Étiquette : Act-Up

  • 120 Battements par Minute

     

     

    On se sent toujours un peu ennuyé, voire même coupable, lorsqu’on a le sentiment d’être passé à côté d’un film qui croule sous une avalanche de dithyrambes… Mais c’est pourtant ce que j’ai ressenti avec « 120 Battements par Minute ».

     

    Même si je fus un protagoniste de cette période, ou plutôt un figurant, je ne me suis pas retrouvé dans cette description qui se veut factuelle d’une époque, avec les événements qui s’y rattachent. Je n’ai jamais été ni activiste ni séropo, ou quoi que ce soit qui pourrait s’assimiler à l’histoire des personnages du film « 120 Battements Par Minute » de Robin Campillo. J’y retrouve cependant tel ou tel trait de caractère que j’avais noté dans le comportement de ceux que j’ai pu croiser à l’époque, pris dans leurs combats.

    Je vivais pourtant à Paris et je jouissais d’une vie de jeune gay tout ce qu’il y a de plus lambda, sans avoir été confronté une seule fois à une situation vraiment douloureuse. Je me protégeais, et même si je cotoyais ou couchais avec des séropositifs, ces derniers n’évoquaient jamais leur drame intime. On savait la période dure pour ceux qui avaient contracté le HIV, mais néanmoins floue car tout était encore bien nébuleux au sujet de ce virus.

    C’était l’avènement de la House et du Garage, et les boites de nuit gay étaient à cette époque paradoxalement d’incroyables temples païens où la danse constituait un exutoire, une communion, et où l’on allait d’abord pour danser avant de draguer. En ce sens, les scènes de clubbing dans le film sont extrêmement belles et comptent parmi les plus réussies.

    Alors, même si le film de Robin Campillo décrit avec force détails le fonctionnement d’Act Up, les enjeux de l’époque, et tous ces personnages inspirés de la réalité, il nous manque pourtant quelque chose. Sans doute une hauteur, une ampleur… Les trois histoires présentées dans le film s’imbriquent mal. Elles se mélangent, se superposent mais interagissent difficilement entre elles. Du fait d’un budget restreint, d’un cadrage trop serré et d’un nombre limité de décors, le film finit par être étouffant, suffoquant. Peut-être était-ce une volonté artistique du réalisateur, mais les scènes d’intervention, les coups d’éclat, les manifestations manquent de force et de hargne. Elles sont trop « cheap » et sonnent faux.

    En voulant sans doute coller aussi à une stricte réalité et ne pas tomber dans un misérabilisme flamboyant façon « Les Nuits Fauves » ou certains des films de Patrice ChereauL’homme Blessé », « Ceux Qui M’aime Prendront Le Train »…), 120 Battements prend le parti-pris d’un naturalisme « Pialesque » sans savoir où couper. On se retrouve ainsi avec des scènes étirées qui éclipsent certaines autres, plus courtes mais pourtant plus réussies. On ne s’attache que difficilement aux personnages, mis à part Nathan, une sorte d’être lumineux et bienveillant. Quant aux autres, ils sont surtout des stéréotypes que l’on a tous déjà côtoyés dans les milieux gay que l’on pouvait fréquenter à l’époque. Personnellement, ces individus m’agaçaient de par leur hargne, leurs rapports conflictuels et l’arrogance affichée comme seul moyen de communication.

    Avec si peu d’empathie et cette morgue comme seule alternative pour expliquer les enjeux, on se demande où réside l’intérêt du film aujourd’hui et surtout à qui il s’adresse, finalement… Aux gays ayant vécu cette période, comme une piqure de rappel ? A un jeune public qui ne connaîtrait pas cette époque symboliquement forte du militantisme en France ? A un public qui voudrait en savoir plus sur la communauté LGBT ? D’autant que cela retrace l’histoire d’Act Up, quand tout restait encore à faire. Depuis, heureusement, et sans doute en grande partie grâce à eux, des progrès considérables ont été mis en oeuvre pour le traitement des malades.

    Au-delà de la dimension historique, didactique, je m’attendais malgré tout à être secoué, galvanisé, en regardant un film puissant et électrique. Je pensais aller voir un morceau brut d’énergie pure, une ode à la vie. Une expérience sensitive et bouleversante… On me dira que le combat est donc toujours d’actualité, certes, mais je me penche ici uniquement sur l’expérience cinématographique et non pas sur les idées qu’elle défend. Et en tant qu’oeuvre qui voudrait s’adresser à un large public, je crains que beaucoup restent sur le bas côté et n’entendent rien à ce 120 Battements qui exprime plus le sentiment de mort que l’espoir ou la lumière.

    La fin est pesante, interminable et inutilement arrache-larme, et tout ce qu’avait tenté d’éviter le réalisateur durant le métrage, à savoir ce pathos omniprésent, nous explose ici à la figure de manière maladroite et crispante. Le générique final enfonce le dernier clou de ce cercueil qu’est « 120 Battements Par Minute » et notre coeur, quant à lui, s’est arrêté de battre…

     

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  • « TÊTU » a tourné sa dernière page

     

    La dépêche est tombée : Le tribunal de Grande Instance de Paris a prononcé la liquidation judiciaire du magazine français « TÊTU » créé en 1995 par Didier Lestrade (journaliste et écrivain, militant engagé dans la défense des droits des homosexuels et activiste dans la lutte contre le sida) et Pascal Loubet (co-fondateur de l’association Act-Up Paris en 1989).

    Sur leur site officiel, la page du jeudi 23 juillet titre : « TÊTU, c’est fini… ». Personne n’aura pu jouer le rôle de sauveur, c’est à dire de repreneur, du journal en difficulté financière. D’abord destiné à la communauté gay et lesbienne, la variété des sujets et la qualité des articles lui ont permis de toucher un public beaucoup plus vaste. Pourtant, en 2007, le slogan « Magazine des gays et des lesbiennes » est abandonné et le mensuel devient plus gay que lesbien, sacrifiant ainsi une partie de son lectorat du début. Les couvertures mettent principalement en scène des hommes. En 2009, la rubrique consacrée aux filles disparaît à son tour complètement, donnant ainsi une nouvelle ligne éditoriale clairement masculine au magazine.

    Aujourd’hui la communauté a un positionnement différent de celui des années 1980. Au départ, il s’agissait de reconnaissance, de combat pour l’égalité des droits, de santé publique et de liberté d’exister tel que l’on est. Les lecteurs des années 2015 ne se reconnaissaient plus dans un magazine jugé trop parisien et trop bobo : « Non, il ne suffit pas d’être homo pour avoir envie de lire ce mag. Oui on habite dans la capitale ou dans les grandes agglomérations, mais aussi dans les toutes petites villes et les villages. Non, on ne passe pas notre temps à bronzer et soulever de la fonte (…). On s’en fout du dernier coming-out de la star du moment. On a aussi des préoccupations plus terre-à-terre. On aime aussi les jeux vidéos, s’occuper du potager et le barbecue avec des potes devenus quadras comme nous. » commente Christian, internaute.

    Les avancées sur les droits des homosexuels, le mariage pour tous, la reconnaissance du droit à la différence et l’affichage d’une sexualité décomplexée ont participé à la démobilisation du lectorat gay qui ne veut plus se faire remarquer pour être reconnu comme lors de la Gay Pride, mais veut au contraire se fondre dans la masse et ne plus se distinguer. Enfin, les réseaux sociaux de portée internationale ont fait de l’ombre à un organe papier hexagonal. Le nouveau combat, c’est le droit des homosexuels en Russie, en Afrique, au Moyen-Orient. « Pas de visibilité des minorités ethniques. Très bobo branchouille. TÊTU ne ciblait que la caricature de l’homo du Marais s’extasiant sur la mode. Il n’a pas su évoluer. Je me souviens de la réponse du staff quand je parlais de la visibilité black, me répondant que malheureusement ça faisait moins vendre… » écrit Gaëtan en commentaire sur le site du journal.

    Beaucoup de lecteurs étaient abonnés depuis le tout premier numéro, en juillet 1995. D’abord par acte militant, puis par affection et fidélité. Ils étaient ainsi 33 000 par mois en moyenne à feuilleter le magazine qui reprenait le flambeau du « Gai Pied » lui-même disparu trois ans plus tôt (1979 – 1992). Des célébrités y ont fait leur coming-out, comme le chanteur Emmanuel Moire. D’autres ont accepté de parler longuement du sujet dans des entretiens, comme Muriel Robin. Jusqu’aux politiques qui trouvaient sans doute branché d’y étaler leur ouverture d’esprit pour se faire un peu de publicité (Lionel Jospin et jacques Chirac en 2002). Depuis, tous les candidats aux élections présidentielles sont passés par la case « TÊTU » ainsi que beaucoup de People. Catherine Deneuve, Valérie Lemercier, Diane Kruger, Jamel Debbouze, Mylène Farmer et quelques sportifs renommés feront la Une du journal.

    Mais la ligne éditoriale a raté un tournant décisif. Elle n’a pas su voir le changement des attentes des lecteurs après la crise de 2008. « Je fais gaffe à mes petits sous, je fréquente plus Franprix que Colette, plus Primark que l’Avenue Montaigne ou les boutiques de Soho : je vous laisse imaginer le nombre de pages que je survolais » commente Guytou le Basque.

    De TÊTU il faudra se rappeler le projet magnifique et courageux de deux militants il y a pile 20 ans. Un bien triste anniversaire, mais aussi, une si belle aventure !

     

     

    Instant-City-Têtu-Couverture-Deneuve

     

     

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    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Têtu Official

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Communiqué du site du jeudi 23 juillet

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Rachetons Têtu