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  • The Mandalorian : que reste-t-il de nos… Star Wars ?

     

     

    C’est acté, confirmé, tamponné, on peut le dire aujourd’hui, la reprise de la licence Star Wars par Disney s’est soldée au cinéma par ce gâchis manifeste que nous connaissons. C’est en effet dans la précipitation et le souci de récupérer au plus vite les quatre milliards consentis à George Lucas pour acheter son bébé cosmique, que la firme aux grandes oreilles met en chantier une nouvelle trilogie dès 2013, juste après la coûteuse acquisition, et sans tenir compte pour autant du fameux adage : « il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ».

     

    En ne prenant absolument aucun risque avec le matériau de base et afin de rallier à sa cause un maximum d’adeptes, on lisse au maximum, on ripoline, on ponce, pour que rien ne dépasse et que ces nouveaux épisodes soient en parfaite cohérence avec l’état d’esprit du moment. Ainsi, tous les choix artistiques et scénaristiques qui sont faits vont certes permettre à l’Episode VII (le premier épisode de cette nouvelle trilogie) de casser la baraque (à frites) lors de sa sortie, mais vont en revanche déboucher sur la gabegie des deux épisodes suivants.

    Car en fait, rien n’a jamais été maîtrisé dans cette histoire. L’Episode VIII contredit tout ce que son prédécesseur a cherché à déployer et l’Episode IX, quant à lui, tente désespérément de rattraper les aberrations de l’épisode précédent. Au final, on secoue tout ça et on obtient une nouvelle trilogie qui ne raconte rien, qui n’aboutit à rien et qui laisse dans son sillage un fumet nébuleux qui peut presque évoquer le pet contrarié. Et « sploutch » fit le bateau qui coule…

    Car le constat est bel et bien sans appel. Entre l’ennui poli de la presse et de quelques aficionados circonspects ou l’hystérie collective de tous les autres fans, se sentant une fois de plus trahis, bafoués, floués, sodom… (non quand même pas…), ces nouveaux Star Wars, loin des étoiles, mangent le bitume.

    Mais c’est mal connaître la souris obèse, gavée aux stéroïdes et divers anabolisants. En réaction à cette Bérézina, cette dernière dégaine en amont une série destinée à sa propre chaîne Disney+. Un programme qui promet de renouer avec l’esprit d’antan, ce fameux côté « Western » que certains aiment évoquer afin de définir la fable de George Lucas… Et c’est exaspérant.

    Tandis qu’au cinéma, les différentes tentatives (ersatz) et divers spin-off qui suivirent dans le sillage des trois épisodes de la nouvelle trilogie furent globalement conchiés, hormis peut-être « Rogue One », qui reste à ce jour le succédané préféré de toute cette nouvelle génération de films sans George Lucas aux manettes, « The Mandalorian », produit pour la chaîne de Mickey, va très rapidement prendre son envol et réussir à empapaouter les plus revêches des idolâtres, et même les plus hardcore. La magie (noire…) Disney a encore fonctionné…

    Toujours dans ce souci d’essorer jusqu’à la corde le moindre élément, personnage ou intrigue parallèle qui se rattacheraient à l’univers spatial, les studios ont dès le départ projeté de faire figurer à l’écran chaque personnage emblématique de la saga originelle. l’Episode VII cartonne, « Rogue One » marche très bien, il n’y a donc aucune raison que cela ne dure pas. Les executives semblent avoir le Mojo… Mais après le tollé contre « Le Dernier Jedi », et ce malgré ses excellents chiffres, c’est « Solo », le deuxième spin-off, qui trinque en se prenant méchamment le caniveau. En même temps, il faut admettre que ce film n’est franchement pas très bon…

    Branle-bas de combat, Disney va devoir sérieusement revoir la stratégie de gavage d’oies qu’elle avait mise en place, s’appuyant en principe sur la sortie d’un film par an. Pour ceux qui ne sont pas au fait de la nomenclature de la saga vieille de plus de quarante ans, il faut savoir que l’univers de George Lucas est si vaste que l’on peut sans problème imaginer pouvoir en exploiter le moindre recoin, afin d’en tirer de nouvelles aventures, et ce pendant encore une bonne centaine d’années.

    Mais la magie de « Star Wars » réside aussi dans l’attente. Avant, il fallait en général patienter trois bonnes années pour découvrir un nouvel opus dans les salles. En voulant désormais balancer du Star Wars à tout bout de champ, quitte à y proposer des histoires aussi peu innovantes, il y a forcément un risque de lassitude, voire même d’effondrement de l’édifice tout entier… Pourtant, « The Mandalorian » va s’évertuer à raviver cette flamme qu’entretenaient tous les déçus des pré et post-logies.

     

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    Premier constat après la fin de la première saison…

    Conçue comme un tube de pommade géant, cette première salve d’épisodes live, en s’élevant sur les ruines de ce que fut une part de notre enfance, va n’avoir de cesse que de nous caresser dans le sens du poil. Un bout de décor, un robot, un nom ou une des nombreuses créatures aperçues quelques secondes auparavant dans l’univers classique de Star Wars et hop, ça fait la blague et ça permet surtout de donner la matière à un épisode entier.

    Racoleuse telle une prostituée de la rue Saint-Denis, avant que tout le quartier ne s’embourgeoise, la série « The Mandalorian » va tenter de nous aguicher en brandissant de belles formes et de nombreuses promesses. Certes… Le public, conditionné sur plusieurs générations, en est arrivé à un tel niveau de fétichisme que c’est avec une facilité déconcertante que les scénaristes n’ont qu’à torcher vite fait bien fait sur un bout de nappe n’importe quelle intrigue digne d’un épisode de « Babylone Five », avec comme simple cahier des charges le principe de bourrer chaque épisode de tout ce qui avait servi dans les vieux « Star Wars » de l’époque. « Ah, je me souviens avant, c’était du latex, des maquettes et des décors en dur… C’était quand même autre chose ! », s’écrit le fan nostalgique et neurasthénique.

    Oui, « The Mandalorian » va vous resservir exactement ce que vous avez commandé à Noël, poussant même la putasserie jusqu’à faire apparaître à un moment un véhicule jamais vu dans aucun des films « Star Wars », et créé uniquement pour être ensuite vendu comme jouet (un transporteur de troupe impériale)… C’est donc ça, « The Mandalorian », un coffre à jouets d’où vous ressortez vos figurines et vos vaisseaux spatiaux, pour faire mumuse ; « pzzzziiichw, pzzzziiichw, tuuuuvzzz, tuuuvzzz ! ».

    Des scripts indigents, des péripéties tout droit sorties du cerveau d’un enfant en train de jouer dans sa chambre… On nous fait certes miroiter un semblant de cohérence dans le premier et les deux derniers épisodes, avec des morceaux de bravoure enthousiasmants, mais qui tombent hélas à plat, après que l’on se soit enquillé un long tunnel d’action et de péripéties forcées, archi-déjà vues et aussi captivantes que des séries des années 80. Tout n’est que remplissage et embouteillage de lieux communs.

     

    Et sinon, « The Mandalorian », ça raconte quoi, au juste ?

    Au départ, si tout se passait bien avec les productions pour le cinéma et si « Solo » se devait d’être en toute logique un carton au box office, il était également prévu que l’on mette en chantier un film consacré au célèbre chasseur de primes, Boba Fett, aperçu la première fois dans « L’Empire Contre-Attaque ». Mais vu l’accueil en salle pour le moins glacial du film « Solo », sur la genèse de notre vaurien préféré, les pontes de la firme, plus rats d’ailleurs que souris, ont finalement vite rétro-pédalé. Il en a d’ailleurs été de même pour un éventuel film sur Obi Wan Kenobi, qui lui aussi verra ses aventures narrées sur le petit écran.

     

    A moins que…

    Jon Favreau, d’abord acteur puis réalisateur et producteur, se revendique fan absolu de « Star Wars », un peu comme J.J. Abrams d’ailleurs, ou comme tous ceux qui s’approchent de cet objet et qui ont, à leur corps défendant, juré (voire craché par terre) avoir la sève « Star Wars » qui coule dans leur veine depuis toujours.  Bref, Jon Favreau tente à son tour de mettre en image cette lointaine galaxie, tout en nous faisant croire qu’il connaît et comprend mieux que quiconque ce qu’est Star Wars.

    Il va ainsi imaginer, cette fois-ci pour la télé, une mini-série, non pas autour de Boba Fett, mais de l’un de ses homologues casqué et résolument badass. Une totale création, puisque ce personnage n’apparaît nulle part ailleurs. Les fans sont sceptiques. Ils ne le seront pas longtemps. On leur promet de revenir aux fondamentaux, au Star Wars des origines, avec plein de sable et de poussière, et un petit plus en prime. Un supplément d’âme, peut-être ?

    C’est bien le mot d’ordre qui semble pourtant s’imposer comme ultime gage de qualité, afin de rassurer à coup sûr les réfractaires, à chaque nouvelle tentative de ressusciter la magie d’antan ; « être fan » et « comprendre ce qu’est Star Wars »…

    En effet, ce qui saute ici rapidement aux yeux, c’est le soin apporté aux détails, à la moindre référence, qui ne sert plus seulement de prétexte mais de vrai élément sociologique. Totalement immersif, avec le souci d’exploiter et de rendre tangible un écosystème, « The Mandalorian » peut parfois donner l’impression d’être tout bonnement un documentaire sur cette lointaine galaxie. En ne s’intéressant plus aux grandes figures de la saga, ces héros légendaires et les enjeux démiurgiques qui s’y rattachent, on se rapproche davantage d’une évocation de protagonistes moins ambitieux et de leurs petites existences insignifiantes. Admettons…

    Il aurait pourtant été plus audacieux de confier la production de ces nouveaux projets, à savoir les films ou les séries produites pour la télé, à des réalisateurs peu ou prou spécialistes de la question. Cela aurait permis d’apporter un regard résolument neuf sur cette vieille franchise, avec de nouvelles  idées, des concepts différents et d’autres directions. Cela aurait évité le sur-place, les redites et cette impression fâcheuse de voir encore et toujours le même film, avec les mêmes enjeux et les mêmes trucs de magicien essoufflé et bouffi… Or ici, la seule excuse exprimée, déguisée en fausse modestie, c’est que l’on ne nous servira pas cette fois de grandes figures au destin shakespearien, mais des protagonistes de « Plus Belle la Vie », mais dans les étoiles… Ok…

    L’idée maîtresse de « The Mandalorian » ne va donc pas être de révolutionner Star Wars. Oh La La, non, surtout pas… Car encore une fois, il ne va falloir surtout prendre aucun risque et rester bien sage dans son coin.

     

    Être Mandalorien ou ne pas être…

    Le concept de ce programme se résume donc à évoquer un personnage totalement inédit, mais affichant un look fort reconnaissable, et qui évoluerait dans des décors au premier abord évidents, pour tous les orphelins en manque de Starwarzeries, tels des junkies en manque de crack.

    Il va ainsi suffire aux scénaristes de tout bonnement recycler tout ce que l’on a vu auparavant, surtout dans la première trilogie et notamment sur la planète Tatouine. A savoir, des paysages désertiques, des Jawas, des hommes des sables et autres bars remplis de dangereuses créatures, le tout dans cette ambiance très « Western » qui n’est plus simplement appuyée, mais assénée au marteau-piqueur.

    Affublé également d’un baby Yoda, une mignonnerie que tous rêvent de posséder en porte-clé, le héros, sorte de rônin tout droit sorti du manga « Baby Cart », dont il reprend également tous les codes, poursuit une quête dont on ne connaît toujours pas les tenants et les aboutissants, arrivé au terme de la première saison. Avec ce mini Yoda (idée cadeau imparable pour les prochains Noël), on rajoute artificiellement un enjeu aux protagonistes, qui sans but véritable, se traînent d’épisode en épisode. Enfin, « se traînent », zigzaguent plutôt, puisqu’entre une énième planète-forêt puis une planète de glace, nos héros reviennent sans arrêt sur Tatouine. L’imagination débordante des scénaristes atteint vite ses limites…

    Quant aux premiers épisodes de la saisons 2, on nous en met plein les yeux, à grands coups de visuels et d’effets spéciaux. Tout est tellement léché qu’il ne manque pas une bandelette de cuir sur les masques des Tuskens (hommes des sables). Pourtant, une fois encore, malgré les somptueuses ballades dans ce monde familier et les scènes d’action qui vont à 200 à l’heure, tant au niveau du scénario que de l’intrigue principale, paradoxalement, on fait encore du sur-place.

     

    Retour sur la genèse du projet

    A l’origine, le chasseur de primes Boba Fett n’était pas censé devenir un personnage essentiel. Apparu dans « L’Empire Contre-Attaque », il devait juste servir de relais, malgré son look intrigant, pour finir par disparaître purement et simplement dans « Le Retour du Jedi ». Mais il est pourtant très vite devenu culte… Au point d’ailleurs qu’il revient successivement dans « L’Attaque des Clones » et « La Revanche des Sith », la prélogie de Lucas, dans laquelle sont évoquées ses origines comme le rôle prépondérant de son père, qui initiera la constitution d’une armée de clones, afin de servir les desseins du futur empereur Palpatine.

    Bref, tout cela est tiré par les cheveux, certes, mais Lucas veut avant tout faire plaisir aux fans, en faisant de nouveau appel à ce personnage, dont l’aura et le mystère grandissent d’année en année…

    Pour « The Mandalorian », on va donc découvrir un nouveau personnage, qui revêt le même accoutrement que son illustre homologue. Et on va en savoir un peu plus sur ce peuple et ses motivations, voué à l’art de la guerre et obéissant à une philosophie spartiate, où tout n’est qu’honneur et sacrifice. Fort bien…

    L’histoire qui nous intéresse se situe dans le temps juste après la bataille d’Andor et la chute de l’Empire, soit entre « Le Retour du Jedi » (Episode VI) et « Le Réveil de la Force » (Episode VII), avec l’avènement de la nouvelle république. On peut tout de même regarder sans trop de déplaisir ce programme, où on nous plonge dans un bain amniotique. Tout ici est conçu pour nous plaire, nous autres, vieux nostalgiques de ces films que l’on a plus imaginés que réellement vus.

    Mais reste que « The Mandalorian » est un objet mort, une dent dévitalisée. Au mieux, on a l’impression d’être dans un jeu vidéo, mais sans pouvoir pour autant y jouer, dans lequel le protagoniste avance de mission en mission, jusqu’au tableau suivant, avec toujours un « boss » à dégommer pour franchir le niveau. Chacun des épisodes est conçu de cette manière. Ça semble pourtant fonctionner, tant on entend partout que cette série est une pure réussite et s’avère finalement être exactement le Star Wars que l’on était en droit d’attendre. Soit…

    Avec les bouleversements économiques liés à la Covid 19 et le marasme qui s’est abattu (entre autres) sur l’industrie du cinéma, là encore, Disney l’a joué fine, personnel et  surtout en mode « après moi le déluge ». Disney a d’une part rapatrié sur sa chaîne, voire rendu disponibles en VOD, toutes ces productions initialement conçues pour le cinéma. Fort du succès de « The Mandalorian », le studio est en train de mettre un coup d’accélérateur à tous les futurs projets liés au concept « Star Wars », et ce uniquement pour le petit écran. Adieu, donc, les salles de cinéma. Quand on sait que Disney au cinéma, c’est 30 % du chiffre annuel global. Ouch, ça pique un peu…

    Il est même question de démultiplier désormais le format feuilletonesque, ce qui ne devrait d’ailleurs pas choquer les puristes, puisqu’à l’origine, en créant « Star Wars », George Lucas souhaitait rendre hommage aux serials de son enfance (« Flash Gordon », entre autres), des programmes diffusés à la télévision, justement.

    Oui, Star Wars va devenir un produit comme un autre, pas meilleur, pas pire que n’importe quelle série disponible sur une plateforme quelconque, que le spectateur va consommer placidement, sans trop se poser de questions. Finis, donc, l’événement, les recherches technologiques, les effets spéciaux inédits, l’exception, le sentiment d’assister à quelque chose de rare ou d’exclusif.

    La science-fiction n’a pourtant pas complètement été sabordée, puisque les espoirs sont désormais placés ailleurs. On a d’abord eu, début octobre, sous la houlette de celui que l’on croyait fini, sénile même, Ridley Scott, « Raised by Wolves », sa série en dix épisodes, parfois inégaux mais pleins de promesses, de visuels, d’images hallucinantes et d’idées tant folles que stimulantes. Et puis, en 2021, on attend avec impatience « Fondation », une série adaptée des livres d’Isaac Azimov, que l’on peut voir comme le nouveau « Dune ». Ces séries cossues  et spectaculaires viendront, on peut imaginer, rebattre les cartes, de par leur ambition et les enjeux qu’elles traitent.

    En ce qui concerne notre amour immodéré, voire irrationnel, pour ce que George Lucas a créé et mis au monde depuis « La Guerre des Etoiles » en 1977, ce qui est sûr, c’est que face à autant de contradictions de la part des fans en général, il ne sert à rien d’espérer davantage désormais de cette franchise. Il faut juste se contenter de fantasmer Star Wars, tel un mirage, une malédiction dont on est tous devenu fous. Car oui, Star Wars, c’est le tonneau des Danaïdes…

     

     

     

  • Brian de Palma : Le cinéma réflexible

     

     

    Rétrospectivement, il y a plusieurs façons d’appréhender le cinéma de Brian de Palma, car certains pans de son œuvre nous questionnent sur ce médium, tant comme divertissement que sujet de réflexion. Tout au long de sa filmographie, le réalisateur de « Carrie » n’a eu de cesse que de proposer des œuvres tour à tour référentielles ou purement formelles, dérangeantes, innovantes ou mettant en avant des idées militantes, voire polémiques.

     

    Issus d’un mouvement baptisé le « Nouvel Hollywood » qui, dès la fin des années 60, va durant toute la décennie suivante remodeler le paysage cinématographique américain, dans sa manière de filmer et de raconter une histoire, et de par les sujets abordés, rendre le cinéma peut-être plus adulte, plus concerné par la réalité sociale et économique du pays, les jeunes réalisateurs qui vont apparaître à cette période auront tous cette façon viscérale, organique, de traiter leurs sujets, mais surtout d’interroger le cinéma.

    Brian De Palma va appartenir à cette prestigieuse bande d’amis, et surtout de cinéastes en devenir, tels que George Lucas, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg et Martin Scorsese. Tous partagent de grandes aspirations quant à cette passion qui les dévore. Avant tout des cinéphiles nourris au cinéma européen, qu’il se nomme « Nouvelle Vague » en France ou « Néoréalisme » en Italie, ils vont transcender, chacun avec sa propre sensibilité, le 7ème Art. Mais ça n’est pas simplement sous l’impulsion de leur goût pour les films venus d’Europe… Il va s’agir d’une vraie prise de conscience, d’un choc, qui vont trouver leur sens et faire écho à des événements liés aux États-Unis eux-mêmes.

    Comme beaucoup de cinéastes de cette époque, avant la guerre du Vietnam et ses répercussions, il y a surtout le 22 novembre 1963, date fondatrice. Ce jour-là, des millions de téléspectateurs assistent en léger différé à la télévision à l’assassinat de John F. Kennedy… Cette scène, filmée en Super8 par un caméraman amateur, constituera le premier film gore du cinéma américain et va rentrer dans l’imaginaire collectif, en imprimant les rétines à tout jamais ; le président des Etats-Unis abattu d’une balle dans la tête, et ce morceau de crâne que l’on voit s’en détacher, alors qu’il est en train de saluer la foule venu l’accueillir à Dallas. C’est un électrochoc pour toute une génération de réalisateurs, et bientôt une nouvelle manière de penser les images et ce qu’elle disent. La mort d’un homme en direct à la télévision va tout simplement bouleverser la manière de concevoir un film.

    Jusqu’à cette sombre date du 22 novembre 1963, certaines images ne pouvaient en aucun cas être montrées à l’écran, telles que la représentation crue de la nudité, de la violence et même du sang. En 1967, le réalisateur Arthur Penn va être un précurseur, avec son film « Bonnie and Clyde », en figurant des impacts de balle qui sonnent vrai. Le sang est omniprésent et le film, à sa sortie, connaît un véritable retentissement, puisque non seulement son contenu est graphiquement très violent, mais de surcroît les héros du film sont les méchants de l’histoire et la police, dans une inversion des rôles, ceux que l’on déteste. On n’avait encore jamais vu cela au cinéma.

     

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    En 1970, c’est aussi ce même réalisateur qui traitera dans son film « Little Big Man » du génocide des Amérindiens. Là encore, on sera bien loin du cinéma de John Ford ou de Howard Hawks, avec cette bonne vieille ganache de John Wayne, l’ultime symbole de la suprématie blanche hégémonique et triomphante.

     

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    Oui, le cinéma est bel et bien en train de muter et cette révolution, plutôt que d’être contenue, est acceptée par les grandes majors, qui voient ici le moyen de redevenir une industrie forte et prospère, après avoir perdu de sa superbe avec l’avènement de la télévision dans les foyers américains. Le temps des westerns et des comédies musicales est révolu…

     

    Après une série de courts-métrages réalisés durant ses années passées en tant que jeune professeur de cinéma, Brian De Palma commence à tourner des longs-métrages dès la fin des années 60, notamment avec un débutant prometteur, Robert De NiroGreetings », « The Wedding Party », « Hi Mom! »). Et c’est d’ailleurs avec le film « Greetings » que De Palma remporte son premier succès public et critique, ce qui va lui ouvrir les portes des grandes majors. C’est un film sur la guerre du Vietnam, mais surtout une comédie qui traite de l’obligation morale de s’enrôler dans l’armée pour aller combattre.

    Ainsi, au lieu d’assister dans « Greetings » à des combats valeureux et des scènes où de vaillants Américains clament à la face du monde pourquoi il faut faire la guerre au nom de la liberté, cette oeuvre fondatrice évoque en fait une bande d’amis qui va tout faire justement pour ne pas avoir à la faire. Si le film est caustique et traite d’un sujet grave qui s’appuie sur des intentions légères, on y perçoit pourtant toute la matrice du cinéma de De Palma, dont fait déjà partie l’assassinat de Kennedy. En effet, De Palma fut durablement marqué par ces deux évènements historiques majeurs, et probablement plus encore que les autres cinéastes de sa génération, et il n’eut de cesse que de déployer ensuite, tout au long de son œuvre, les thèmes de la paranoïa, des faux-semblants et du mensonge.

     

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    De Palma fut précurseur de ce mouvement que l’on va donc dénommer rétrospectivement le « Nouvel Hollywood », et d’autres réalisateurs vont lui emboîter le pas, en proposant des films totalement en dehors des moules et des canons en vigueur dans l’industrie du cinéma à cette époque. La guerre du Vietnam va aussi passer par là, avec son lot de traumatismes qui vont venir imprimer durablement l’inconscient de tout un pan de ces jeunes réalisateurs. En ce qui concerne les noms précités, leurs aspirations vont très vite se démarquer de celles de leurs coreligionnaires : Hal Ashby, Alan J. Pakula, Sydney Pollack, Milos Forman, Sydney Lumet, Jerry Schatzberg, Nicolas Roeg, William Friedkin, ou même celui qui fut considéré comme le fossoyeur de ce courant, Michael Cimino, avec son film « La Porte du Paradis » à l’aube des années 80.

    En 1972, De Palma réalise « Sœur de Sang » avec Margot Kidder, la future Lois Lane de « Superman ». Au-delà de ses velléités et de ses engagements vis-à-vis de la politique de son pays dans laquelle il ne se reconnaît pas, il lorgne alors vers un cinéma tout en référence, en emprunt et en hommage. Il va s’agir de variations sur des thèmes, des films et des réalisateurs qui ont créé des formes nouvelles, à commencer par Alfred Hitchcock, qu’il vénère par dessus tout, mais surtout Fritz Lang (sorte de matrice du cinéma à lui tout seul). Imaginez Bach et son apport à la musique, puis des tas de petits Mozart qui suivraient derrière…

    « Sœur de Sang » sera ainsi le premier film d’une longue liste d’œuvres, que l’on peut citer comme sa série « maniériste », auquel succèderont « Obsession », « Pulsions », « Blow Out », « Body Double », « L’esprit de Caïn » et plus récemment, « Passion » en 2012. Totalement obsédé par le cinéma du réalisateur de « Vertigo », il n’aura alors de cesse que de disséquer les films d’Hitchcock.

     

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    Pourtant moins cité dans ses listes d’influences et de chocs esthétiques, il y a également Dario Argento et ses films « Profondo Rosso », « Suspiria » et « Inferno », avec leur façon de destructurer un récit en mélangeant, comme dans un grand trip onirique, les références artistiques, la photographie et surtout le ressenti, l’ambiance. Alors que le réalisateur transalpin est contemporain de son homologue américain, il va durablement influencer ce dernier dans son processus de création de dispositifs. Brian De Palma ira même jusqu’à repomper allègrement certaines façons de filmer. On pense notamment au plan tourné à la Louma dans le film « Ténèbres » d’Argento et réutilisé pour l’ouverture de « Body Double » ; ce regard abstrait qui passe de fenêtre en fenêtre, afin d’espionner des filles dans un immeuble, sans que l’on puisse raisonnablement imaginer qu’un être humain normalement constitué puisse effectuer une telle prouesse physique…

     

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    Ce sont en effet à chaque fois des projets dans lesquels De Palma se triture le cerveau, en malaxant autant les références que les techniques narratives, les clins d’oeil appuyés à ses maîtres et l’énumération de tout ce qui a construit jusque-là le cinéma américain ; la figure de la femme fatale, blonde ou brune, les coups de théâtre et la manière d’ériger le décor comme personnage à part entière.

    On y trouve également le thème du voyeurisme évoqué dans « Fenêtre sur Cour » d’Alfred Hitchcock, qui va devenir une constante dans le cinéma de De Palma (« Body Double »). Ce que l’on voit ou ce que l’on croit avoir vu… Il va même pousser le concept jusqu’au bout, avec ce que l’on entend ou ce que l’on croit avoir entendu (« Blow Out », en référence au « Blow Up » d’Antonioni, où un photographe croyait voir un meurtre dans une photo prise dans un parc, tandis que dans le film de De Palma, John Travolta croit entendre dans une prise-son le cri de quelqu’un que l’on est en train de tuer).

    Si cette série de films a souvent énormément divisé ou prêté à sourire, c’est parce qu’au-delà des histoires que ces films racontent, sous forme de récits-prétextes, ils revisitent notre imaginaire fait de noirceur, de meurtre et de sexe. De la sexualité, il en est effectivement beaucoup question chez De Palma, aussi bien des références psychanalytiques freudiennes que des questionnements sur nos propres libidos, qui se voient projetés ainsi à l’écran, sans pudeur ni mode d’emploi.

    Ce que l’on aime chez Brian De Palma (ou pas, d’ailleurs…), c’est justement ce sadisme, cette sophistication dans la perversité avec lesquels le réalisateur joue constamment. Ce que Hitchcock laissait entendre dans tous ses films, avec lesquels il devait slalomer pour éviter que la censure ne lui tombe dessus à tout bout de champ, De Palma, en ces décennies 70 et 80, d’une liberté retrouvée et débarrassée (pour un temps) de la bigoterie et de la bien-pensance, peut pousser les curseurs plus loin encore que ne l’aurait fait ce vieil Alfred, à grand renfort de scènes frontales et sans ambages.

    Mais ce qu’apporte en plus le réalisateur de « Mission To Mars », c’est également cette mise en abyme ludique et méta qui donne l’impression d’un cinéma à plusieurs reflets et différents points de vue ; des films sur le cinéma comme autant de passionnantes relectures. A la manière de grands mixes décomplexés, ces œuvres créent finalement un nouveau genre en soi, au point qu’elles-mêmes deviennent pour la plupart des références, avant d’être juste de pures objets vaniteux.

     

    C’est ce qui rend aussi passionnants les films de Brian De Palma, même les plus mineurs, car le réalisateur va constamment questionner le cinéma et grossir le trait intentionnellement, parfois jusqu’au mauvais goût ou la vulgarité.

     

    Et puis il y a une filmographie plus « mainstream », avec des commandes de studio de facture imparable, qui rencontrent en général un large public, au point de devenir cultes pour certaines d’entre elles : « Les Incorruptibles », « Mission Impossible », « Scarface ». Ces films sont pourtant des réussites formelles indéniables, qui s’inscrivent dans leur époque. Brian De Palma est ce réalisateur protéiforme, aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur et personnel que dans celui à forte portée commerciale.

    Car si Brian De Palma accepte ce genre de projets, c’est pour mieux mettre en œuvre ensuite des projets plus personnels et compliqués à monter. On pense bien-sûr et surtout à « Casualties of War », titré « Outrages » en France. A l’instar de « Platoon » d’Oliver Stone et « The Deer Hunter » de Michael CiminoVoyage au Bout de l’Enfer »), la guerre du Vietnam y est montrée de la manière la plus crue, la plus douloureuse, et évoque tout ce que la guerre provoque et engendre comme dommages collatéraux terribles.

     

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    Ça n’est d’ailleurs pas pour rien que ce film avec Sean Penn et Michael J. Fox est le préféré du réalisateur. Ici, pas d’effets de style, de figures cryptées ou d’hommage appuyé. C’est frontalement et sans faux-semblant que De Palma affronte ce cauchemar américain et le spectateur n’en ressort pas indemne. Si le film divise, scandalise ou émeut, il n’en reste pas moins une œuvre définitive sur le thème de la guerre et des traumas qu’elle engendre.

    En 2007, Brian De Palma récidive avec le genre du film de guerre en nous proposant « Redacted ». Il s’agit là d’un faux documentaire dont l’action se déroule cette fois durant la guerre en Irak, où l’on assiste de nouveau, impuissant, aux exactions auxquelles se livrent des soldats américains sur des civils, à savoir tortures, viols et meurtres. Là encore, De Palma ranime sa sensibilité très à gauche, qui n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde à Hollywood. Si le film est plébiscité en Europe, ça ne sera pas le cas aux Etats-Unis.

    Si nous devions choisir un autre chef d’œuvre dans la filmographie de De Palma, ce serait sans conteste « L’Impasse » (« Carlito’s Way »). Avec cette idée de l’inéluctable et de la destinée, cette tragédie déguisée en polar offre à Al Pacino probablement l’un de ses plus beaux rôles au cinéma. Sa trame, pourtant éculée, est assez proche de celle du magnifique film de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, « Le Deuxième Souffle ».

    Un ancien truand, sorti de prison grâce à un avocat véreux (l’excellent et toxique à souhait Sean Penn), tente de reprendre une vie normale et honnête, avec comme projet de partir finir sa vie aux Bahamas avec sa petite amie. Mais « Carlito’s Way » est un opéra à la Puccini. On assiste à la chute inévitable et tragique de ce héros fatigué. Tout est parfait dans ce film, jusqu’au brillant et bouleversant final.

     

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    Et puis, forcément, il y a « Phantom of the Paradise ». Le chef d’œuvre absolu de Brian De Palma surgit à l’écran sans prévenir en 1974. Car voilà bien un film qui n’a jamais perdu de son étrangeté et de sa fulgurance. Reprenant des éléments des trames du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux et de l’opéra en cinq actes de Gounod, « Faust », De Palma, après une expérience professionnelle traumatisante vécue sur le tournage d’un film pour la Warner, « Get to Know Your Rabbit », imagine une comédie musicale qui serait un mélange de film d’horreur et d’amour, et qui traite du thème de la dépossession de son œuvre.

    A une époque où tout était encore possible, l’imagination et la singularité avaient encore du poids, lorsqu’il s’agissait de monter un film qui ne devait ressembler à rien que l’on ait déjà vu ; précisément tout le contraire d’aujourd’hui, avec des films qui se suivent et qui se ressemble tous. Dans ce contexte, « Phantom of the Paradise » reste un objet fascinant, toujours aussi culte, que l’on regarde avec toujours autant d’émoi et de fascination.

     

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    Mais la filmographie du réalisateur de « Furie » comporte aussi de nombreux faux pas. « Femme Fatale », « Passion », « Mission to Mars », « L’Esprit de Caïn », « Domino : La Guerre Silencieuse », « Le Dahlia Noir » sont autant de projets, certes excitants sur le papier, et qui se sont tous avérés faibles, bancals, voire complètement ratés sur l’écran. A différents niveaux et pour diverses raisons, il est d’ailleurs étonnant de constater comment une production – car un film, c’est surtout un travail d’équipe et de longue haleine – peut dérailler et devenir un train incontrôlable qu’il faut, quoi qu’il arrive, mener à terme…

    Chez Brian De Palma, ses échecs artistiques sont paradoxalement assez spectaculaires et à l’image de leur auteur, pourtant souvent capable du meilleur. On pense ainsi à Steven Spielberg, pouvant accoucher de chefs d’œuvre absolus, mais aussi susciter l’étonnement avec des films ratés, voire catastrophiques (« Le Bon Gros Géant », « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal », « 1941 », « Le Terminal », « Hook », « Amistad »). Car même les plus grands cinéastes comptent tous à leur passif de magnifiques ratages. Et cela leur confère en tout cas un supplément d’âme.

    Mais Brian De Palma a suffisamment contribué au bonheur cinéphilique de nombreux spectateurs pour ne pas se voir refuser la place qui lui revient, parmi les plus grands. Tour à tour singuliers, étranges, ratés, puissants et toujours passionnants, nombreux sont les films de ce réalisateur qui même aujourd’hui participent encore de notre envie, de notre appétit de cinéma…

     

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  • John Williams : Quand la musique devient du cinéma (Partie 03)

     

     

    John Williams… Quand la musique est bonne, bonne, bonne, quand elle ne triche pas !!! Euh, désolé… Allez, revenons à nos moutons… « Star Wars », « Superman », « Harry Potter », « Jurassic Park »… Quel serait l’empreinte laissée par ces films sans leur thème d’ouverture ? Car lorsque l’on se remémore l’une de ces œuvres, c’est en premier lieu sa musique qui nous vient en tête, avant même les images.

     

    La tétralogie Indiana Jones

    A l’instar de ces marches et de ces mélodies reconnaissables entre mille, et dans le monde entier, John Williams va composer pour le nouveau projet de George Lucas et Steven Spielberg, en 1981, un autre thème incontournable, parmi tous ces grands standards cinématographiques : « Les Aventuriers de L’Arche Perdue ».

    Indiana Jones, c’est d’abord cette silhouette légèrement voûtée, surmontée du chapeau Traveller de la chapellerie anglaise Herbert Johnson, et le fouet. C’est Harrison Ford, bien-sûr, mais aussi cette musique, avec ces cuivres  qui surgissent de nulle part, comme une invitation au voyage et à l’aventure. Puis le thème s’envole et vous met du vent dans les cheveux, avec cette irrépressible envie d’action, de découverte et de course-poursuite.

    Steven Spielberg, qui rêvait de réaliser un épisode de James Bond ou encore d’adapter Tintin au grand écran, va combler en partie cette frustration en mettant en scène ce personnage imaginé par son ami George Lucas.

     

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    Car John Williams a toujours eu ancré en lui ce génie de la synthèse. A savoir qu’en quelques simples notes, il parvient à rendre caduque tout ce qui a pu être produit ou entendu précédemment, dans un registre similaire. Pour un personnage fort comme Indiana Jones, il lui faudra donc un hymne qui puisse venir compléter sa panoplie à la perfection et ainsi participer à sa légende.

    Et c’est imparable… Après avoir découvert au cinéma en 1981 « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et sa musique, il vous sera dès lors impossible d’imaginer ou d’apprécier tout autre thème écrit pour un sujet similaire. Tant le compositeur de « La Dernière Croisade » assoit encore un peu plus le genre avec chacun de ses scores. Ses créations deviennent non seulement les génériques des films qu’elles illustrent, mais en même temps le générique en tant que tel du genre qu’elles développent.

    Ainsi, non seulement ce film mêlant archéologie, spiritisme, action et fantaisie, fait office d’œuvre définitive sur le sujet, mais de surcroît, sa musique devient instantanément un classique. Tel un alchimiste, John Williams va réaliser la fusion parfaite entre image et son, en composant une suite orchestrale tour à tour grandiose, lyrique, spectaculaire et mystique.

     

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    Il y a bien-sûr (et c’est la mode actuellement…) tous les insurgés, les scandalisés, ceux qui crient sans relâche au plagiat, au saccage auquel se livrerait John Williams, en dépossédant d’autres illustres compositeurs de leurs œuvres. Non et cent fois non ! Le compositeur de la marche des Jeux Olympiques de 1984 n’a jamais plagié qui que ce soit. Et je renvoie les accusateurs de tout poil à la définition exacte du verbe « plagier ».

    Oui, John Williams s’inspire beaucoup, c’est un fait, voire emprunte des thèmes qu’il transforme. Et j’ai d’ailleurs largement évoqué ses influences dans les deux précédentes parties. Certes, il utilise des matériaux connus pour les remettre à sa sauce. Mais je vous mets au défi de trouver dans ses propres partitions des copiés-collés de musiques déjà existantes et des mélodies en tous points identiques à celles qui auraient pu être créées par d’autres. On peut évidemment reconnaître parfois des emprunts à tel ou tel compositeur ou y déceler les influences dont il se nourrit.

    Mais John Williams n’a pas son pareil pour défricher, réarranger et souvent améliorer. Le procès que certains lui font sur ses prétendues impostures est ainsi dénué de tout fondement. Et avant de refermer cette parenthèse, la position de ceux qui souhaitent réduire ce compositeur multi-oscarisé au rang de vulgaire faussaire, d’escroc ou de petit faiseur à la solde d’Hollywood, est risible. Je renvoie donc tous ces censeurs à leur bûcher des vanités et à leur condescendance.

     

    Pour en revenir à Indiana Jones, car c’est après tout de cela dont il s’agit ici… John Williams déploie pour chacun des films de la série, y compris pour ce 4ème opus qui est à mon sens le plus faible (euphémisme…), des trésors de mélodie et d’ingéniosité. Même si je considère que « Les Aventuriers de L’Arche Perdue » et « Le Temple Maudit » restent sans conteste les deux meilleurs scores de la tétralogie, mais aussi les deux meilleurs films.

    Pour le premier, John Williams reprend les principes opératiques allemands et italiens, tout au long des titres, et place peu à peu des motifs qui grandissent au fil de l’intrigue qui se précise, jusqu’au final ou le thème susurré jusque-là, explose en un maelström orchestral et choral, avec la manifestation divine qui déchaîne la colère de Dieu contre les nazis.

    Une autre des grandes prouesses de ce score reste le morceau intitulé « Desert Chase ». Il accompagne la fameuse course-poursuite en camion, quand Indiana Jones tente de récupérer l’Arche d’alliance, aux mains des Nazis. La musique épouse ici le moindre geste, le plus petit mouvement, que ce soit de la mise en scène ou des personnages ; une scène qui dure un peu moins de 8 minutes, mais qui est un bijou de découpage et d’idées filmiques. Une fois de plus, la musique de Williams ne cherche pas à voler la vedette à la séquence, mais uniquement à la sublimer.

     

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    Le Temple Maudit

    Là encore, cette composition suit le film à la virgule près. Ce deuxième opus est bien plus rapide que le précédent, mais aussi beaucoup plus sombre. John Williams réinvente encore une fois le score, puisqu’il imagine de nouveaux thèmes et de nouvelles sensations. Si le premier proposait une musique aux accents bibliques, pour « Le Temple Maudit », on est dans le serial pur et les films de Fritz Lang, entre « Le Tigre du Bengale » et « Le Tombeau Hindou ». Les chœurs ne sont plus divins mais lugubres, presque païens.

    Tout le film de Spielberg se conçoit comme une longue course-poursuite. Il pousse même le concept jusqu’à imaginer la scène des wagonnets dans la mine à la manière d’une attraction de fête foraine, un grand huit où le spectateur serait lui aussi convié, aux premières loges. Même si le film est plus cynique, sa musique n’en demeure pas moins réussie.

    Les morceaux « Children In Chains » et « Slave Children’s Crusade » figurent parmi ces nouveaux thèmes forts et inspirés qui viennent s’incruster comme jamais dans l’univers des films Indiana Jones. « The Temple Of The Doom », autre morceau-phare qui renvoie au « Carmina Burana » de Carl Orff, apporte là-aussi une nouvelle thématique dans l’œuvre du maestro, avec ces percussions et ces chœurs possédés et maléfiques.

     

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    Indiana Jones et La Dernière Croisade

    Si ce nouvel opus, malgré la présence de Sean Connery, s’avère être plus faible et moins inspiré que les deux précédents, force est de reconnaître que John Williams garde toujours la main. Là encore, il joue avec les thèmes déjà existants, pour mieux les malaxer, les transformer.

    Toujours prompt à trouver de nouvelles mélodies, c’est autour du Graal et d’une noblesse oubliée, celle des Chevaliers de la Table Ronde, que Williams construit ici le score du troisième film de la série. Il parvient à relier les thèmes existants aux nouveaux et ainsi inscrire le personnage d’Indy dans la légende.

     

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    Indiana Jones et Le Royaume des Crânes de Cristal

    Tout le monde s’accorde à dire que ce 4ème volet de la série est une véritable gabegie. Une bouillie scénaristique, numérique et filmique. Pourtant, John Williams ne ploie pas sous le poids de la catastrophe et compose avec pas grand-chose de fort à se mettre sous la dent un score tout à fait honorable. On ferme les yeux, on écoute la musique de ce film et on se prend à rêver d’une aventure mystérieuse et palpitante.

    Tout est virevoltant et léger. John Williams, comme il a pu le faire avec les Star Wars, revisite les thèmes connus. Il les inclut dans les nouvelles compositions, pour mieux inscrire le film dans une continuité. Ce qui n’est pas tâche aisée, quand on assiste à la catastrophe qu’est ce 4ème volet des aventures d’Indiana Jones, à tous les niveaux. Même si Steven Spielberg ne parvient pas cette fois-ci à sauver quoi que ce soit dans ce naufrage, il reste encore et toujours la musique. La musique de John Williams…

     

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    Pour la 4ème et dernière partie consacrée à John Williams, j’évoquerai « Minority Report », « A.I. » et « La Guerre des Mondes ».

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 01) » 

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  « John Williams : quand la musique devient du cinéma (Part 02) »

     

     

     

  • Indiana Jones, retour sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma

     

     

    « Indiana Jones & Les Aventuriers de l’Arche Perdue » sort en 1981. Spielberg, Lucas, John Williams, Harrison Ford, comme un quarté gagnant, une martingale… Exactement ce dont rêvait un public avide de ce nouveau cinéma que propose Hollywood depuis 1977 avec « Star Wars », et qui portera un coup fatal à ce que l’on appelait Le Nouvel Hollywood. 

     

    Avec « Les Dents de la Mer » en 1975 (titre original « Jaws »), Steven Spielberg entérine un cinéma qui se veut plus adulte, dépressif et sombre. Voici donc venu le temps de ce qu’on allait désormais appeler les « Blockbusters »… Car il faut bien reconnaître qu’à partir de ce film, les compteurs du box office américain et mondial allaient sacrément s’affoler. Mais c’est probablement la Saga « Indiana Jones » qui va le plus contribuer à propulser le réalisateur et producteur au rang de cinéaste le plus rentable de l’histoire du cinéma.

    C’est George Lucas qui apporte ce projet sur un plateau à son ami Steven Spielberg. Lucas est depuis sa plus tendre enfance un fan de ces séries télévisées appelées « Serials », et suite au triomphe de la « Guerre des Etoiles », il voudrait créer une nouvelle franchise de ce type. De son côté, Steven Spielberg vient d’essuyer un refus pour acheter les droits d’adaptation de la bande dessinée « Tintin ». En outre, il rêve également de réaliser un épisode de James Bond mais là encore, fin de non-recevoir de la famille Broccoli

    Pour Spielberg, frustré et amer suite à ces deux refus consécutifs, la proposition de Lucas tombe à point nommé et pourrait constituer un beau lot de consolation… D’autant que Spielberg vient pour la première fois de sa courte carrière de mordre la poussière avec le film « 1941 », qui est un flop retentissant. Le tandem va ainsi concocter une relecture du serial et du cinéma à l’ancienne en y injectant de la vitesse, des nazis, de la magie et le savoir-faire inimitable du réalisateur de « Duel ». C’est ainsi que dès sa sortie en 1981, « Indiana Jones & Les Aventuriers de l’Arche Perdue » devient le film d’aventure ultime par excellence.

     

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    Son triomphe absolu au box-office appelle donc une suite. Mais Spielberg traîne la patte… Il n’aime pas particulièrement le concept de la franchise, et le principe de devoir revenir sur ses œuvres, surtout s’il considère avoir tout donné dès le premier essai, tant en terme de spectacle que d’émotion. Entretemps, en 1982, sort ce qui ne devait être qu’un petit film intimiste tourné relativement vite et qui deviendra contre toute attente son plus gros succès : « E.T., l’Extra-Terrestre ».

    Pourtant, « Indiana Jones et le Temple Maudit », qui sort en 1984, sera aussi un énorme succès, malgré le ton plus cynique et désabusé de l’histoire. L’ambiance plus sombre et anxiogène peut surprendre un temps mais parvient à donner au film une certaine patine et un statut d’œuvre culte, avec ses scènes de gore totalement décomplexées, tout droit inspirées de deux films de genre et d’aventure de Fritz LangLe Tombeau Hindou » et « Le Tigre du Bengale »), en plus glauque encore. En tout cas, ce « Temple Maudit » constitue un bel exemple de cinéma borderline qui contrebalance avec le premier volet, extrêmement tenu.

     

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    Pour des tas de raisons qui vont probablement du contractuel aux desiderata de George Lucas, un nouvel Indy voit le jour et sort en 1989. Un troisième épisode, « Indiana Jones et la Dernière Croisade », censé être d’ailleurs le dernier, qui vient un peu tardivement et n’a déjà plus le bon parfum, ni dans l’énergie ni dans l’envie, du plaisir de cinéma. On a plutôt affaire à un film à la limite du remake du premier volet, dans lequel Spielger a remplacé l’Arche par le Saint Graal…

    Les nazis y font leur grand retour et on y retrouve à peu de choses près les mêmes scènes, poursuites et péripéties incluses. Personne ne semble y croire, même pas John Williams… Le film va cependant pas trop mal marcher, mais son succès ne repose plus que sur de la pure nostalgie.

     

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    En 2008, presque vingt ans après le premier opus, sort en grande pompe, en ouverture du Festival de Cannes, « Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal »… A l’annonce de ce 4ème volet, nous pouvions raisonnablement être quelque peu dubitatifs, mais en même temps, force était de reconnaître que cette bonne vieille fibre nostalgique titillait encore notre curiosité malsaine…

    Voir un Indiana Jones vieillissant, accompagné cette fois-ci de son fils dans cette nouvelle aventure. Allez, pourquoi pas… Cet ultime volet pouvait laisser présager quelques belles et surtout inédites idées dans le scénario. Sachant qu’avec le chemin parcouru par Spielberg depuis « Les Dents de la Mer » et les films qu’il avait enchaînés depuis, on pouvait s’attendre à un vrai concentré d’aventure, d’humour, d’ironie, un mélange de références et de gros morceaux de bravoure. Mais le résultat fût bien pire que tout ce que l’on aurait pu imaginer…

    Le spectacle auquel on assiste devient vite dérangeant, tant Spielberg, Lucas, Williams, Ford et les autres, ont de toute évidence renoncé dès les premières minutes à cette entreprise. Mais le doigt déjà bien pris dans l’engrenage infernal, ils vont devoir aller jusqu’au bout… Car ce dernier volet d’Indiana Jones est une longue agonie sinistre. Les scènes dites d’action sont tellement boursouflées, recouvertes d’effets numériques pour masquer tant bien que mal l’effondrement interminable de l’ensemble, qu’elles n’ont plus rien de cohérent.

    Catastrophe paroxysmique du film, la scène dans la jungle, lors de la fuite des trois protagonistes qui se font finalement rattraper très vite par la méchante, est à l’image du reste de ce bien piteux Royaume du Crâne de Cristal. Tournée dans un décor minable, on assiste médusé à un échange entre Harrison Ford, qui tente de sauver les meubles, et Karen Allen, toute momifiée, fronçant les sourcils et levant les bras au ciel… Un spectacle pathétique et vexant pour tous les fans, qui ne voient en ce dernier volet qu’une sombre histoire de contrat arrivant à échéance et la nécessité absolue d’achever la bête agonisante. Bien curieuse façon pour Spielberg de remercier son public…

     

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    … Et pour les plus masochistes, rien n’est encore perdu car même au fond du trou et de la boue jusqu’à la taille, l’entreprise de démolition Lucas, Spielberg & Co creuse encore à la recherche d’un hypothétique filon encore inexploité à ce jour, en annonçant pour 2021 un Indiana Jones 5 ! Alors, elle est pas belle la vie ?

     

     

     

  • Star Wars | Madeleine industrielle…

     

     

    Un peu de numérologie et d’histoire…

     

    Ce sont pratiquement quarante années qui séparent l’épisode Star Wars (« A New Hope ») de celui qui vient tout juste de sortir, « The Force Awakens ». Quarante années qui embrassent aussi quatre générations, quatre réalisateurs et quatre scénaristes différents. Si vous aimez la numérologie à ce point, « La Guerre Des Étoiles » sortie en 1977 est devenue, dans la chronologie de la fresque globale, l’épisode 4. Bon, c’est George Lucas qui est le grand ordonnateur de tout cela. Le fondateur, le grand manitou, le gros bonnet, le boss quoi…

    Ce barbu grisonnant à l’allure dégingandé et timide, arborant une sorte de banane à la Dick Rivers et adepte des chemises à carreaux imagina un jour un mix improbable du « Seigneur des Anneaux » dont il n’avait pas pu acheter les droits à l’époque et de « Flash Gordon », un sérial comme on appelait ce genre de productions dans les années 50. Il crée en superposant toutes ces références, qu’elles soient littéraires (« LOTR », les Récits Arthuriens, ainsi qu’Asimov et Franck Herbert), télévisées (« Flash Gordon ») ou cinématographiques (Les films d’aventure et de cape et d’épée de l’âge d’or d’hollywood ou bien encore Kurosawa et ses films de sabres), le tout lié à la farine Joseph Campbell (un romancier historien spécialisé dans la mythologie) et obtient au final ce qui allait devenir l’ultime représentation de la pop culture mondiale, soit une vulgarisation des grands mythes fondateurs de notre histoire fondue avec de la religion Bouddhiste.

    L’identité Star Wars était née, modelée par les mains de l’alchimiste Lucas, et allait perdurer à travers les décennies suivantes, avec ou sans films nouveaux d’ailleurs, mais grossir, s’étendre et faire toujours plus de nouveaux adeptes. Le titre initial avec ce logo en grosses lettres jaunes sur fond de nuit galactique était devenu une formule magique, pas seulement pour tous ceux qui avaient compris assez tôt, comme Lucas lui-même, qu’il y avait beaucoup d’argent à se faire avec ces deux mots-là, mais aussi pour des enfants à l’époque qui grandiraient avec Ce et bientôt Ces différents films dans les yeux et dans le cœur.

    La force de cette saga, si je puis dire, c’est qu’à la différence du « Seigneur des Anneaux » ou de « Harry Potter » qui sont d’abord des œuvres littéraires à succès, pour devenir par la suite aussi des films acclamés, la première trilogie de Lucas vient quant à elle de nulle part. Rien qui ne précède ce phénomène de société devenu instantanément mondial… Dans l’histoire de la littérature et du cinéma, ou de tout autre support artistique d’ailleurs, c’était sans précédent. Star Wars, au delà de ces représentations cinématographiques que l’on connaît, peut aujourd’hui évoluer et continuer à grandir toujours dans l’imaginaire des fans, des concepteurs de jeux vidéo, des illustrateurs, des fabricants de jouets, de textile, de mugs ou des romanciers en mal de lecteurs.

     

    C’est un monde sans limite, sans contour, sans début et sans fin.

     

    C’est pour cela qu’il génère autant de passions, de débats, de haine et d’amour. Georges Lucas a enfanté un monstre qu’il a fini par ne plus pouvoir maîtriser du tout. Lui, reconnu justement comme un obsédé du contrôle absolu, de la fabrication de ses films de A à Z jusqu’au suivi des produits dérivés et du merchandising, finit par comprendre que cet enfant allait un beau jour se retourner contre son père.

    Lorsqu’il proposa sa nouvelle trilogie en 1999, « La Prélogie », qui situait l’univers de la saga antérieure à celle que l’on avait découvert en 77, il ne s’attendait sûrement pas à tout ce déchainement de gentils fans dociles devenus incontrôlables et acrimonieux. Pourtant Il avait déjà du faire face à la vindicte de ses « fans » lorsque bien mal lui en prit de vouloir « retoucher » sa première trilogie, en remaniant et boostant des plans ou des scènes entières qu’il jugeait avoir en partie ratés à l’époque de leur fabrication. Avec l’évolution des effets spéciaux, l’avènement du numérique et des images de synthèse, il pouvait enfin obtenir ce qu’il avait en tête depuis que Star Wars émergea de son cerveau… Mais profaner le temple, c’était comme insulter dieu lui-même ou ce que cela représentait de sacré pour des adeptes devenus entre temps fanatiques et donc radicaux.

    Il mit donc de côté cette première incitation à la révolte et ferma les yeux sur ces rebelles. Fort de tout ce que désormais proposaient les avancées en terme de modélisation gérée par ordinateur, c’est donc avec une ambition renouvelée et assez folle que Lucas souhaita enfin raconter l’histoire d’Anakin Skywalker, qui deviendrait Darth Vader. C’est avec les moyens technologiques dont il avait toujours rêvé qu’il allait enfin pouvoir faire tout ce qu’il désirait, tout montrer, tout concrétiser : sa fameuse guerre des clones.

    George Lucas, en créant Star Wars en 1977, ne voulait pas seulement raconter une épopée surannée, avec l’éternel combat des forces du bien contre celles du mal, mais se servir de tous ces thèmes forts et fédérateurs pour pourvoir surtout innover, surprendre et être à chaque fois le pionnier en termes d’effets spéciaux, de son et d’avancée technologique. Toujours plus audacieux, George Lucas tenta le pari de sublimer Le Star Wars tel qu’on l’aimait, mais cette fois en traitant aussi de politique, des arcanes du pouvoir et de ce qui amène une république à choisir un tyran plutôt que des solutions démocratiques. Bref, un pari à haut risque et surtout naïf que de croire en l’intelligence des masses endormies qui se réveillaient elles juste dès la moindre évocation du titre « Star Wars » sur un emballage de céréales.

    En essayant également de renouveler l’image que l’on connaissait de cette saga, d’avancer, d’innover, aussi passionnante qu’était la démarche intrinsèque de Lucas, il se heurta fatalement, violemment, au prosaïsme de tous ces gardiens du temple. Les épisodes I, II et III paradoxalement situés avant « Un Nouvel Espoir » faisaient trois bons en avant en explosant toutes les limites qui avaient jusqu’à présent frustré l’inventeur du son THX. Jamais une série de films ne fut autant décriée, conspuée, détestée par des fans qui, trois autres films plus tôt, ne juraient que par cet homme à l’allure débonnaire. Ces mêmes fans à qui il fallait désormais rendre des comptes et qui criaient à la trahison et au sacrilège en oubliant d’abord que celui qui leur proposait ces nouveaux films était pourtant George Lucas lui-même, le propriétaire intellectuel de toute cette histoire.

     

    Ce que l’on comprend et que l’on retient donc est sans appel.

     

    Star Wars ne peut pas évoluer, se transformer, devenir autre chose que ce qu’il a toujours été. Il doit se contenter d’être Star Wars, soit une certaine esthétique avec des canons biens définis et des personnages qui rentrent également dans un moule établi, un monde, un univers qui ne peut en aucun cas se modifier ou changer d’aspect. Immuable, un monde sous cloche et Lucas, passé de réalisateur à inventeur visionnaire, devait à présent endosser selon les ordres donnés par les « fans », la défroque d’un taxidermiste.

    Cependant, si on enlève Jar-Jar Binks, quelques mauvais dialogues de ci de là, des scènes de batifolage à la Sissi Impératrice entre Anakin tout niaiseux et sa dulcinée, il reste trois films aux idées sublimes, une certaine démesure, des batailles épiques et grandioses, des duels titanesques et une vision de cinéma assez euphorisante comme il était peu commun de voir cela même en ces fin du 20ème et début du 21ème. Et c’était bien du Star Wars que Lucas nous proposait, avec une esthétique autre, certes, des moyens qui avaient évolué, un aspect plus sérieux, mais c’était bel et bien le même homme qui était derrière cette entreprise. Un homme qui ne voulait en tout cas certainement pas faire du surplace et resservir les mêmes plats indéfiniment. Une nostalgie réchauffée au micro-ondes, très peu pour lui. C’est pourtant ce que ses fans semblaient vouloir malgré tout. Du lyophilisé…

    Walt Disney, en rachetant à George Lucas son bébé pour la modique somme de 4 milliards de dollars (ah tiens, encore ce chiffre 4…), n’allait pas se contenter de faire de Star Wars juste un objet pour quelque happy few ou d’anciens fans nostalgiques. Marvel ou bien encore Pixar, la compagnie tel un ogre jamais rassasié engloutit tout ce qui suscite le rêve et veut faire main basse sur ce qui représente la pop culture aujourd’hui. Et que nos rêves deviennent, se transforment, en billets verts. Amen !… En tout cas, la grosse firme à oreilles de Mickey a bien reçu et étudié le message des adorateurs de Star Wars, et le compte-rendu des financiers aux sorties des réunions était fort clair : donner à ce public ce qu’il attendait depuis 1983.

    Star Wars, la vieille chimère de George Lucas, qui conçut cette saga sur un malentendu et qui crut longtemps que sa création était et serait le refuge pour tous ceux dont l’imaginaire n’avait pas de limite. Ce fût une erreur amère et Lucas dut ravaler ses ambitions quand il comprit en fait que ce public passé présent et futur ne voulait voir juste que toujours la même chose et qu’on leur resserve en boucle le même plat « à la façon de ». Les films, les dessins animés, les livres et les jeux vidéos, créés par des fans zélés ont rendu Star Wars universel. George Lucas finit par être chassé de sa propre création tant des esprits plus jeunes et plus alertes se sont vite emparés de l’œuvre pour y mettre à leur tour leurs propres névroses, leurs propres fantasmes. Aujourd’hui, après moult rebondissements et trahisons, L’œuvre perdure en échouant entre les mains d’une multinationale que l’on sait ne pas vraiment s’embarrasser d’état d’âme.

    Cet épisode 7 sera donc décortiqué pièce par pièce et ce sont ses fans d’avant ou de maintenant qui combleront tout ce qui nous a échappé ou laissé dans l’expectative. Chaque film est devenu la petite pointe isolée d’un iceberg. Dessous se trouvent des quantités d’autres éléments qui rendent le tout cohérent.

     

    Et ce nouveau film, alors ?

     

    On a déjà tout entendu à son sujet. Un décalque de l’épisode 4, une refonte du mythe, un copié-collé de la première trilogie, etc… Ce qui est avant tout surtout une grossière erreur, c’est d’avoir fait abstraction de la Prélogie en se concentrant uniquement sur ce qui avait fait Star Wars entre 1977 et 1983. Oui mais c’est ce que les fans désiraient. Alors… Alors oui, tous ces fameux nostalgiques sont comblés en effet, tant on leur ressert la soupe qu’il avait adorée à grand renfort d’objets, de visuels et d’atmosphère proche des films originaux. Mais ce n’est pourtant pas à un bain de jouvence auquel on nous convie, mais plus à un musée poussiéreux ou un gardien nous ferait la visite en radotant. Il y a bien-sûr ce même plaisir de revoir des vieilles photos qu’on aurait scannées et qui se retrouvent non plus dans un album en dur mais dans un dossier archivé sur son ordinateur.

    J.J. Abrams n’est pas un manchot pour autant et n’a rien à envier à George Lucas en terme de réalisation. Sauf que Lucas prônait un grand classicisme qui collait plutôt bien à la Saga, lui apportant élégance et majesté, abandonné ici au détriment de cadrages plus serrés et plus télévisuels. A un montage académique et des plans où l’on prend le temps de montrer ce qui s’y passe, une succession de plans rapides avec la peur d’ennuyer les nouvelles générations de spectateurs. Le film s’autorise également un peu trop facilement les citations et les hommages appuyés à d’autres films de guerre, au lieu de renouveler et continuer à créer de la pure mythologie Star Warienne comme Lucas le faisait. Ici on nous sert du « Il Faut Sauver Le Soldat Ryan » ou plus tard un plan tiré d’« Apocalypse Now »… Le film souffre donc de ce manque d’ampleur et on ne retrouve plus tout l’aspect iconographique qui faisait la marque de fabrique des précédents opus plus ou moins bons. Dans tous les épisodes de Star Wars passés, vous pouvez empiler le nombre de plans somptueux qui jalonnent les films. Ce 7ème épisode n’en possède que très peu. Les plus beaux plans se situent au début du film, lors de l’exposition du personnage de Rey, pilleuse d’épaves, lorsque s’enchainent avec une certaine grâce une succession de jolis plans qui apportent enfin le fameux frisson attendu, mais qui ne sera plus ressenti jusqu’à la fin du film.

    Je n’avais pas encore parlé de musique… Pour toutes ces scènes introduisant cette future nouvelle héroïne, le thème composé par un John Williams essoufflé donne ici tout le crédit que l’on accorde à ce vieux compositeur qui n’a plus rien à nous prouver. Le thème s’inscrit immédiatement dans l’univers. C’est une gageure. Ce sera le seul. On cherche après désespérément une mélodie qui accroche, emblématique et qui puisse nous emporter. Mais ce ne sont que les airs que l’on reconnaît des thèmes de Leia, puis Han et Leia, ou encore celui de Luke et La Force, qui nous rappellent au bon souvenir que nous sommes bien en train d’assister à un nouvel épisode de Star Wars. Si la musique est à l’image de ce à quoi nous assistons, alors oui, John Williams n’est pas si vieux que ça et sait donc faire la différence entre du lard et du cochon. Où sont les envolées de cuivre d’« Un Nouvel Espoir », les Violons saccadés de la Marche Impériale de « L’Empire Contre Attaque », les chœurs sombres et puissants du combat entre Obiwan, Qui Gon Jinn et Darth Maul, le thème d’Anakin et Padmé, le thème de Yoda, Le duel entre Obiwan et Anakin sur la planète de lave, etc, etc, etc… Pour Star Wars VII, c’est une partition anémiée que nous propose là le compositeur d’E.T. et d’Indiana Jones.

    Mais on apprécie aussi cet épisode VII pour ces nouveaux personnages joués par des acteurs convaincus et convaincants qui heureusement finissent par supplanter les anciens venus transmettre le témoin et qu’on espère voir disparaître dans le prochain épisode. De bons dialogues et une bonne énergie d’ensemble permettent de ne jamais se sentir mal à l’aise durant les scènes en général, même si elles s’avèrent tièdes ou téléphonées. On se souvient des moments douloureux entre Anakin et Padmé dans « L’Attaque Des Clones », lorsque les deux acteurs devaient réciter des phrases absolument ineptes (Anakin à Padmé : « Je n’aime pas le sable. Il pique et s’insinue partout », ou encore Mace Windu dans « La Revanche des Sith », lors du combat contre Palpatine : « C’est lui le traitre » puis réponse de Palpatine « Non, c’est lui »… Embarras.

     

    Mais ne nous méprenons pas…

     

    Si beaucoup considèrent La Prélogie comme un ratage ou une insulte de George Lucas proférée à son public chéri, sa première trilogie tellement acclamée est loin d’être une réussite non plus. Elle a juste l’avantage de contenir le meilleur film de toute la Saga, « L’Empire Contre Attaque », et n’ayons pas peur de le dire, meilleur film tout court de tous les temps. En revanche, « Un Nouvel Espoir » souffre d’un manque de rythme assez carabiné, avec toute sa première partie et cette succession de plans avec C3PO et R2D2 dans le désert qui n’en finissent pas de marcher. Quant à « Le Retour Du Jedi », c’est l’exemple éclatant du renoncement et du manque d’ambition pour clore avec panache cette trilogie, avec déjà ce goût du recyclage tous azimuts (retour de l’Etoile Noire comme innovation scénaristique majeure). Sans doute le pire épisode des sept films, où l’Empire se fait renverser grâce et à l’aide d’oursons pelucheux qui, contre des blasters, des armes puissantes, proposent des frondes, des lance pierres et des rondins de bois. Le film en tout cas est le moins audacieux des sept, avec des héros tous encore vivants à la fin, qui se congratulent autour d’un feu de camp, les doigts dans le nez, en dansant sur de la musique d’Ewoks. Là oui, peut-être, on pouvait parler de la part de Lucas d’un sacré super foutage de gueule. Alors qu’est-ce qu’un Jar Jar Binks à côté ? Juste un idiot du village, un simplet apportant la dose de légèreté pour un premier film qui affiche très vite des intentions scénaristiques moins fun que précédemment.

    Chacun aime Star Wars, son Star Wars, avec à chaque fois des raisons différentes. « The Force Awakens » tente donc le pari de réconcilier tout le monde. Mais le pouvait-il vraiment ? Le film cartonne. C’est un immense succès à travers le monde. Oui car il correspond exactement aux attentes suscitées par le plus grand nombre. Resservir du Star Wars sans aucune prise de risque, attraper un public désireux de se replonger dans ce douillet lit où les rêves sont déjà définis pour vous, incrustés dans l’oreiller. Il faudra donc attendre 2017 pour se faire une opinion véritablement tranchée. Savoir si Walt Disney peut respecter malgré tout toutes les ambitions premières de George Lucas, ou bien juste s’en tenir à un rôle de sinistre industriel cynique et sans vergogne.

    L’ironie de tout cela, que d’avoir comparé longtemps George Lucas à ce jeune réalisateur sans avenir devenu avec un pari fou un nabab se servant de Star Wars comme poule aux œufs d’or. Lucas qui ne voyait avec cette entreprise qu’un moyen d’inventer de nouvelles choses (T.H.X, Skylwalker Ranch, I.L.M, …) et d’être tourné vers l’avenir. Sa déconvenue de constater que Sa création ne servira plus désormais qu’à produire toujours et encore le même plat sans saveur, sans âme. Mais après tout on s’en fiche. Star Wars est en partie en nous. Qu’il soit réussi avec des histoires nouvelles ou jetables, avec les mêmes moules à madeleine, Star Wars c’est nous et cette petite lueur tout au loin que l’on voudrait toucher du doigt mais qui s’éloigne dès que l’on s’en approche. Un amour impossible…

     

     

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