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  • French Connection (1978-1982) : Episode 04

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

    C’est la nouvelle vague, plastique et fluo et Skaï
    Super dégaine spéciale, électricité en pagaille
    C’est la nouvelle vague, sans paradis artificiels
    Sans illusions superficielles, sans mémoire…

    Starshooter, 1979

     

    Mais la nouvelle vague, cette année-là, reste essentiellement celle des musiciens du groupe Téléphone, qui en ce début de l’année 1979, enregistrent à Londres leur 2ème album, « Crache Ton Venin ». Les textes réalistes abordent de front les thèmes de société, entre menace atomique (« La Bombe Humaine »), révolte et conflits familiaux des adolescents. Porté par une pochette conçue par le photographe Jean-Baptiste Mondino, l’album consacre le groupe, trois ans à peine après son tout premier concert. Même si, en marge de cette nouvelle scène rock, d’autres courants musicaux sont alors en gestation.

     

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    « C’est pour essayer de penser à autre chose, parce que c’est tellement triste, tout ce qui arrive, qu’il faut bien s’étourdir. Sortir le plus possible, sortir toute la nuit, aller boire, aller danser. Avant de mourir, il faut prendre du plaisir et jouir de l’instant présent. » (Alain Pacadis sur le plateau d’Apostrophes, 07/04/1978)

     

    A l’image de l’étrange et provocateur Alain Pacadis, chroniqueur déglingué des nuits parisiennes, notamment pour le quotidien Libération, apparaissent alors les nouveaux punks, ces dandys urbains et sophistiqués qui se défoncent à l’héroïne, dorment le jour et arpentent la nuit les institutions festives qui s’ouvrent en cascade. Il y eut d’abord La Main Bleue, ouverte en 76 dans un ancien centre commercial de Montreuil, près de Paris. Initialement fréquentée par tous les Africains et les Antillais qui se faisaient refouler des boîtes parisiennes, La Main Bleue devient un lieu branché investi par les bourgeois bohèmes blancs de la capitale.

     

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    En mars 78, dans un ancien théâtre à l’Italienne situé près des Grands Boulevards ouvrait ensuite l’inévitable Palace, sous l’impulsion de Fabrice Emaer, devenant le comble des sociabilités « People », des vanités chics et délurées. Plus intimistes, les Bains-Douches sont inaugurés en décembre de la même année, Rue du Bourg l’Abbé, près du Marais, rachetés par deux antiquaires qui en confient la décoration à Philippe Starck. Le premier soir, deux-mille personnes se pointent et la Préfecture de Police, qui redoute des débordements, a posté huit cars de CRS de part et d’autre de la rue.

     

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    En l’espace de quelques mois, avec le concours actif des médias, Libération ou Actuel en tête, la danse en boîte de nuit, le « Clubbing », comme on l’appelle, devient l’horizon incontournable de la jeunesse urbaine française, ou du moins parisienne. Parmi les créateurs, les couturiers, les stars ou les vedettes de passage, on y croise aussi Gainsbourg et la jeune garde du rock français, comme les membres du groupe Bijou, qui en 1979, sortent sur leur deuxième album une reprise des « Papillons Noirs » gainsbouriens.

     

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    « Les Papillons Noirs » signé Gainsbourg, que ce dernier avait enregistré en 1966 avec Michèle Arnaud, est repris en 1979 par le groupe Bijou, trio arty, mélange de rock dur et de romantisme, sur son album « Ok Carole ». En février 1980, le magazine Actuel intitule un article d’une formule efficace, qui allait devenir une appellation musicale, pour résumer l’époque : « Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans ». Entre les Rennais de Marquis de Sade, Jacno ou Marie et Les Garçons, les groupes n’ont pas grand chose à voir entre eux, mais peu importe…

    Associé à cette mouvance, le groupe parisien Edith Nylon, formé là encore par des lycéens de bonne famille autour de la chanteuse Mylène Khaski, enregistre son tout premier album en 1979, pendant les vacances scolaires. Mylène et sa chevelure de feu s’y autoproclamant « femme bionique, artères antistatiques, perruque de nylon, utérus en Téflon, seins gonflés silicone, lèvres glacées de chrome… Edith Nylon, c’est moi… ».

     

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    « Edith Nylon » par le groupe du même nom, dont les paroles évoquent la société d’alors, le féminisme, mais aussi les périls futurs, comme les manipulations génétiques ou le transhumanisme, et dont la new-wave inspirera par la suite des groupes comme les Rita Mitsouko. Pour l’heure, ce changement de décennie est surtout marqué par le rock et l’émergence d’un nouveau groupe, Trust.

    Formé en 1977 par deux mecs de banlieue parisienne, le chanteur Bernie Bonvoisin venu de Nanterre et le guitariste Norbert « Nono » Krief originaire des Mureaux, Trust, après avoir passé trois longues années dans l’ombre de Téléphone, connaît un immense succès à partir de 1980 avec la parution de son second album « Répression », dénonçant le sort de Jacques Mesrine dans la chanson « Le Mitard » ou encore l’ensemble du système, dont les dés sont pipés. Il s’en écoule plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès sa sortie.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »]  French Connection (1978-1982) : Episode 01

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] French Connection (1978-1982) : Episode 03

     

     

     

  • French Connection (1978-1982) : Episode 01

     

     

    Plongée dans la France de la toute fin des années 70, les années Giscard : période des grands bouleversements sociétaux et d’un certain sentiment de modernité, entre libéralisation du divorce et éclatement de l’ORTF. Pourtant, la jeunesse s’ennuie et se réfugie alors dans l’émergence de nouvelles scènes rock et new-wave. Parmi les groupes qui s’imposent : Téléphone, Starshooter ou Bijou.

     

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    Dans la foulée de son accession à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard-d’Estaing initie plusieurs grandes réformes sociétales : abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans, instauration du divorce par consentement mutuel, éclatement de l’ORTF, dépénalisation de l’avortement… Pourtant, la jeunesse française s’ennuie. Le sociologue Jean Duvignaud pointe dans « La Planète des Jeunes » (Stock 1975) leur dépolitisation et, face à l’échec des utopies soixante-huitardes, leur repli sur leurs problèmes personnels.

    La révolution Punk s’immisce ainsi dans la brèche et voit l’ouverture des grands clubs parisiens. Le rock français, boudé jusque-là par les grands médias, se fraie un chemin. C’est le début des années Téléphone, Starshooter ou Trust, mais aussi de l’émergence des scènes post-punk et new wave, celles des Edith Nylon ou Taxi Girl. Bref, une certaine idée de la France branchée qui basculera en 81 avec l’élection de Mitterrand, dans laquelle on croise des gens de bonne famille, des fauteuils de velours arrachés, des dandys déglingués et des frites congelées. Retour sur cette période 1978 – 1982…

     

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    Le transistor posé sur la table en acajou du salon, personne ne semble l’écouter. Ni monsieur, enfoncé dans son fauteuil à lire le journal, ni madame qui termine son repassage… C’est un intérieur cossu, confortable. L’année dernière, ils ont installé partout une moquette bégasse, dont ils sont très contents. Dans l’entrée de l’appartement aussi, où trône le téléphone familial. Son fil tirebouchonné, reliant le socle au combiné, a été étiré comme un élastique, jusque sous une porte fermée, derrière laquelle s’est adossée une jeune fille, en pleine conversation.

    Elle souffle sur la mèche qui lui barre le visage, tandis que face à elle, ses idoles rock la toisent, sur papier glacé. Elle échange encore quelques mots à voix basse, puis se contorsionne pour éviter d’arracher le fil. Elle se relève, enfile une veste de cuir achetée la semaine précédente et se glisse sans un bruit hors de l’appartement, loin des causeries présidentielles.

     

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    Dans la ville, ce mardi soir, la nuit est tombée, crevée par les néons des pharmacies ou des PMU. Les juke-box diffusent à plein tube, parmi les papiers gras. Cette France où Giscard, débonnaire, annonce que ça risque encore de se compliquer pendant un moment, que la crise est là. Notre jeune fille en suit les rues anonymes, puis parvenue devant un bar, elle attend en face du kiosque à journaux. Sa copine est en retard et elle hésite à entrer dans le rade, retenue par la présence d’une dizaine d’habitués, avinés au comptoir.

    Par la vitrine, elle avise aussi un groupe de jeunes types, penchés sur un flipper. Elle les trouve pas mal, alors elle les regarde un moment jouer et tirer sur leur clope. Elle n’a pas le son… Elle s’apprête à s’éloigner et faire quelques pas, quand soudain la belle tignasse brune accoudée au flipper tourne la tête vers elle, la dévisage et lui sourit.

     

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    « On te donne trois balles, la première, t’es un môme. Tu prends la cadence, tu entres dans la danse. Dans la violence des chocs, tu comprends ta chance. Tu sais maintenant comment ton histoire commence. »… Signé Louis Bertignac, ce « Flipper » qui clôt le premier album du groupe Téléphone, raconte cette jeunesse qui joue sa vie, de bumper en bumper. Téléphone, qui avait vu le jour le 12 novembre 1976, à la faveur d’un concert donné au Centre Américain de Paris, Boulevard Raspail, à l’emplacement de l’actuelle Fondation Cartier.

    Jean-Louis Aubert, un jeune des beaux quartiers, se rebelle contre son éducation de scout et d’enfant de choeur, et doit s’y produire avec son pote de lycée, le batteur Richard Kolinka. Sauf qu’il leur manque deux musiciens. Pour l’occasion, Ils recrutent donc le guitariste Louis Bertignac et sa copine de l’époque, la bassiste Corine Marienneau. Tous deux avaient joué dans un groupe de hard-rock francilien, les Shakin Street. L’affluence ce soir-là au Centre Américain, 5 à 600 personnes, raconte quelque part l’impatience qui tiraille alors la jeunesse française. 

    Téléphone et sa formule gagnante allait devenir, en l’espace de deux albums et trois années, l’incarnation du renouveau du rock français…

     

    Source : Amaury Chardeau pour Juke Box