Étiquette : Azzedine Alaïa

  • M Comme Manfred…

     

     

    Si le transhumanisme s’est surtout illustré au cinéma sous la houlette de l’acteur Arnold Schwarzenegger, c’est avec Thierry Mugler, désormais prénommé Manfred, que ce processus de transformation corporelle s’est exprimé de manière la plus spectaculaire, pour ne pas dire monstrueuse…

     

    Quand l’acteur de Terminator ne représentait qu’une fiction de l’homme supérieur, customisé dans le cadre de films de science fiction, par le biais d’une sublimation de l’homme cyborg invincible, Mugler alias Manfred a quant à lui réellement sauté le pas pour devenir autre chose. Bien qu’ayant gardé la même voix et sans doute aussi les mêmes caractéristiques psychologiques, il arbore depuis plus de dix ans cet aspect tout droit sorti du comics « Sin City » de Frank Miller. De cette enveloppe frêle de danseur classique avec la coupe au bol qu’on lui connaissait dans les années 80, le créateur du parfum Angel s’est peu à peu métamorphosé, nous entraînant dans une singulière expérience, qui est aussi celle partagée par ceux qui le croisent sur leur chemin, celle d’affronter du regard l’étrangeté « über mann », l’autre, cette différence outrée, cette curiosité.

    Avec Jean-Paul Gaultier, Azzedine Alaïa et Claude Montana, en leur temps, l’homme qui fera révéler plus tard le véritable talent caché de Cindy Sanders, avait cassé le moule d’une mode comme on l’entendait à l’époque. Il souhaitait, au delà du simple fait de surprendre ou d’apporter sa pierre à l’édifice, se servir de l’afféterie du monde des vêtements de luxe pour exprimer son penchant pour l’architecture, le grandiloquent, le spectaculaire, mais aussi une certaine noblesse trouvée dans la vulgarité et un esprit comics et pop. Ses robes tapageuses ne soulignaient pas spécialement une femme qui serait bien faite. Cela lui était égal, qu’elle soit bien faite, car ce qu’il recherchait avant le confort vestimentaire, c’était la représentation permanente, le show, le « Wouah », le « Oh lala, c’est dingue ».

    Paradoxalement, ses créations pour les hommes n’ont jamais été à la hauteur de ce qu’il a pu imaginer pour les femmes. On se souviendra de vestes sages, peut-être aussi de ce col Mao porté par Jack Lang à l’Assemblée nationale en 1981, mais avec le  recul, le reste paraît terriblement daté ou en demie-teinte. Non, c’est seulement et réellement la représentation féminine comme seule source d’inspiration pour créer des pin-up insectoïdes, des amazones futuristes, des mutantes reptiliennes, qui poussa et poussera encore Mugler alias Manfred à oser Joséphine.

    Aujourd’hui, Manfred est donc ce producteur de shows impressionnants à l’âge gommé, devenu à l’instar de Karl Lagerfeld, une créature, un pur control freak qui tyrannise sa propre vie par unique souci de laisser une trace sur terre après sa mort. Une trace baroque, un reflet déformant, Felliniesque…

     

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  • Ines de la Fressange : « Si la mode n’est pas un art, Azzedine Alaïa était un artiste »

     

     

    Ines de la Fressange, qui a défilé plusieurs fois pour Azzedine Alaïa, se souvient du couturier, décédé ce samedi 18 novembre à l’âge de 77 ans.

     

    « Jeune mannequin, je me souviens de ce petit bonhomme dans les coulisses effervescentes des défilés Thierry Mugler, arrivant les bras chargés de manteaux qu’il venait de terminer ; toutes les filles semblaient le connaître, criaient son prénom, l’embrassaient et plaisantaient avec lui : Azzedine ! Azzedine ! Avant d’apprendre que cette petite silhouette noire embellissait les femmes, j’ai vu d’abord comme elles l’aimaient.

    Plus tard, inconnu du grand public mais ami et complice d’Arletty, nous allions, nous les mannequins, rue de Bellechasse dans le petit appartement d’Azzedine où il habitait, mais où se trouvait aussi son bureau et son atelier, afin de faire les essayages pour son petit défilé qui se passait dans ce même lieu. Azzedine savait coudre, couper, draper, mais cet extrême professionnalisme était toujours ponctué d’humour, d’éclats de rire, d’histoires, de souvenirs racontés, de blagues, de coup de rouge, de bons petits plats.

    Il aimait les femmes, il en avait connu beaucoup, de toutes sortes de milieux et aimait, entre autres, se souvenir de cette petite employée de maison qu’il avait relookée avec juste un petit pull col en V et une épingle à nourrice, mais aussi de ces grandes bourgeoises des années 60.

    Il n’avait pas de sous pour nous payer à l’époque, nous le savions mais pour lui, évidemment, on défilait gratuitement. En revanche, comme il était un gentilhomme, il nous offrait une robe : une façon de remercier mais lorsqu’il disait « cela me fait plaisir », on sentait la sincérité. A l’époque ses vêtements étaient sur commande et sur mesure, j’ai donc choisi une robe et nous étions convenus d’un premier essayage. Pas de premier d’atelier, Azzedine se chargeait de tout.

    Là, devant le miroir, enfilant cette robe de jersey qui était un body avec deux pans qui se drapaient en se croisant derrière, je me suis redressée, cambrée, j’ai mis mes épaules en arrière et, je dois le confier, je me suis… admirée. Azzedine était derrière moi et j’ai vu ce petit sourire espiègle ; il avait compris cette seconde de satisfaction narcissique, constaté une soudaine féminité, apprécié le changement soudain d’attitude, son petit tour de magie avait fonctionné. Voilà ce qu’il aimait, trouver la petite bonne femme en vous grâce à sa robe et faire sortir cette féminité coquine, glamour et si parisienne.

     

    Si la mode n’est pas un art, Azzedine était un artiste, il avait son monde, ses goûts, son panthéon de femmes qu’il admirait et très vite, il a refusé ce système qui ne lui convenait pas.

     

    Avec sagesse, Azzedine a compris que ce qu’il aimait était son travail, sa liberté, ses amis, ses chiens, Paris, le talent, la qualité, l’excellence. L’argent ou même les honneurs, il n’en avait que faire et très poliment il envoyait promener les cons. Pas étonnant que sa grande amie ait été Arletty : lui le Tunisien avait cet esprit gavroche, la gouaille et l’humour d’un titi parisien.

    Aujourd’hui, il laisse de nombreux amis avec un immense chagrin : Tina Turner, Naomi Campbell, Gilles Bensimon, Leila Menchari, son amie de toujours, mais aussi toutes ces femmes dont les amoureux ignorants de la mode aimaient lorsque leur femme étaient habillée en Alaïa.

    Il part et emporte avec lui un peu de l’esprit parisien, les souvenirs de la haute couture des années 60, un grand sac de frivolité et de joie de vivre, un manuel épais de connaissance de la couture et du tissu. Lui qui ne s’habillait que d’un petit costume chinois noir va devoir adopter le blanc pour ses ailes en papier de soie.

    Les enfants du paradis se regroupent : en leur racontant des histoires drôles, Azzedine doit déjà être en train de relooker les anges !

    Arrivederci Maestro !

    Ines. »

     

    Article par Marion Dupuis pour le Figaro Madame