihiliste où l’on comprend donc que tout le monde va y passer. Tous les ingrédients étaient pourtant là pour aboutir à une réussite absolue. Ce qu’est de toute façon le film… Son acteur fétiche, Kurt Russell, un score atmosphérique et angoissant signé par Ennio Morricone, des effets spéciaux (en latex et animatronique) spectaculaires réalisés par Rob Bottin, et un scénario sans faille…

    Un bide…

    C’est au cours des décennies suivantes que « The Thing » va gagner ses galons. D’abord découvert en VHS par les ados de l’époque, puis de ressortie en ressortie, il est devenu le film le plus plébiscité de la filmographie de Carpenter. Il était réédité de nouveau en 2016 en version restaurée et force est de constater qu’il faisait toujours aussi peur. Cette peur viscérale aussi bien qu’irrationnelle. La peur du noir, de l’inconnu, mais aussi de toute sorte de psychose, de paranoïa, de l’autre, en fait.

    Hommage donc évident à Lovecraft, de par son ambiance gothique et malgré une histoire qui se déroule en Antarctique, des visions de cauchemars avec leurs diverses transformations physiques, son climat étouffant, paranoïaque et psychologique, « The Thing » crée aussi bien le malaise que la stupeur, en particulier lors des scènes d’attaque du monstre. Parce que oui, c’est là un superbe film de monstre, que l’on nous montre sous toutes les coutures, sous ses différents aspects, et Dieu sait s’il y en a beaucoup et que pas une scène où il intervient n’est identique aux autres.

    Il est amusant de voir de nos jours toute une palanquée de réalisateurs se revendiquant d’un cinéma 80 ; les plus illustres, tels J.J Abrams ou le dernier en date, Jeff Nichols avec son insipide « Midnight Special », nébuleux hommage à Spielberg. Tous hélas ne gardent que ce goût pour un merveilleux bleuté et évanescent, mais sans message ni empathie. Ou même encore une boursouflure comme « The Revenant » dans lequel Inarritu tente la pièce montée ultime en remplissant de force son gâteau avec trop d’ingrédients finalement inutiles.

    Plus attiré par les beaux plans et leurs cinégénies que par un fond et ce qui restera plus tard dans les tripes du spectateur, le réalisateur de « Birdman » ne s’intéresse qu’à l’œil et à l’instant, au lieu de penser à après et à ce que cela produira dans l’inconscient collectif. Comparer Inarritu et son film bourré d’infographie qui tente de singer Terrence Malick avec celui de Carpenter, pourquoi pas, puisque l’on y parle de la même chose finalement, soit la survie en milieu hostile et la loi du plus fort.

    Mais l’un est allé à l’essentiel, en privilégiant des scènes fortes parfaitement connectées avec le sujet. Quant à l’autre, il s’embourbe dans l’afféterie et des tas de références ou d’emprunts. Inarritu ne conçoit pas l’histoire mais seulement sa mise en scène, où tout est pensé sur le principe du dispositif et de la surenchère stylistique. Un comble puisque « The Revenant » est aussi gore que « The Thing » mais paradoxalement jamais viscéral.

    John Carpenter, réalisateur souvent mal aimé puis récupéré in extremis par une certaine intelligentsia, a toujours maîtrisé ce qu’il faisait et su ce qu’il avait envie de faire. Ses films, et surtout « The Thing », sont toujours d’une parfaite cohérence doublée d’une beauté tranchante et froide, comme la mort.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • H.P.Lovecraft, l’innommable dompté

     

     

    Sans H.P. Lovecraft, il n’y aurait ni Steven King, ni John Carpenter, ni Clive Barker.

     

    En clair, il n’y aurait aucun de ceux qui, à partir des années soixante jusqu’à nos jours, ont écrit ou réalisé sur les thématiques du fantastique insondable, de l’horreur viscérale, de l’abomination comme échelle de valeur. De tout ce qui fait peur de manière la plus irrationnelle.

    Cet écrivain qui ne rencontrera jamais la consécration de son vivant a tout de même bâti une nouvelle mythologie à base de déités funestes et antédiluviennes, d’êtres et d’organismes ignobles aux intelligences supérieures qui, tapis dans les ténèbres, peuvent attendre des millénaires avant de refaire surface parmi les humains. De revenir enfin et de prendre leur revanche sur l’homme et sa sotte supériorité.

    Howard Philip Lovecraft est une sorte de pendant à Edgar Allan Poe, dans la mesure ou l’autre écrivain américain, son aîné, auteur de « L’enterré vivant », créait la peur avec toujours une explication rationnelle à la fin de ses récits. Lovecraft, quant à lui, développe sur des bases rationnelles des récits qui progressivement glissent vers l’innommable et l’impensable, qui se terminent toujours sur des explications et des révélations qui dépassent l’entendement, avec la folie de tous ceux qui ont voulu comprendre, comme seul échappatoire.

     

    Perdre la raison parce que la vérité était d’ordre cosmique et infini…

     

    Lovecraft, c’était l’art de faire avec du vieux (fantôme, vampire, bestiaire horrifique et autres lieux hérités de la grande période littéraire gothique) de nouveaux récits, et redéfinir entièrement la syntaxe même de l’art du récit d’horreur. Parce que le génie ou la folie de cet auteur était d’inclure pratiquement tous ses écrits non pas dans des romans ou des nouvelles, ou encore des contes uniques et indépendants, mais en une grande, vaste et même histoire. Et faire croire que tout ce qui était conté était vrai, plausible, là, à quelque kilomètres de chez vous.

    C’est cela qui rend l’ensemble, même aujourd’hui, si effrayant, si bluffant, quant à savoir si cela est vrai finalement ou pas. C’est cette manière ordonnée, précise dans l’écriture, où les faits sont classés un à un de manière si rigoureuse, si implacable.

    Le créateur du Nécronomicon réussit donc non seulement à inventer un nouvel alphabet avec le principe de faire peur, mais il va encore beaucoup plus loin puisqu’il remet en cause toute notre histoire humaine, notre monde, notre univers tel que nous le connaissions jusqu’à présent. Jamais donc auparavant un auteur, un romancier, aura eu cette arrogance, cette pertinence et ce degré de folie, surtout par le thème qu’il aborde : le récit fantastique.

    Dans la réalité, Lovecraft semblait être un pur produit de son époque, soit un blanc américain, raciste, antisémite, vivant dans la peur absolue de l’autre, de celui qui est différent ou qui vient de l’étranger, d’une autre culture. Bref, Lovecraft, c’était les années d’avant la deuxième guerre mondiale, avec la montée du nazisme, la grand dépression, la crise et la pauvreté qui frappaient tout le monde. Vous me direz que tout cela n’a pas vraiment changé aujourd’hui, mais à la différence que cet écrivain, sans vraiment le savoir, s’est nourri de ses propres névroses, de son cortège de phobies dans lequel il stagnait, pourrissait, pour finalement accoucher en partant de l’horreur ordinaire à une horreur supra-humaine.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

  • Nous allons tous très bien, merci | Daryl Gregory (Le Bélial 2015)

     

     

    Il est facile de trouver dans la littérature ou le cinéma des histoires de tueurs en série imaginatifs. Daryl Gregory, lui, s’intéresse à leurs victimes, qui « feraient bien d’entamer une sérieuse thérapie après la fin du générique ». C’est de cette thérapie qu’il est question dans ce petit roman dont l’angle d’approche fait toute l’originalité.

    Organisée par Jan Sayer, psychologue, le groupe de parole réunit Harrison, traumatisé dans son enfance et héros de roman malgré lui. Barbara, dont les os portent un message gravé par son bourreau. Stan, rescapé d’une famille de cannibales. Martin, dont les zombies d’un monde virtuel auquel il est accro ont fait irruption dans son quotidien. Greta enfin, silencieuse et mystérieuse, marquée de scarifications, qui divise le groupe.

    A travers le regard de chacun, on assiste à l’émergence du groupe et de bribes de ce que chacun a vécu puis fait de son passé et de son corps. Le roman offre de multiples références littéraires (Lovecraft) et cinématographiques (« la colline a des yeux », « Seven », « Ring », « The Cell ») et s’autorise l’irruption du fantastique. L’auteur laisse à l’imaginaire complice du lecteur le soin d’étoffer ce court et surprenant roman.

    Myriam