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  • Daniel et Charlotte Angeli : L’art, une affaire de famille…

     

     

    Daniel Angeli vient de publier un livre de photos, « Vies privées », un recueil de photos inédites. De renommée internationale, souvent surnommé « le roi des paparazzis » ou « le paparazzi gentleman », Daniel Angeli est un personnage hors du commun, une bible vivante des années Stones, Lennon, Piaf, Bardot, Taylor et autres grandes stars sur papier glacé. Pour Instant City, il a accepté de nous recevoir et de se raconter. Voyage au pays des people.

     

    Nous arrivons au pied d’un immeuble ancien. Nous n’avons pas le code. J’attrape mon smartphone pour l’appeler, mais inutile. Monsieur Angeli arrive de la boulangerie, cheveux et barbe blanches, son pain sous le bras. Il tape son code. La lourde porte en bois clair s’ouvre sur un hall d’entrée aux carreaux de ciment anciens. Daniel Angeli appelle l’ascenseur tout en s’excusant. Je m’y engouffre en premier. Il est minuscule et nous y tenons à peine à trois, collés les uns aux autres : contact établi. Daniel nous annonce une surprise : sa fille Charlotte et la maman de Charlotte, Elisa, seront là aussi. Sur le palier, trois portes doubles en bois de couleur vert-anglais. Sur celle de droite, une photo : le portrait d’une femme au grand sourire et au regard doux. « C’est mon père qui a fait la photo. C’est le portrait de la voisine. Elle avait mis une photo mais mon père ne la trouvait pas belle, alors il en a pris une autre et la lui a offerte. » nous expliquera Charlotte. Daniel ouvre la double porte du milieu. Nous voici chez lui… Il s’agit d’un très joli appartement ancien au parquet qui craque et aux murs blancs. Nous sommes dans l’entrée spacieuse. Face à nous, une porte-fenêtre en boiseries blanches et petits carreaux qui donne sur le double-séjour. A notre gauche, le couloir qui dessert la cuisine et une chambre. A notre droite, une autre chambre. Sur le mur, une photo de Daniel Angeli serrant la main de Jacques Chirac. Le préambule d’un livre de souvenirs que monsieur Angeli va nous faire l’honneur d’ouvrir pour nous.

    C’est très émouvant et nous sommes, Christophe et moi, extrêmement honorés d’entrer dans ce lieu intime, très touchés par la confiance qui nous est accordée. Les murs blancs sont ornés de ses photos : les Stones au mariage de Bianca et Jagger, Bardot allongée en maillot topless à la Madrague, Lennon à l’aéroport tenant la main de Yoko, Claudia Cardinale cernée par la foule et les photographes, Elizabeth Taylor..ils sont tous là, autour de lui, ceux qu’il a côtoyés et photographiés durant 30 ans. A gauche, le coin salon aux canapés et fauteuils en cuir marron type club et à droite une table carrée en bois exotique. D’immenses fenêtres laissent passer la lumière. Charlotte et Elisa nous accueillent avec un sourire chaleureux et nous proposent «  Un café, un thé, un jus d’orange.. ? ». Nous nous asseyons autour de la grande table. Charlotte part en cuisine et revient avec des cafés et de l’eau. Daniel a déjà commencé son récit. Il conte. Il raconte. Il déroule, intarissable, les milliers d’anecdotes qu’il a emmagasinées durant toutes ces années de planque et nous sommes comme le sultan Shahryar, hypnotisés par les contes des mille et une nuits, émerveillés.

     

    Daniel Angeli« Il faut que vous parliez de ma fille, elle est très talentueuse, c’est une peintre douée. Elle peint beaucoup depuis qu’elle est toute petite. Elle customisait des meubles pour des clients et on a eu une idée, après avoir vu l’exposition du Centre Pompidou de Metz : qu’elle s’exprime sur mes images, à sa manière. »

     

    Metz, Centre Pompidou, 2014. Le Centre consacre une exposition pluridisciplinaire sans précédent au phénomène et à l’esthétique de la photographie paparazzi, à travers plus de 600 œuvres. L’exposition se penche sur le métier de chasseur d’images en abordant les rapports complexes mais passionnants qui s’établissent entre le photographe et la célébrité shootée. On a ainsi souvent parlé du rapport ambigü qu’entretenait Lady Diana avec les paparazzi, tantôt rejetés, tantôt utilisés.

     

    Daniel Angeli« Je suis allé avec ma fille Charlotte au musée Pompidou à Metz. C’était incroyable pour moi : les paparazzi rentraient au musée ! Il y a eu un grand article dans Paris-Match dans lequel j’apparaissais en photo parmi tous les autres photographes de l’époque ». L’article faisait six pages. On rendait hommage à ceux qu’on qualifiait de « voleurs d’images ». C’était incroyable, un véritable tournant pour la photo de paparazzade, qui devenait une œuvre d’art et le paparazzi, un artiste. »

     

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    L’idée : utiliser les photos people de Daniel Angeli comme toiles pour sa fille peintre Charlotte. Première étape de ce projet familial, régler les problèmes juridiques. Direction le bureau d’avocat d’un ami de longue date de la famille, Gilles Hittinger-Roux qui se trouve être aussi un grand amateur d’art doublé d’un mécène. Cet homme a la passion, l’oeil et les compétences professionnelles. Ses conseils vont s’avérer précieux. Le premier : rassembler toutes les photos de Daniel Angeli, il y en a près d’un million, et protéger ce capital incroyable, à la fois pour la transmission à ses enfants et pour recenser l’ensemble de l’oeuvre. Après la faillite de son agence de presse, c’est l’agence Bestimages qui conserve les photos dans son fonds d’archives.

     

    Daniel Angeli : « Bestimages est dirigée par une amie à moi qui a repris mon fonds d’images et tout mon personnel, environ 80 photographes, après mon dépôt de bilan.Mon agence était dans les trois premières de Paris. Après mon accident (Daniel Angeli a fait un AVC), j’ai cherché à regrouper toutes mes photos pour garnir le Fonds de dotation. »

     

    Car Gilles Hittinger-Roux, leur ami et avocat, leur propose de créer un Fonds de Dotation, un mix entre la Fondation et l’Association. Il s’agit d’un cadre juridique dans lequel une personne morale (un individu ou un collectif), appelée aussi marraine si c’est une femme ou parrain s’il s’agit d’un homme, est utilisé comme outil de financement, de gestion et d’administration. Cette personne reçoit et gère les biens de manière désintéressée et non lucrative en les capitalisant dans le but de réaliser une œuvre, celle de Daniel Angeli, l’ensemble de son œuvre d’art photographique, 30 ans d’histoire people de 1966 à 1996.

     

    Daniel Angeli : « Comme je passais des heures, parfois seul, à attendre les stars, elles finissaient par m’accorder un rendez-vous. J »ai des millions d’images. Parfois je ne m’en souviens même plus. On sort des photos dont je ne me rappelle même plus. »

     

    C’est Mylène Demongeot qui acceptera d’en être la marraine, une amie de longue date que toute la famille adore, en particulier les enfants. La famille est grande et recomposée, Daniel Angeli s’étant marié quatre fois. Une première union dont il aura une fille, Rachel, aujourd’hui disparue. Une seconde union avec Elisa dont il a eu deux filles, Charlotte et Caroline. Une troisième, avec la journaliste Cécile Riboulet, la maman de César et Léo, 16 et 18 ans. Et un quatrième mariage qui n’aura duré que deux ans et dont le divorce tout frais date de trois mois. La famille, ses enfants, s’il n’a pas toujours été facile de les concilier avec sa vie de paparazzi, Daniel Angeli en parle aujourd’hui avec beaucoup de tendresse. Ses deux garçons, ses filles, il voudrait les protéger et leur léguer un héritage, ses photos, des centaines de milliers d’images, le travail de toute une vie. Cet homme souvent rejeté et dénigré pour son travail est flatté et honoré de se retrouver depuis peu au musée et de voir ses photos maintenant présentées comme des œuvres d’art. On ne peut qu’imaginer l’importance capitale de ce brusque changement de statut : on passe du « voleur d’image » montré du doigt à l’artiste montré dans des expositions. Ironie de la vie. Ce ne sont plus les magazines comme « Paris-Match » ou « Jours de France » qui vont s’arracher ses photos à prix d’or, mais le public des collectionneurs. Un retournement de situation que le gamin immigré de 15 ans d’origine italienne n’aurait jamais osé imaginer.

     

    Daniel Angeli, 1966 – 1996 : 30 ans de paparazzade

     

    Sa mère est décédée quand il avait cinq ans. Se décrivant comme un cancre à l’école, il poursuit tout de même jusqu’au lycée, à Buffon. Son père, maître d’hôtel, souhaitait le faire entrer dans le métier comme groom ou autre chose. Grâce à ses relations, il le fait embaucher comme assistant à « Jour de France » alors détenu par Marcel Dassault. Il y est stagiaire. Il a seize ans. Puis il change pour l’agence DALMAS, dans laquelle il travaillera d’abord au labo, au développement des photos, poste où il voit déjà défiler de nombreuses stars du Festival de Cannes sur papier, avant d’arriver enfin sur le terrain. Il est rapidement envoyé en reportage par le rédacteur en chef Claude Otzenberger, pour couvrir les soirées parisiennes . Il s’occupe des stars de la Rive Gauche comme Brassens, Léo Ferré, Jacques Brel. Edith Piaf.

     

    Daniel Angeli : « Jacques Brel était vraiment sympa. Il était à l’Olympia. Tous les soirs on allait au restaurant avec lui après le spectacle. Il amenait tellement de people dans la salle que ça m’a donné l’idée de faire Jacques Brel côté scène et côté salle. C’est un peu mes premières paparazzades. J’ai commencé ensuite à les suivre. Est né le groupe allemand « Voici » et on s’est mis à prendre des photos au téléobjectif. Etant très timide, je préférais me cacher derrière mon boitier. Ca me servait bien. »

     

    C’est aussi l’époque où Daniel s’occupe d’une succursale à l’aéroport d’Orly où il photographie les stars du monde entier arrivant dans la capitale française. Le 2 juin 1962, il est à l’aéroport quand survient le crash d’un avion d’Air France. Il se déguise en bagagiste et photographie le drame. Ses photos feront de nombreuses Unes. Sa carrière est lancée. Il raconte à ce sujet au micro de Philippe Vandel sur France Info :

     

    Daniel Angeli : « J’étais en train de draguer une hôtesse de l’air quand cet avion s’est écrasé à Villeneuve-le-Roi. C’était le premier grand accident d’avion. Je déjeunais dans un des restaurants en terrasse. Il y avait un monsieur dont tous les membres de la famille étaient dans l’avion. Il s’est évanoui. J’ai vite enfilé une cotte de l’Aéroport de Paris car il y avait un service de sécurité et j’ai pu aller faire des photos sur place, déguisé en bagagiste. J’ai eu du mal à m’en remettre. J’ai trimballé des cadavres dont les bras tombaient, grillés. Ca a été une épreuve très difficile pour moi. »

     

    Après son service militaire, il se met à son compte et fonde sa propre agence, l’agence de presse Angeli. On est en 1968. Daniel Angeli devient maître dans les photos dites « people ». Il calque son emploi du temps sur celui des stars, l’été à Saint- Tropez, l’hiver à Gstaad et entre les deux, sur le Rocher de Monaco et à Cannes pour le Festival,un rêve de gamin. « Aujourd’hui tout le monde est derrière une corde et personne n’a le droit de bouger » raconte t-il dans une interview de Benjamin Locoje à Paris-Match en 2015.

     

    Daniel Angeli : « J’ai vécu les premières époques en faisant des saisons : je louais une maison et j’emmenais ma famille. Ma femme et les enfants me suivaient. Mes filles sont nées à Saint-Tropez parce que c’était la saison et que ma femme accouchait où je me trouvais. Les filles ont grandi et on a toujours fait les saisons. Elles avaient des cours le matin avec un percepteur et elles skiaient l’après- midi.J’ai commencé à gagner ma vie grâce aux stars italiennes que je photographiais en France. En Italie la presse people était déjà développée, il y avait un vrai marché. En France c’est venu tardivement. Il y avait seulement « Jour de France » ou « Paris-Match. »

     

    C’est l’époque des années 1960, Saint-Tropez, Bardot, La Madrague…

     

    Daniel Angeli : « La Madrague… On était cinq photographes planqués dans l’eau à attendre qu’elle sorte pour la photographier. Elle savait très bien qu’on était là mais elle faisait semblant de ne pas nous voir. Elle s’étendait sur son ponton, seins nus. Parfois elle envoyait son chien pour qu’il nous morde mais le chien remontait très vite. »

     

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    Il noue des liens privilégiés avec les personnalités de l’époque. D’Aristote Onassis à Elizabeth Taylor en passant par John Lennon jusqu’à Gianni Agnelli qu’il photographie l’été 1977 nu sautant de son bateau. Cette photo fit scandale à l’époque car le PDG de Fiat venait d’être enlevé. Cette photo d’Agnelli est aujourd’hui l’une des plus connues et reste un symbole de la photo paparazzi.

     

    Daniel Angeli : « On me parle encore de la photo d’Agnelli qui saute de son yacht. Mais je n’ai pas fait que cette image-là ! A l’époque elle m’avait été payée par Match 1500 francs. Il fallait en faire pour gagner sa vie ! Cette photo a fait le tour du monde. Elle a été publiée je ne sais pas combien de fois ! Ce n’est pas une image volée pour rien. A cette époque-là on avait enlevé le PDG de Fiat France. Les ravisseurs demandaient une forte rançon et pendant ce temps-là le patron sautait dans la grande bleue à Saint Jean Cap Ferrat. Il a ensuite demandé à me rencontrer et on est devenus amis. La première grande star que j’ai été amené à suivre c’était Liz Taylor. Richard Burton montait dans ma voiture avec moi et me disait : emmène moi jusqu’au village boire un verre. On n’avait pas le sentiment de vivre dans leur ombre parce que pour faire ces images, on connaissait leur vie. On connaissait les habitudes de ces gens. Par exemple, Nicholson, avec qui on a eu tout le temps des rapports drôles nous a montré ses fesses un jour où on le photographiait sur le port de Saint-Tropez ! Ce que je voudrais dire, c’est qu’il y avait une complicité avec ces gens-là. C’est l’époque de ma vie que j’ai préférée. »

     

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    Sa photo la mieux vendue est celle de Grace de Monaco photographiée à côté de sa voiture sur le parking du Beach, une Rover, au volant de laquelle est décédera quelques semaines plus tard. La photo d’Aristote Onassis en compagnie de La Callas alors que le couple était censé être séparée, Onassis étant marié à Jacky, fit la Une de Paris-Match pour 1 million de francs. Sa plus belle prise ? Sarah Ferguson, l’épouse du prince Andrew, topless au bord d’une piscine dans le sud de la France, aux côtés d’un financier américain John Bryan, qui lui suce les orteils en 1992. Le divorce sera prononcé un an plus tard. Son plus gros ratage : la photo de Lady Diana sur le yacht avec Dodi Al Fayed. Sa femme était sur le point d’accoucher et il a envoyé un collègue italien sur le coup. Ce fut le plus gros coup de toute l’histoire de la photo à sensation : 3 millions d’euros. Le secret le mieux gardé ? Mazarine Mitterand. La rencontre la plus frappante ? Edith Piaf.

     

    Daniel Angeli : « J’étais arrivé en retard pour le rendez-vous shooting. Tous les photographes avaient déjà fait leurs images. J’étais devant le théâtre quand le marie d’Edith Piaf est venu me dire de partir. J’ai expliqué et je ne sais pourquoi, il m’a dit de venir. J’étais un gamin. J’avais à peine 20 ans. Je me suis retrouvé devant la scène, face à Edith Piaf, mon appareil photo à la main. J’étais très timide. Elle m’a regardé et m’a dit sur un ton fâché et agécé :

    • « Qu’est-ce que vous faites-là ? ».
    • J’ai répondu « Je voudrais faire une photo. Est-ce que vous pourriez faire semblant de chanter ? »
    • « Edith Piaf ne fait pas semblant de chanter »

    Elle a fait un signe de la main à ses musiciens. Tout l’orchestre s’est mis à jouer. Elle a chanté quelques notes, j’ai pris deux ou trois photos, elle a arrêté et je suis vite reparti ». Cette photo est unique. Il n’y en a aucune autre sur laquelle on voit Edith Piaf chanter pendant une répétition. »

     

    iCity : A Cannes, vous étiez à la fois le photographe officiel du Festival et paparazzi. Comment gère-t-on cette double casquette ?

     

    Daniel Angeli : « En tant que photographe officiel, on a des infos que le paparazzi peut utiliser. Par exemple, en 1972, j’ai su la date et l’heure d’arrivée de Paul Newman à Cannes. Il venait présenter son film « De l’influence des rayons Gamma sur le comportement des marguerites» dans lequel sa femme (Joanne Woodward) jouait le premier rôle. Je savais qu’il arrivait à 6 heures du matin en train. Il descend du train et je le photographie. J’avais toujours mes instincts de paparazzi. Aujourd’hui j’ai toujours ça dans la peau. Mylène (Demongeot) m’avait donné un rendez vous pour un reportage sur l’île de Porquerolles (où elle réside): au cours du séjour chez elle, elle me demande de l’accompagner au cimetière pour rendre visite à son mari . J’ai choisi de faire les photos au téléobjectif, à la manière des photos volées des paparazzi. La photo a été bien plus belle. »

     

    iCity : Vous racontez dans votre livre que Lennon vous aurait proposé de le photographier assis aux toilettes. Vous avez également photographié les Stones au mariage de Bianca et Jagger en bien mauvais état. Il semble que les stars vous aient laissé les photographier sans pudeur.

     

    Daniel Angeli : « Ce n’est pas de l’impudeur. Vous devez avoir connu les années 1968 pour comprendre. A cette époque soufflait un vent de liberté totale de la part de ces gens là. La proposition de Lennon, c’était un peu pour rire. D’ailleurs je ne l’ai pas faite, l’image. Lennon incarnait la liberté spirituelle. Cette année-là (1978), il présentait deux films à Cannes dont un à « La quinzaine des réalisateurs » qui montrait une mouche posée sur le sexe de sa femme en gros plan. Dans le second film, on voyait un ballon qui s’élevait depuis un parc dans le ciel, puis plus rien , juste le ciel, tout seul, filmé pendant presque un quart d’heure. C’était ça Lennon. Des clins d’oeil. L’anecdote du shooting dans les toilettes, c’était un clin d’oeil. Il a voulu m’embarquer dans l’avion ensuite, mais je n’avais pas un rond sur moi. Lui et Yoko partaient à Gibraltar. J’aurais dû monter quand même, et pourtant j’ai refusé parce que je n’avais pas mon portefeuille. Je le regrette vraiment aujourd’hui. Ces stars, Liz Taylor, Lennon qui constituaient les people connus, ça n’existe plus. Aujourd’hui, on n’a plus que des stars de téléréalité qui sont éphémères, c’est pas le même boulot ni le même contact. Ce que j’ai fait ne serait plus faisable car les stars ne sont plus aussi accessibles: il y a leurs agents et tout un tas de choses qui font barrière. Tout a explosé dans les années 1990. La situation s’est dégradée avec l’arrivée des groupes de presse allemands en France Ca a été la course à l’argent. Les prix ont flambé.On se retrouvait à dix voir à quinze sur un même coup. Il n’y avait plus de limites, les photographes devenaient agressifs .Et la « Star Academy » plus tard n’a fait qu’accentuer le phénomène. Des gamins devenaient des stars pour cinq à six semaines puis disparaissaient. »

     

    iCity : Avez-vous rencontré Serge Gainsbourg ? Je me rappelle cette photo de famille avec Serge, Jane et ses deux filles posant devant un hamac.

     

    Daniel Angeli : « Cette photo a été prise à Gassin, au Mas de Chastelas (un hôtel 5 étoiles de Saint-Tropez). Serge m’avait donné rendez-vous parce qu’on se connaissait. Je l’avais planqué avec Bardot, la seule photo qui existe d’eux d’ailleurs : les deux ensemble, dans la voiture. Il avait son appartement sur les quais, un truc donné par l’Etat avant l’ile Saint Louis, une chambre avec un piano. Je l’ai rencontré à maintes reprises. C’est Rostain qui était très pote avec lui. Gainsbourg est venu faire un jour l’émission de Sébastien sur la 5. Je me suis retrouvé avec lui à ramasser à la cuillère. On a fumé 6 paquets de clopes, on s’est bourré la gueule tous les deux, on s’est raconté des histoires de plateau comme celle de la femme de Le Pen à poil balayant le sol. Une fois que tu étais parti avec lui, tu finissais dans les roses. On a bu du mauvais vin. J’ai été malade. Tout ça parce que Patrick l’a fait attendre sur le plateau. On nous amenait du Côte-du-Rhône. J’ai dormi sur le plateau, je n’ai même pas pu rentrer chez moi. Ce soir-là, on a dû ramener Serge aussi. C’est le seul vrai contact que j’ai eu avec Serge. Je n’ai fait que le croiser.A l’époque de la photo de Saint-Tropez, il tournait un clip. Je lui demande un rendez-vous et il me dit de venir à Saint-Tropez. Là, j’ai fait cette photo avec toute la famille sur un hamac. J’ai des centaines de photos de Serge à une première ou sur un plateau. Mais pas de moments privilégiés ou de photos de paparazzi. Cet homme avait un charisme fou. »

     

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    iCity : Vous êtes dans l’appartement de François Mitterand. Vous le voyez étendu sur son lit de mort. Prenez-vous la photo ?

    (Sortie dans Paris-Match en 1996. Publiée par Roger Théron, patron de l’hebdomadaire. Le mystère demeure encore de savoir qui l’a prise. A lire sur le sujet l’article du Monde : François Mitterrand : le mystère de la dernière photo)

     

    Daniel Angeli : « J‘ai envie de la faire. Oui, je la fais. C »est très difficile de répondre à cette question. La seule photo que je n’ai pas faite, c’est celle du fils de Romy. Il y a un mec qui l’a faite… Une fois qu’on a fait la photo, on peut aussi décider de ne pas la diffuser… On a vu des photos horribles comme celle de Mc Queen sur son lit.

     

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    Je me souviens de l’enterrement d’Eddy Barclay. C’était la fête. Tous ses amis étaient là, Johnny, Carlos. Il y avait Collaro dans le salon qui rigolait. Tous les trois ont enterré Eddy. On a appelé ça «Les obsèques blanches». On m’a assis devant lui sur la table du salon avec une bouteille de très bon bordeaux. Il était étendu et j’ai eu peur de ce truc là. En fait c’était très bien : Eddy maquillé, en costume, j’ai eu une pensée pour lui. Carlos, était mon mailleur ami dans la profession. Puis il y a eu Anconina. »

     

    Le flot de paroles s’écoule, indomptable, ininterrompu, souvent décousu et difficile à suivre. On aimerait faire une pause, approfondir un sujet en particulier, mais impossible. Monsieur Angeli ne se laisse pas couper la parole ou bien se fâche, et il est intarissable. Quand il est parti à parler des anecdotes relatives à sa vie de paparazzi, on ne l’arrête plus. Le téléphone sonne. Elisa nous informe que Daniel a encore deux interview après la nôtre. Celui-ci l’interrompt.« elle attendra un peu. On est bien là. ».Et c’est vrai. On est bien. On fait un voyage dans le temps. La fumée des cigarettes envahit peu à peu la pièce. On ouvre la fenêtre du salon en grand. Charlotte et Elisa sont assises face à moi et dos à la fenêtre. Daniel est à ma gauche et Christophe à ma droite. Je le regarde poser ses questions, lui, le fan absolu de Gainsbourg et de ces années 1960. Nous n’en revenons pas d’être là, assis à écouter toutes ces histoires qu’on nous raconte. Mes yeux balaient les murs, passant d’une photo à une autre, de Lennon à Jagger, de Bardot à Claudia Cardinale ou Liz Taylor. J’imagine les scènes, j’entends les bruits de crépitement des flashs, les appels des photographes, les cris des fans qui réclament un autographe. J’essaie de ressentir l’atmosphère si particulière de ces années-là. 30 années à se cacher, à attendre tapi dans l’ombre, à manger des sandwichs, boire des bières, fumer pour s’occuper les mains et l’esprit. Ces journées entières d’attente interminable avec un matériel de plus de 15 kilos à portée de main. Deux appareils photos à l’époque de l’argentique, quand le numérique n’existait pas encore.

     

    Daniel Angeli : « On avait toujours deux appareils car on shootait beaucoup, on avait peur de rater LA photo parfaite et les pellicules défilaient à toute vitesse. Ce n’est pas comme aujourd’hui avec le numérique. On peut prendre autant de photos qu’on veut. On a des pouces de plusieurs gigas. Mais à l’époque, il fallait deux appareils. En cas de panne ou si la pellicule était finie, on pouvait attraper le second appareil d’urgence. On gardait toujours deux ou trois photos en bout de pellicule « au cas où », il se passerait quelque chose. »

     

    Daniel Angeli, 2010 – 2016 : de la rue au musée.

     

    En 2010, Daniel Angeli publie un livre de photos truffé d’anecdotes, « Vies Privées » (aux Editions Grund), préfacé par Raymond Depardon, dans lequel il revient en détails sur sa carrière. Et puis vient ce projet de fond de dotation. Daniel en est le fondateur.

     

    Daniel Angeli : « J’ai quatre enfants qui sont très proches. Les deux sœurs et les deux frères ne sont pas de la même fratrie mais ils s’entendent merveilleusement. Chacun a un rôle, président, secrétaire, ce qui créé une synergie et apporte un regard innovant de la part des enfants sur mes photos : Charlotte avec la partie artistique, César le fils aîné qui veut assurer la pérennité des images, Caroline qui dirige les expos. Ils ont tous des idées. C’est une force vive pour moi car mes enfants sont très actifs. Il y a une transmission qui se fait. »

     

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    Charlotte : « Si demain on perd notre père, on aura toujours les images qui parleront de lui. La photo de paparazzi est entrée au musée et de ce fait, étant désormais possiblement reconnue comme une œuvre d’art, notre projet était inattaquable. »

    Daniel Angeli : « Nous choisissons une photo. A chaque fois je raconte à Charlotte l’histoire qui entoure cette photo. Elle tient alors compte de cette histoire pour imaginer la façon dont elle va peindre par-dessus.Le but étant de faire une expo. »

     

    Le concept est le suivant : il s’agit d’offrir une seconde vie aux photos prises par le père. Père et fille sélectionnent des photos. Puis la fille prend ses pinceaux et habille la photo de peinture acrylique. Deux projets d’exposition sont en cours : l’une qui aura lieu à Saint-Bath dont le thème est celui des paysages inédits de l’île, l’autre autour des people.

     

    Daniel Angeli : « Ces photos qui ont été vues et revues prennent d’un seul coup une autre ampleur avec ce que ma fille fait dessus. »

    Charlotte : « C’est compliqué de reprendre une photo de papa et de peindre dessus : je ne me vois pas dans dix ans entendre mes enfants me dire « tiens maman je vais prendre une de tes toiles et peindre par-dessus » ! Il faut équilibrer ces deux arts qui se mêlent : l’art et la photo. Il y a un choix très long à faire. Le monde de l’Art est demandeur d’anecdotes et de légendes sur les stars. Cela permet d’offrir une nouvelle vie aux photos de mon père. »

     

    Charlotte nous montre une de ses toiles : sur une photo de Chagall et de sa femme prise par Daniel Angeli, elle a peint des éléments piochés dans les tableaux du célèbre peintre.

     

    Daniel Angeli : « C’est grâce à un coup de chance que j’ai pu prendre cette photo. Je travaillais sur Travolta et j’avais loué un bateau au Cap d’Antibes. J’entends des clapotis autour du bateau et je reconnais le peintre en train de nager autour de mon bateau. J’ai fait deux images. »

    Charlotte : « On a fait un tirage photo noir et blanc à partir d’ un négatif couleur à la base et j’ai encollé cette reproduction sur une plaque de zinc. »

    Daniel Angeli : « Ce sont des photos qui ont une histoire et elle les traite avec son art. »

    Charlotte : « Chagall mettait toujours un oiseau bleu sur ses peintures, alors j’en ai peint un sur la photo. J »ai un peu du culot de faire du Chagall sur du Chagall : il faut considérer ça non pas comme une copie mais comme un clin d’oeil. »

     

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    C’est exactement ça, l’idée du père et de la fille. Raconter l’histoire de la photo à travers la peinture.

     

    Photos de rue par la fenêtre…

     

    La fumée envahit de plus en plus la pièce. Je me lève pour faire une pause. Je me dirige vers la fenêtre ouverte côté salon et me penche pour voir la vue. De l’appartement on voit le haut de la Tour Eiffel et les toits de Paris. Au pied de l’immeuble, un arrêt de bus, une boite aux lettres, un passage-piétons. Au pied de la fenêtre, sur le parquet, le matériel photo de Daniel Angeli. C’est de là que, sur le petit balcon, il photographie la rue et ses passants anonymes.

     

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    Daniel Angeli : « J’ai besoin de faire des images. Je ne suis pas vraiment à la retraite. J’ai été photographe de plateau sur des films. Je fais l’actualité de Mylène Demongeot. Je me suis mis à faire des milliers de photos depuis la rue. J’en ai 10 000 dans mon ordinateur. Je photographie les gens dans la rue. J’ai l’impression de me prendre pour Cartier Bresson, mais avec un œil du 5ème. Ce que je fais là me permet de tuer l’ennui. Je photographie la solitude des gens âgés comme j’en fais un peu partie et des situations drôles quelquefois. Ma recherche est plus dans une confrontation. Il y a un risque, mais si quelqu’un se reconnaît, on retirera la photo. Le monde de l’art est une protection : c’est le cas des photographes de guerre. Ce que je fais est risqué mais ça me passionne. C’est la façon dont s’habillent les gens qui est fascinante. L’arrêt de bus est un truc très drôle car certaines fois on ne voit que les pieds qui dépassent et selon les saisons, les vêtements changent. J’ai un pêcheur qui est passé devant chez moi. En plein quartier de la Défense ! J‘ai fait « Vies privées », maintenant je fais « Vies publiques » : tout en volant des images. Ce que j’aime c’est voler des images. »

     

    19h30. Nous sommes arrivés à 15h00. Plus de quatre heures de partage à discuter comme de vieux amis autour d’un café. Il est temps de dire au-revoir. Nous sommes épuisés mais tellement heureux. On se quitte en s’embrassant, contents d’avoir partagé ce moment exceptionnel, accueillis avec tant de générosité. Daniel est au téléphone en interview. Nous papotons encore un peu sur le pallier avec Charlotte et Elisa que nous remercions du fond du cœur pour tout ce temps accordé à deux parfaits inconnus. Nous nous promettons de nous revoir, de dîner un soir tous ensemble. Nous sommes déjà deux étages plus bas dans l’escalier au tapis moelleux qui recouvre les marches en bois lorsque nous entendons Daniel Angeli nous appeler. Il a raccroché le téléphone. Nous remontons rapidement. « Alors, qu’est-ce que vous avez pensé des toiles de ma fille ? ». Daniel Angeli est photographe certes, mais avant tout un père.

     

    Mini questionnaire de Proust :

     

    iCity : Un endroit sur Terre ?

    Daniel AngeliSaint Bart…

     

    iCity : Le meilleur scoop de ces dernières années ? 

    Daniel AngeliHollande en casque sortant de chez Julie Gayet.

     

    iCity : La valeur la plus importante à vos yeux ?

    Daniel Angeli : Le respect de l’espace privé. Je n’ai jamais shooté quelqu’un chez lui ou un enfant. J’étais tout le temps dans un espace public : la rue, l’eau…

     

     

     

  • Rétrospective Paul Klee au Centre Pompidou (du 6 avril au 1er août 2016)

     

     

    Cela faisait 47 ans que la France n’avait pas organisé de grande rétrospective consacrée à l’artiste allemand Paul Klee.

     

    La dernière avait eu lieu en 1969 au Musée National d’Art Moderne.

    250 œuvres de Paul Klee sont donc exposées actuellement au Centre Pompidou, sur un thème défini : « L’ironie romantique », le goût de la satire et de l’ironie ayant toujours été très forts chez le peintre. On y verra aussi bien des peintures que des sculptures ou des dessins, dont certains n’ont jamais été montrés en France et d’autres qui furent exécutés durant sa jeunesse sont en cela plus méconnus.

    L’exposition se découpe en sept sections correspondant à des étapes bien spécifiques du parcours de l’artiste. Elle tend à montrer comment, au fil des différentes périodes de sa vie, Paul Klee parvient à dénoncer avec ironie les dogmes et les normes de ses contemporains. Arme redoutable, cette ironie lui sert à déjouer les règles et ainsi affirmer sa liberté totale. Insoumission, transgression, idéalisme, Klee refuse d’être un suiveur, un épigone, et choisit la satire. Parmi les œuvres, trois sont particulièrement extraordinaires :

    • « Chemin principal et Chemins secondaires » (1929 – Musée de Cologne)
    • « Insula Dulcamara » (1938 – Musée de Berne)
    • et le mythique « Angelus Novus » exposé à côté du texte de Walter Benjamin qui lui est consacré (Aquarelle 1920 – Collection du musée d’Israël)

     

     

     

     

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    Du 6 avril au 1er août 2016

    Visites ouvertes de 11h à 21h – Nocturne tous les jeudis soirs jusqu’à 23h

    Tarif : 14 euros

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Centre Pompidou

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Vidéo Exposition

     

     

     

     

  • L’érection selon Jim

     

     

    Jim est un compagnon de route fidèle d’Instant City. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la lecture de « Une Nuit à Rome » et de « L’Invitation » dont Michael Cohen a tiré un long-métrage qui sortira à la rentrée prochaine. C’est donc avec plaisir et curiosité que nous avons découvert son dernier né : « L’érection ». La bande dessinée est parue le 1er juin 2016 aux éditions Bamboo, dans la collection Grand Angle. Une histoire de couple comme les aime l’auteur, qui retrouve Lounis Chabane au dessin avec lequel il avait déjà co-réalisé les deux tomes de « Héléna ». Le pitch : quelques jours avant Noël, Léa et Florent, la quarantaine, reçoivent un couple d’amis, Alexandra et Jean-Fabrice. Au cours du dîner, ces derniers annoncent leur intention de se séparer. Emue, Léa pose alors sa main sous la table sur la cuisse de Florent et découvre que celui-ci est en pleine érection. S’en suit une nuit de disputes et d’événements inattendus qui feront éclater toutes les vérités…

    Les dessins sont très beaux, la couleur est magnifique, avec ces bleus (qui rappellent la couleur de la pilule), ces vieux roses et parfois ces pointes de rouge qui font relief. Le lecteur se positionne comme un spectateur face à une scène de théâtre. Il assiste à une comédie de boulevard, un vaudeville. Jim s’amuse. Après le titre gentiment provocateur à la manière d’une blague de sale gamin, il joue avec les défis : économie de décors et de personnages, huis-clos, histoire en deux actes. Comme au théâtre. Souvenir d’enfance des soirées familiales le vendredi soir devant le poste de télévision et le rendez-vous incontournable de « Au Théâtre ce Soir ». On a tous en tête les fameux « costumes de Donald Cardwell » et les « décors de Roger Harth ». « L’érection », c’est aussi tout un tas de clins d’oeil placés ça et là : des détails de décors comme le petit robot de Star Wars près de la crèche en Playmobils, des prénoms, des anecdotes dont Jim vous livre le secret. Interview…

     

    Instant-City-Jim-Lounis-Chabane-Lerection-001

     

     

    iCity : Bonjour Jim. Comment allez-vous ?

    Jim : Bien ! Mais si la question s’applique à ce jour précis, je dirais que j’enrage car rien n’avance aussi vite que voudrais. J’attends des réponses qui tardent, et ça me rend juste fou… Mais sorti de là, tout va bien ! C’est juste le quotidien d’un impatient…

     

    iCity : Justement, sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

    Jim : Je mélange moments de BD au dessin et écriture de films. Quand on est en phase d’attente de réponses comme en ce moment, on se sent un peu freiné dans son élan… Mais du coup, j’avance la BD, et dès que les réponses tombent, je saute sur mon clavier. Alors qu’en vérité, on aimerait avancer d’un même mouvement, sans la moindre coupure. Mais ces phases d’attente permettent aussi de laisser refroidir le projet pour avoir un peu de recul.

     

    iCity : Trois publications en 2015 : les Tomes 2 de « Un petit livre oublié sur un banc » et de « Héléna », encore avec Lounis Chabane. Puis aussi « De beaux moments ». Comment expliquez-vous cette boulimie de travail ?

    Jim : Les albums prennent du temps à se faire et parfois il y a des effets de cumul. C’étaient des albums sur lesquels je bossais depuis longtemps et de fait, il peut y avoir une légère impression d’embouteillage vu d’un oeil extérieur. J’aime beaucoup avoir une actualité et des livres en librairie, mais il y a aussi des moments où il ne se passe rien. Il m’est arrivé il y a quelques années d’avoir onze nouveautés sorties la même année, mais certaines d’entre elles avaient démarré trois ans plus tôt. Quand on est dessinateur, il faut parfois un an voire un an et demi pour faire un album, plus certains dont je suis seulement au scénario, et parfois on peut avoir une impression curieuse de cumul, ce qui n’est pas le cas.

     

    iCity : Pourquoi publiez-vous chez divers éditeurs (Vent d’ouest, Grand angle, Casterman) ?

    Jim : Ca dépend des projets. En ce moment, je ne suis que chez Grand Angle parce qu’on est bien ensemble, on a les mêmes envies, le dialogue est simple et positif.

    Chez eux, j’ai trouvé une réelle mise en avant du livre, ce qui n’est pas toujours le cas chez tous les éditeurs. « Une Nuit à Rome » a eu du succès aussi grâce à son éditeur. Un album peut être bien ou mal traité. Certains éditeurs, par manque d’ambition, peuvent freiner le développement d’un album, ou au contraire le pousser en avant. Grand Angle croyait dès le départ en « Une Nuit à Rome » et voulait l’aider à trouver son public. Il ne mettait pas de barrages à son expansion : cinéma, édition de luxe, par exemple. Quand on ne trouve par le bon éditeur, on peut être amené à en changer. Pareil si on ne veut pas s’encroûter, car hélas la relation à l’éditeur n’est pas éternelle, on est souvent contraint de tester de nouvelles relations pour se renouveler. Ça permet de changer de mode de fonctionnement et sans doute parfois est-il important de rappeler à un éditeur qu’on peut aussi papillonner ailleurs. C’est de bonne guerre, les éditeurs travaillent avec de nouveaux auteurs en permanence. On n’est pas enfermé l’un avec l’autre. Je suis un auteur médian : pour l’instant, je n’ai pas de souci pour me faire éditer, mais je ne peux pas non plus faire ma star. On ne peut rien imposer à son éditeur. Ce qui fait la différence lors du choix de mon éditeur, c’est l’honnêteté de la relation, la franchise, sa capacité à donner sa chance à un projet, de sentir qu’il sera porté par une réelle envie. Que tout ça se fasse dans le plaisir, simplement !

     

    iCity : A quoi correspond la collection Grand Angle chez Bamboo ?

    Jim : Bamboo était au départ sur de la bande dessinée humour. Ils ont voulu créer une collection, un label pour des albums plus sérieux et plus réalistes.

     

    iCity : C’est votre seconde collaboration avec Lounis Chabane : un choix de votre éditeur ?

    Jim : C’est Lounis qui a apprécié « Une Nuit à Rome » qui avait demandé à l’éditeur si on pouvait travailler ensemble. Il a lu plusieurs scénarii que j’avais écrits et a accroché sur celui d’« Héléna ». On a bossé sur l’album et on a eu envie de continuer notre collaboration. J’aime bien quand celle-ci perdure sur plusieurs albums. On a fait des progrès ensemble et on va plus loin que sur « Héléna ». Je crois qu’on est meilleurs. L’album « L’érection » est mieux dessiné et mieux écrit, même si c’est difficile d’en juger vraiment, en temps qu’auteurs. Mais je nous sens plus efficaces. Il existe une réalité très simple quand on créé une bande dessinée : parfois on est content, un peu ou moyennement de ce qu’on a réalisé, aucun de nous deux ne peut dire si à l’arrivée nous serons satisfaits du résultat final. Il se trouve que là, on est plutôt contents.

     

    iCity : Comment fonctionnez-vous ensemble, lui à Paris et vous à Montpellier ?

    Jim : Oh, ça se fait très naturellement. Je suis très investi dans le découpage : c’est une phase que j’adore. Je fais le story-board et Lounis fait le crayonné. Il me le montre et quand ça nous va à tous les deux, il attaque l’encrage, scanne les planches, les envoie par mail. Il faut être en phase pour travailler ensemble. Lounis est très bosseur et perfectionniste : il sait qu’à chaque fois qu’on pinaille ou retravaille une pose, c’est pour optimiser le résultat à l’arrivée. Il est très investi, on a une relation très franche et perfectionniste. Ca peut être contraignant pour un dessinateur d’avoir quelqu’un qui donne son avis sur les planches. Le fait que je dessine aussi est à la fois un avantage et un inconvénient. Avec nous, ça marche dans les deux sens : Lounis me propose aussi des modifications sur les dialogues quand il veut arranger certaines choses. Ce fut le cas par exemple avec les dialogues entre les jeunes de la fête du dessus. Je supervise aussi les couleurs que fait Delphine au fur et à mesure que l’album avance. Pour aller plus loin, j’aimerais un jour pouvoir faire un album sans rien voir du travail en cours et ne découvrir l’ensemble uniquement qu’une fois imprimé. Je donne mon scénario, le texte que j’ai écrit, l’histoire que j’ai créée et elle m’échappe, elle ne m’appartient plus. Quelques semaines ou mois plus tard, je découvre une œuvre totalement réappropriée. J’aimerais alors être surpris de voir de quelle manière elle a été restituée. Mais ça demande un lâcher prise que je n’ai pas encore, même si je cours après ça ! (Rires).

    Pour l’instant je pense qu’il y a une chose que je sais bien faire et qui imprime un ton à mon histoire, plus que le scénario, je crois que c’est le découpage. J’ai du mal à me priver de ça. On peut vraiment abîmer un scénario ou au contraire le mettre en valeur avec le découpage. Je suis sensible à cette phase-là et j’ai du mal à lâcher là- dessus. Je fais des croquis très rapides de chaque case. Cela me prend environ une à deux heures pour une page de découpage, trouver le bon rythme, la bonne narration. Lounis imagine alors tous les décors, les attitudes, les visages et leurs expressions, les vêtements etc… Il lui faut compter environ trois à quatre jours pour une page. Il faut que tout se tienne et que l’ensemble reste fluide. C’est Delphine, ma femme, qui met ensuite le tout en couleur. Elle n’apparaît pas en première de couverture mais sur la page du titre à l’intérieur, comme tous les coloristes. Il y avait eu des tentatives par le passé pour faire apparaître le nom du coloriste sur la couverture, mais cela n’a pas tenu. Le coloriste est hélas davantage considéré comme un technicien de la couleur que comme un artiste créateur au même titre que le scénariste ou le dessinateur, et il faut se battre parfois contre son éditeur pour qu’il ai un pourcentage de droits sur l’album. D’ailleurs, ce pourcentage, ce sont les auteurs qui le retirent de leur part la plupart du temps. Ce qui est injuste. Le coloriste est trop souvent à part dans le processus alors que c’est ici un travail qui met en valeur dessin et scénario. On y attache tous une vraie importance, et je suis heureux que dans quasiment chaque critique, le soin porté aux ambiances soit souligné.

     

    iCity : Pourquoi faites- vous certaines BD seul, scénario et dessins, et d’autres en collaboration avec un dessinateur ?

    Jim : Si je faisais tout, tout seul, je ne ferais qu’un album tous les deux ans. Ce qui serait un vrai problème car j’ai envie de raconter des histoires tout le temps ! En vérité, ça me plait plus de les écrire que de les dessiner. C’est agréable de donner son texte à un dessinateur et de voir ce qu’il va en faire, d’être surpris de la manière dont il va l’emmener ailleurs. J’ai pris des cours de dessin étant gamin. J’aime ça. Pourtant, je pourrais très bien ne pas du tout dessiner. Ce ne serait pas grave. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de raconter l’histoire. Tous les jours, je vais noter un petit bout de dialogue alors que je ne dessine pas forcément tous les jours. Certains griffonnent en permanence sur des carnets de dessin. Pour ma part, je dessine uniquement parce que c’est ce qui me permet de raconter mes histoires. C’est un paradoxe. j’aime bien dessiner, c’est agréable mais ce n’est pas ma finalité. Seule exception, mais récente, Marie d’« Une Nuit à Rome » a rencontré du succès. Alors je m’amuse à la dessiner en dehors de sa BD, et c’est un lien intéressant qui m’aide à vivre en dehors de la BD à strictement parler. Je ne sais pas d’où vient cette envie d’écrire des histoires. Ecrire, c’est peut-être une insatisfaction à se contenter de vivre. C’est une envie de faire mieux que ce qu’offre la vie. Je trouve passionnant d’arriver à capturer les gens, à créer des personnages. J’aime faire rire et émouvoir des gens, enfermer des émotions dans un livre et qu’à l’autre bout du pays quelqu’un, chez lui, allongé dans son lit ou sur un coin de canapé, puisse ressentir des émotions fortes. Quel bonheur ! Ca a à voir avec le partage. Je ne supporte pas de voir un film seul : j’ai besoin de le partager. C’est fabuleux de chercher des idées, d’en trouver, de s’étonner soi-même, de ne pas savoir comment le personnage va s’en sortir, comment il va évoluer. J’écris en ne connaissant pas la fin des albums. J’aime trouver le chemin. Pour la dispute de « L’érection », cette longue engueulade qui est le noeud du récit, j’ai ressenti une espèce d’excitation à l’écrire. Sans jeu de mots – érection, excitation, mon dieu… ! – j’étais enfermé dedans, emporté et c’est venu d’un seul jet – le problème des jeux de mots qui viennent sans le vouloir, c’est qu’ils viennent par deux, désolé – d’un coup comme ça, dans le plaisir immédiat. C’est la seule fois où j’ai éprouvé autant de plaisir à écrire. Une idée me vient comme une évidence. Puis j’ai envie de la creuser. Pour « L’érection », j’avais envie de partir d’une situation minimaliste, sans effet, sans besoin d’un tas de décors ni de beaucoup de personnages. J’avais juste envie de m’amuser avec les dialogues, de creuser de ce côté-là.

     

    iCity : Comment vous est venue l’idée de cette « joyeuse dispute » ? Vous dites avoir d’abord eu « envie de ce titre » je vous cite : « C’est un bonheur rare d’avoir dans sa bibliographie un album s’appelant « l’érection ».

    Jim : Oui, au tout départ, j’ai eu l’envie de ce titre. Puis très vite m’est revenue en tête une soirée passée en festival avec un auteur de BD me racontant sa première nuit sexuelle avec renfort médicalisé. Mais s’il n’y avait eu que ça, le titre ne m’aurait pas intéressé. Ce titre m’a juste permis d’avoir un angle particulier d’attaque pour aller plus loin dans l’approche des rapports de couple. Ce qui est intéressant dans le travail d’écriture, c’est de tenir ce sujet-là, l’érection, et de trouver une suite puis une fin à l’histoire qui tiennent la route. C’est ça qui m’amuse. C’est un truc de sale gamin. L’aventure de « L’érection » est partie du désir totalement irrationnel de deux auteurs, et on a essayé de garder ce désir assez pur, cette envie première, de ne pas trop la corrompre avec les avis des autres. J’ai essayé de m’accrocher à une idée qui m’amusait. Il a été longtemps question de changer le titre car cela posait des problèmes de référencement. On a tout entendu sur l’album : que la FNAC, Amazone ne le référenceraient pas, que les ventes seraient catastrophiques, que les libraires ne pourraient pas le mettre en avant, qu’aucune femme n’oserait l’acheter… Il y a eu une sorte de pression pour ne pas que sorte un livre avec ce genre de titre. C’est un pari, on verra bien, il y a aussi ceux que ça amuse… Et puis, on est en 2016, non ?

     

    iCity : A nouveau une adaptation cinéma, comme pour « L’invitation » ?

    Jim : On a en effet signé l’adaptation cinéma de « L’érection ». Le titre de travail du film est « La Surprise » qui est beaucoup plus passe-partout. Je préfère n’en parler que plus tard, quand ça sortira, car les projets cinématographiques sont des projets très très longs. Je bosse le scénario pour des producteurs avec Bernard Jeanjean. Ca prend les 2/3 de mon temps mais je préfère n’en parler que lorsque ce sera du concret, avec des acteurs, un tournage… Je connais trop les aléas de ce métier et je préfère être prudent, mais nous en reparlerons dans quelques temps avec grand plaisir !

     

    iCity : La BD semble se prêter parfaitement au théâtre pourtant…

    Jim : J’aimerais beaucoup que l’on me fasse une proposition pour adapter « L’érection » au théâtre. Cependant, quand on est un auteur de BD comme moi et qu’on se met a écrire pour le cinéma, on a tout un réseau de connaissances à créer et je ne pourrais pas faire les mêmes recherches pour le théâtre. Je n’ai qu’une vie. Si quelqu’un est intéressé par contre et me contacte, quel régal. C’est la première vocation de l’album. Je ne peux être qu’à l’écoute de quelqu’un qui aurait envie de se lancer dans une adaptation…

     

    iCity : Combien de temps cela vous a t-il pris pour écrire le scénario de « L’érection » ?

    Jim : La version texte correspondant aux deux albums a été faite en dix jours. Après, c’est là que le vrai boulot commence, beaucoup de travail de peaufinage, de découpage, préparer les pages en BD, trouver le rythme en BD, mais le texte pur est venu assez facilement. J’étais à fond dans cette engueulade avec ces personnages, j’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire. C’est un super luxe de pouvoir ainsi se consacrer à l’écriture. On est hanté par un sujet et on ne fait plus que ça : écrire. On y pense à table, le soir avant de s’endormir… Je me lève tôt le matin pour retranscrire mes notes. On est complètement habité par les personnages, on ne pense qu’à ça et le but c’est d’avancer dans l’histoire. Je suis à fond dedans, c’est un vrai luxe que j’apprécie énormément. D’un point de vue social, il y a des absences : on est un peu parti avec ses personnages, mais tous ceux qui écrivent connaissent ça !

     

    iCity : Lorsque vous écrivez, est-ce que vous en parlez à votre femme, vos amis ? Est-ce que vous leur faites lire votre travail pour leur demander ce qu’ils en pensent ?

    Jim : Lorsqu’on part sur une idée, il faut que celle-ci nous plaise vraiment car nous allons y travailler durant de longues années. De l’idée de départ, à l’écriture du scénario, en passant par le dessin, la mise en couleur, sur deux tomes, puis le film qui ne sortira que dans deux ans… Quatre, cinq, voire six ans peuvent s’écouler… Il faut donc une idée sur laquelle on va s’accrocher et qui résistera aux avis et aux courants contraires. On a besoin d’avoir la foi pour porter ainsi une idée pendant aussi longtemps. Je parle de mes projets pour les tester, pour voir quel effet ils produisent sur les gens. Rien que de parler d’une idée, je vois de suite à la réaction des gens si elle est bonne ou pas,. Et une idée doit aussi te poursuivre : si l’idée s’envole au bout de deux ou trois jours, si elle ne reste pas accrochée à ton esprit, c’est qu’il ne faut pas la garder. Une vraie bonne idée est tenace.

    Ma femme est très partie prenante dans ce que j’écris, on se connaît tellement bien. Il y a aussi quelques copains : Arnaud, mon ancien agent de cinéma, qui a un très bon regard sur ce que j’écris, avec un avis très pertinent. Il ne laisse rien passer. Quelques copains que j’appelle « Les Chacals » car ils n’aiment jamais rien, il est donc difficile pour moi de les épater, pourtant c’est ce que j’essaie de faire. Je montre également mon travail à des personnes plus neutres, moins professionnelles, davantage « grand public ». Et bien entendu, je le montre à mon éditeur et à mon directeur de collection dont les avis sont primordiaux.

    Je travaille actuellement sur le scénario de « Une Nuit à Rome » Tome 3. J’ai passé la moitié des barrages d’un point de vue écriture, mais seulement la moitié… Je ne suis pas totalement convaincu. Je rebosse et je corrige… Parfois je choisis des personnes au hasard sur mon blog et je leur envoie mon scénario à lire pour voir quelles seront leurs réactions. Si plus de quatre personnes butent sur une même scène, alors je me dis qu’il y a un souci … Mais même si je prends l’avis des autres avant de me lancer, l’écriture reste une dictature car c’est une création personnelle et au final je n’en fais qu’à ma tête sur le texte. L’art n’est pas démocratique, si on commence à écouter chaque avis, on va dans le mur. Sur un projet perso, c’est donc moi qui enlève la décision ultime. Oui, c’est intéressant de prendre des avis, mais à un moment donné, il faut faire ce qu’on sent… et avoir une vraie tête de cochon.

     

    iCity : Est-ce que ça arrive en BD comme au cinéma que des éditeurs, comme des producteurs, vous imposent un point de vue, des coupures ?

    Jim : Ca m’est arrivé en effet : sur une page de « Nuit à Rome », Tome 2. J’ai été gentiment censuré sur une planche jugée trop sexe. L’éditeur a eu le dernier mot. J’ai demandé à être totalement libre sur les Tomes 3 et 4 (dont je ne sais pas s’ils seront très sexuels au final, de toute façon). Sinon, les interventions se passent simplement et touchent principalement la couverture, le titre ou l’approche commerciale, rarement le contenu puisque la décision de faire ou non le projet a déjà été prise en amont. Dans la BD, on est plutôt assez libre de faire ce qu’on souhaite, de s’adresser directement à ses lecteurs, sans barrage.

     

    iCity : Pourquoi avoir situé l’histoire en pleine période de Noël ? Un moment idéal pour une bonne engueulade ?

    Jim : Parce que c’était très visuel. J’aimais bien ce côté « enfermé à cause du froid dehors » alors que c’est bouillant à l’intérieur. Il y a quelque chose d’anachronique d’être en érection tandis qu’il fait froid. Ce fut intuitif, pas du tout raisonné. C’est souvent le cas d’ailleurs, et après coup, on peut trouver plein de raisons justifiants les choix instinctifs… Mais en l’occurrence, ils sont dans l’hiver de leur sexualité, et Florent essaie de passer une nuit brûlante.

     

    iCity : Avez-vous eu recours à l’aide ou à l’avis d’une femme, la vôtre par exemple, pour écrire les propos tenus par Léa ?

    Jim : En réalité, non, je ne crois pas. J’ai des personnages-femmes assez masculins et inversement. Je ne fait pas de distinguo, je ne les découpe pas comme ça. J’essaie de ne pas le penser comme ça non plus. J’ai pris l’avis de lectrices mais les critiques revenaient sur l’aspect hystérique de la femme, qui peut encore gêner, et je le comprends. mais avant tout, c’est une farce, une comédie. C’est tout l’avantage quand on passe d’un média à l’autre : on peut s’écouter, suivre notre voie jusqu’au bout sans tenir compte des avis de tout le monde.

     

    iCity : Léa est brune, Alexandra est blonde : y a t-il un sens derrière ce choix ?

    Jim : Non, c’était juste pratique pour distinguer les personnages. On avait fait une héroïne blonde dans « Héléna » avec Lounis, on s’est dit qu’on allait changer, c’est aussi simple que ça. D’instinct, selon le cliché, la blonde est plus écervelée, et comme ça en une case, le lecteur sait tout de suite de quelle manière elle va se comporter, quel type de personnage elle va être… quitte à surprendre au final ?

     

    Instant-City-Jim-Lounis-Chabane-Lerection-005

     

     

    iCity : Une érection, ça fait plutôt marrer, non ? Pourquoi est-ce que Léa s’emballe comme ça jusqu’à même parler de « trahison ». Ce ne serait pas un peu exagéré ? Sa mauvaise humeur latente n’est-elle pas due en fait à sa contrariété de vieillir ?

    Jim : On ne peut s’empêcher de penser que si Léa fait tant d’histoires pour si peu, c’est parce qu’elle cache une culpabilité. On dirait qu’elle provoque volontairement cette dispute… qu’elle a besoin d’entrer en affrontement. En réalité, elle affronte sans doute plus le temps qui passe et l’inéluctable, c’est contre ça qu’elle est en colère…

     

    iCity : Pourquoi est-ce que Florent ne lui dit pas tout de suite la vérité ? Le viagra, ça peut être un joke assez fun « pour essayer » et se marrer un peu ?

    Jim : Il a un peu honte : il voulait montrer qu’il était en forme, qu’il assurait. Je pense qu’il ne l’aurait pas forcément dit. Je ne sais pas en fait, s’il l’aurait avoué à Léa ou non… Ce qui est sûr, c’est qu’il ne pensait absolument pas que cela finirait en dispute ! Il avait vu ça comme un plan un peu improvisé. Et puis ça a mal tourné…

     

    iCity : Vos personnages ont tous des failles. Vous ne racontez pas une histoire, mais des caractères, des personnalités, des humeurs, des périodes de bon ou de mauvais moral. Les histoires semblent secondaires. Elles semblent n’être là que pour planter un décor aux tempéraments et aux humeurs des personnages…

    Jim : Mes histoires sont des puzzles : je pars de petits bouts de dialogues, d’anecdotes, de notes que j’ai prises et j’essaie de les assembler de manière cohérente. J’essaie de raccommoder entre elles des idées qui paraissent bonnes. Il est vrai que je décris un peu toujours le même personnage masculin. Celui-ci est une sorte d’alter-égo. Il vit des histoires différentes au fil des albums et vieillit tout comme je vieillis. Il évolue, comme moi, au fil de la vie. J’aime raconter des choses proches de la vie des gens, à hauteur d’homme. Cela me fait penser au film avec Hippolyte Girardet, « Un Monde sans Pitié ». Il subit la vie. Il aimerait que tout soit merveilleux mais se cogne à chaque fois à la réalité. Florent avait imaginé une nuit géniale grâce à son subterfuge et la réalité est toute autre, ça tourne à la catastrophe. Pour les prénoms de mes personnages, j’aime piocher parmi ceux de mes amis : ce sont les prénoms de personnes de mon entourage que je connais bien… et qui se reconnaîtront… Des jokes persos !

     

    iCity : Léa a des mots très durs pour Alexandra : une femme parle vraiment comme ça de sa copine pour qui elle a, dites-vous, « une vraie tendresse » ?

    Jim : C’est pour une comédie. Je trouve amusant de voir Léa, bobo, un peu bourge, se mettre à cracher son venin à la moindre petite occasion. Ce contraste est comique. C’est un code qui renvoie au théâtre. C’était aussi un défi : je ne voulais pas faire une BD mettant en scène un couple de bourgeois dans un appartement chic. Je voulais faire ressortir des contrastes : c’est pourquoi il y a autant de tableaux rocks accrochés aux murs de cet appartement ancien, par exemple. Il y a aussi un contraste entre ce qu’ils laissent paraître à l’extérieur et ce qu’ils sont vraiment à l’intérieur. Florent a une érection mais au fond il manque de confiance en lui et a eu besoin de tricher. Léa semble sûre d’elle et vocifère, mais au fond, elle a peur de vieillir et de ne plus être désirable. Petit à petit, ça m’intéresse de voir « tomber les masques ».

     

    iCity : Pensez-vous comme Florent que « Toutes les femmes sont des hystériques » ?

    Jim : Du tout, ce n’est d’ailleurs même pas lui qui le dit, mais Léa qui l’accuse de penser ça. Je voulais jouer avec l’excès. J’ai deux points de départ : le titre, et l’envie de déplacer le curseur de l’engueulade, d’explorer cette facette du couple. Donc, à partir de là, je cherche comment et pourquoi une érection dans un couple pourrait donner lieu à une forte dispute : parce qu’elle n’est pas naturelle ! Ce que j’aime aussi, c’est me lancer des défis. Ici le challenge, c’est de tenir deux albums dans un seul appartement. C’est une contrainte difficile mais c’est cela qui m’amuse. Florent est la victime : il est faible et gêné alors qu’il devrait être un conquérant en érection, un héros. Léa elle, est la conquérante alors qu’elle aurait dû être la victime du désir sexuel de son mari. Je trouve ce renversement de situation comique. C’est la femme qui domine malgré l’érection de son mari.

     

    iCity : Ainsi les hommes penseraient à offrir ce genre de cadeau à leur femme ?

    Jim : L’un de mes très bons amis s’est inscrit sur Meetic après sa séparation d’avec sa femme. Il manquait de confiance en lui et s’est mis au viagra. Dans « L’érection », cette anecdote de départ tient vraiment à cela : un manque de confiance en soi de la part de Florent.

     

    iCity : Léa s’ennuie, dirait-on, dans cet appartement, dans son couple, dans sa vie : on dirait qu’elle reporte cette frustration sur Florent.

    Jim : Une partie de l’histoire parle de la volonté d’être désirée encore et l’érection est le symbole de ce désir. Léa se rend compte que cette érection n’est pas naturelle. Elle en conclut que son mari ne la désire plus. L’excuse de la prise d’une aide médicamenteuse au départ sert à appuyer sur cette faille-là.

     

    iCity : L‘histoire de la bonne vieille réconciliation sur l’oreiller : les hommes ne doutent de rien, on dirait…

    Jim : C’est mécanique, c’est assez masculin…

     

    iCity : On dirait qu’il y a un petit souci avec la place du sapin à travers les cases…

    Jim : J’avoue, je ne me soucie guère de ces préoccupations au découpage. Je privilégie l’esthétique et surtout l’efficacité de la mise en scène, sans tenir compte du plan de l’appartement. Je privilégie le déplacement des personnages et je rajoute un sapin de Noël où il me semble que ce sera le plus joli. Aviez-vous remarqué la place de ce sapin en première lecture ?

     

    iCity : Non, en effet. J’en ai eu la curiosité en lisant le commentaire de Lounis en épilogue.

    Jim : C’est exactement ça. Je ne m’en tiens qu’à cette première lecture parce que je fais ce que je trouve le plus efficace pour être happé par le récit, la logique des décors viendra après. Je préfère privilégier celle du sentiment des personnages. Je suis par contre très attaché à la compréhension du texte et de l’histoire : ceux-ci doivent être fluides et s’imposer comme une évidence. Je ne supporte pas que le lecteur soit obligé de relire une page parce qu’il a perdu le fil de l’intrigue. Je n’aime pas qu’une queue de bulle soit mal placée et gêne la lisibilité du dessin. Parfois il faut tricher sur certaines choses, comme des éléments du décor, pour rendre l’ensemble plus efficace et compréhensible.

     

    iCity : Il y a une dédicace toute petite en fin de livre qui passe presque inaperçue « à Philippe L. ». Pourquoi ne pas l’avoir mise en début de livre ?

    Jim : Oh, c’est un petit clin d’oeil perso adressé à une seule personne… En matière d’érection, restons discret.

     

    iCity : Apres « L’érection », quelle sera votre prochaine « bêtise de potache » ?

    Jim : Des albums plus matures… des titres un peu plus sérieux, je crois. « L’érection » sera-t-il mon dernier coup d’éclat en matière de gaminerie ? Je ne sais pas. Cinquante ans, que diable, n’y a t-il pas obligation à acquérir une certaine respectabilité ? Je pose la question… !

     

    iCity : Etes-vous satisfait des retours suite à la sortie de « L’érection » : de la part des lecteurs et en matière de ventes ?

    Jim : Pour ce qui est des ventes, aucune idée… Les retours des lecteurs sont très emballants, pas de souci là-dessus. J’ai même eu une lectrice hier qui m’a avoué avoir été toute émoustillée à la lecture… Je n’avais pas pensé un seul instant que cette phrase puisse aussi avoir un effet sur la libido ! Les joies de ce métier, vraiment…

     

    iCity : Vieillir, c’est pour l’homme avoir peur de ne plus bander et pour la femme celle de ne plus être désirée ?

    Jim : Ne plus être désirée et ne plus bander, ce sont les deux mêmes croix, mais je pense qu’il y en a bien d’autres. Vieillir, c’est surtout la peur que le temps qui reste soit moins amusant que le temps passé. Alors qu’on ne veut qu’une chose, au fond, dans ce monde trop grave : s’amuser…

    Merci à vous pour ce long entretien !

     

     

     

     

     

    « L’érection »

    Scénario de Jim & Dessins de Lounis Chabane

    Livre 1 (48 pages, 16,90 euros)

     

     

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  • Nous allons tous très bien, merci | Daryl Gregory (Le Bélial 2015)

     

     

    Il est facile de trouver dans la littérature ou le cinéma des histoires de tueurs en série imaginatifs. Daryl Gregory, lui, s’intéresse à leurs victimes, qui « feraient bien d’entamer une sérieuse thérapie après la fin du générique ». C’est de cette thérapie qu’il est question dans ce petit roman dont l’angle d’approche fait toute l’originalité.

    Organisée par Jan Sayer, psychologue, le groupe de parole réunit Harrison, traumatisé dans son enfance et héros de roman malgré lui. Barbara, dont les os portent un message gravé par son bourreau. Stan, rescapé d’une famille de cannibales. Martin, dont les zombies d’un monde virtuel auquel il est accro ont fait irruption dans son quotidien. Greta enfin, silencieuse et mystérieuse, marquée de scarifications, qui divise le groupe.

    A travers le regard de chacun, on assiste à l’émergence du groupe et de bribes de ce que chacun a vécu puis fait de son passé et de son corps. Le roman offre de multiples références littéraires (Lovecraft) et cinématographiques (« la colline a des yeux », « Seven », « Ring », « The Cell ») et s’autorise l’irruption du fantastique. L’auteur laisse à l’imaginaire complice du lecteur le soin d’étoffer ce court et surprenant roman.

    Myriam

     

     

     

  • Je voulais juste vivre | Yeonmi Park (Editions Kero 2016)

     

     

    J’ai pris une claque ! Une grosse claque, en lisant l’histoire de la vie de Yeonmi, nord-coréenne née en 1994, dans le nord du pays où l’électricité n’est disponible qu’occasionnellement et où les enfants font des heures de queue pour un peu d’eau. Un pays où toute la vie est gérée par le grand Kim Jung Il, qui choisit le conjoint, les études, le métier, et où la délation est reine. Un pays où la nuit est noire et le jour silencieux car il n’y a pas d’avion, peu d’usines et de voitures… Yeonmi nait en pleine période de famine, elle a une sœur, des parents aimants et mène sa vie de petite fille dans la crainte d’avoir de mauvaises pensées que Kim Jung Il pourrait, à coup sûr, lire en elle.

    La fuite de la sœur de Yeonmi en Chine précipite la sienne ainsi que celle de sa mère en 2007, la traversée de la rivière séparant la Corée de la Chine, et soudain le début des drames, le piège du trafic d’êtres humains, les mariages forcés avec des chinois âgés ou handicapés en panne d’épouse chinoise. Suivent les années en Chine entre petits bonheurs et gros drames, la vie de clandestins sans papiers. Puis les Jeux Olympiques arrivant, et le besoin de donner une meilleure image, les contrôles de plus en plus fréquents, la clandestinité et la peur permanente d’être renvoyée en Corée du nord. Yeonmi a 14 ans et elle a déjà vécu plus de choses affreuses que la plupart des gens dans une vie entière. Puis, enfin une main tendue, celle de missionnaires chrétiens de Qingdao, qui vont initier Yeonmi et sa mère a un nouveau dieu. Pour les deux femmes, louer Kim Jong Il ou un autre ne fait pas de grande différence, et Yeonmi se met à croire.

    Là, la fuite vers la Corée du Sud s’organise. Il faudra traverser le désert de Gobi de nuit, en plein hiver, par moins 30°, jusqu’à la frontière de la Mongolie. Une épreuve de plus. Un nouveau camp de rassemblement. Les interrogatoires du personnel de l’ambassade de Seoul qui espère faire le tri entre les transfuges et les espions, et enfin la Corée du sud, mais pas la liberté. Comment peut-on lâcher, dans la nature des gens qui n’ont aucune connaissance du monde moderne, les distributeurs de billets, les centres commerciaux… Quand un « formateur » lui demande quelle est sa couleur préférée, elle répond : « que faut-il répondre ? ». Durant cette période, le plus grand défi de Yeonmi fut d’apprendre à penser par elle-même… Cela peut paraître tellement incroyable ! Après une période d’intégration difficile, Yeomi s’est lancée à corps perdu dans les études, s’est fait sa place dans le monde moderne, donne des conférences sur son pays, son expérience, et est désormais sous surveillance permanente des services de renseignements nord coréens.

    Un témoignage rare, captivant et édifiant à dévorer d’urgence.

     

     

     

     

     

  • Un jardin inversé composé de 150 000 fleurs

     

     

    Rebecca Louise Law a suspendu 150 000 fleurs stabilisées dans un centre commercial de Melbourne (Australie).

    Cette artiste londonienne a créé un jardin permanent inversé appelé « The Canopy ».

    Toutes les fleurs sont d’origine australienne.

    Le site de l’artiste

     

    rebecca-louise-law-flower-canopy-eastland-melbourne-designboom-08

     

     

     

  • THE FLOATING PIERS par CHRISTO sur l’Iseo Lake (Italie)

     

     

    Le quai flottant, l’installation de Christo, est finalement ouverte au public ce mois de juin 2016.

    100.000 m2 de tissus enveloppant un quai entre le continent italien et l’île d’Iseo. La structure ondule avec le mouvement des vagues. En tout, 3 km de quai sur lesquels les visiteurs peuvent marcher.

    Le site du projet

     

    christo-floating-piers-open-to-the-public-in-lake-iseo-italy-designboom-102

     

     

     

  • Conversation autour d’un film culte : Paroles et Musique (1984)

     

     

    Deux rédacteurs d’Instant City, Anne et Hubert, conversent autour de leurs films cultes. Le principe : chacun leur tour, ils choisissent donc un film et le soumettent aux commentaires de l’autre.

     

     

    Conversation autour d’un film culte

    Episode 1 : « Paroles et Musique » (Eli Chouraqui, 1984)

     

     

    Anne : L’enjeu pour moi en redécouvrant ce film que j’avais vu lors de sa sortie (j’avais alors 17 ans) était de savoir si l’on pouvait ou non revoir un vieux film des années 80, un film âgé de plus de trente ans, sans que celui-ci ne soit démodé, vieillot ou dépassé. C’est un peu le challenge des films anciens. Ce qui fait la qualité d’un grand classique, c’est selon moi son caractère indémodable. Peut-on regarder un film muet de Charlie Chaplin sans s’ennuyer ? La réponse est « oui » car on y a toujours quelque chose à apprendre et certains problèmes de société sont encore d’actualité. Nous sommes un public tellement gavé d’effets spéciaux, de thrillers aux scénarios alambiqués à souhait qu’il me paraissait, avant le visionnage, très difficile d’effacer les années 2010.

    Et en effet, ce film dont j’avais un souvenir nostalgique, à la manière de « Péril en la Demeure », ou dans un autre style « Tchao Pantin », n’est pas parvenu à dépasser le cap du second visionnage. Je n’ai pas revu ces films des années 80 qui ont bercé mon adolescence, comme « La Boum », « Les fugitifs », « La vie est un long fleuve tranquille », « Le dernier métro », « Viens chez moi, j’habite chez une copine », « A nos amours », « Subway », « Trois hommes et un couffin », « J’ai épousé une ombre »… Parce qu’il me semble que cela gâcherait le souvenir que j’en ai. J’ai peur d’ouvrir ce livre-là et d’être déçue. Tous ces films d’avant 1985, avec les grandes stars que vénéraient nos parents, Deneuve, Depardieu, Dewaere, Miou-Miou, Annie Girardot, Romy Schneider, tous ces films de Godard, Pialat, Tavernier, Chabrol, Patrice Leconte, Mocky, Yves Boisset ou Lautner, appartiennent à un courant bien spécifique, une certaine génération qui n’est pas la mienne et que je trouve démodée. C’est le cas de « Paroles et Musique ». Je me suis ennuyée en le regardant et je l’ai trouvé démodé.

     

    Hubert : Tout d’abord bonsoir et merci de me recevoir dans cette émission de débat, de point de vue et de catch dans la boue. Avant de rentrer dans le vif du sujet et d’évoquer ce chef d’œuvre qu’est « Paroles et Musique » (et je pèse mes mots), je voudrais juste revenir sur ce qui a été dit un peu plus haut en guise de préambule.

    En effet, commencer par suggérer que les parents en général, et probablement les miens, « vénéraient » Romy Schneider, Depardieu, Deneuve, Dewaere, Girardot, ainsi que des réalisateurs comme Bertrand Tavernier, Chabrol, Mocky, Boisset, Lautner, Godard… Tout en rangeant tout ce beau monde dans un même sac… Euh, c’est un joli panel de nos grands noms du cinéma français, mais je ne vois pas spécialement le rapport avec la choucroute, voire même la tarte aux fraises (pâte sablée), et encore moins avec le film d’Elie Chouraqui.

    Si mes parents aimaient un certain cinéma populaire, c’était déjà parce qu’on ne leur proposait que ça à l’époque à la télévision : des films de Robert Enrico, Lautner, certes, mais aussi Claude Zidi, André Hunebelle ou Philippe De Broca. Quant aux acteurs, à part Romy Schneider-Noiret, connexion avec Robert Enrico et le film que tous les parents français de cette génération adorent, je parle du « Vieux Fusil », Louis de Funès, Yves Montand, Gabin, Signoret, Lino Ventura, Delon, Belmondo, tous ces acteurs populaires qui passaient régulièrement, multi-rediffusés dans des films qu’ils connaissaient par cœur…

    Mais dans l’absolu, c’était surtout le cinéma américain qui les faisait rêver. Des westerns, des policiers, des films d’aventure dont ils ne connaissaient pas les auteurs car ils s’en fichaient, au même titre d’ailleurs que les réalisateurs français. Alors pensez donc que Godard, Pialat ou Tavernier sont des noms qui sonnent étrangement dans l’intro de cet article qui va être consacré à « Paroles et Musique ».

    Passé le couplet sur nos parents respectifs dans le contexte de ces années 80, voilà que je me transforme d’un seul coup en Hulk (en fait c’est progressif, car d’abord il y a la chemise qui se déchire sur les pectoraux, ensuite les chaussures, le pantalon, et l’épiderme qui se teinte d’une couleur olivâtre…). En effet, lorsque vous écrivez que Godard, Chabrol, Pialat, sont des réalisateurs démodés et que vous les mettez dans le même sac que le réalisateur de « La Boum », Claude Pinoteau, et Luc Besson, auteur à l’époque de « Subway »… Et qu’ils appartiendraient tous, je vous cite, à un courant bien spécifique, euh… Excuse me, what do you say ?! Je crois que je vais mettre sur pause. Réduire de la sorte tout un pan du cinéma français, qu’il soit issu de la Nouvelle Vague ou qu’il soit juste à ambition populaire, en synthétisant de la sorte « courant bien spécifique »… Là, non. Pas du tout, non, non et non.

    Chacun des réalisateurs cités appartient surtout à lui-même. Que l’on évoque ces réalisateurs issus de la Nouvelle Vague comme ceux de l’ancienne rédaction des Cahiers Du Cinéma, de Godard à Chabrol, en passant par Truffaut, Rivette, Rohmer ou Eustache, ils ont chacun d’eux proposé des films bien spécifiques et très différents les uns des autres, au point qu’on ne serait pas en mesure de les intégrer à un courant ou un genre similaire. Ils ont tous été auteurs de films, en reflétant leur époque, avec pour certains une réflexion politique, sensorielle et formelle (Godard, Eustache), romanesque, littéraire ou naturaliste (Truffaut, Rivette et Rohmer).

    Avec Maurice Pialat, c’est le social et une déconstruction systématique des habitudes conformistes et bourgeoises du cinéma de l’époque (« Nous Ne Vieillirons pas Ensemble », « Loulou », « A Nos Amours »). Une bourgeoisie également la cible préférée de Chabrol et ses fables sur cette bourgeoisie provinciale déguisées en thriller sous influence Hitchcockienne (« Que La Bête Meure », « Le Boucher »). Une bourgeoisie également traitée chez Sautet, avec ici une réflexion plus nuancée sur l’évolution des mœurs, avant et après le début des années de crise en France (« César Et Rosalie », « Vincent, François, Paul et les Autres », « Une Histoire Simple », « Mado »). Mais aussi Tavernier, autre grand baromètre de son époque, avec des films comme « L’Horloger de Saint Paul », « Les Enfants Gâtés », « Une Semaine de Vacances »).

     

    Anne : Je suis tout à fait d’accord avec toi : il ne faut pas mettre ces réalisateurs tous ensemble « dans le même sac » ni les identifier tous au même courant cinématographique. Bien entendu, tu as tout à fait raison, c’est indiscutable et tu as bien fait de le préciser, je ne peux qu’être du même avis, bien entendu. Ce que je voulais dire, je me suis sans doute mal exprimée, c’est qu’en tant que spectateur ignorant de la culture cinématographique, tous ces films, de tous ces réalisateurs des années 1980-1985, sont pour la plupart démodés, irregardables et ennuyeux. Ce n’est évidemment pas mon avis concernant certains films dits cultes de cette époque, ceux qu’on appelle « Les grands classiques ». Mais le sujet n’est pas là. La question soulevée est : est-ce qu’un spectateur non cinéphile peut regarder « Paroles et Musique » sans s’ennuyer ? Je ne parle pas d’un spectateur cinéphile, d’un amoureux du cinéma, d’un amateur de culture cinématographique ou d’un abonné aux « Cahiers du Cinéma ». Je parle du spectateur lambda.

    Ce n’est ni péjoratif, ni dépréciatif. Il faut de tout pour tous. Et pardon, mais j’aime le cinéma, je me considère comme cinéphile, mais oui, je me suis ennuyée. Et oui, je trouve beaucoup de films de ces années-là démodés et dépassés. Alors, sans doute ont-ils un intérêt purement culturel, en tant qu’oeuvre d’art témoignant d’une époque. Certes… Mais pas en tant que divertissement. Et là, on soulève une autre question : il y a plusieurs cinémas, dont le cinéma de divertissement. Quelle est notre attente lorsqu’on s’assoit dans un fauteuil face à l’écran ? On veut tous la même chose ? Apprendre, ressentir des émotions, passer un super moment, ne pas s’ennuyer, ressortir content et scotché, ressentir le « waow », avoir à réfléchir, s’émerveiller, s’extasier… Eh bien, je n’ai ressenti aucun de ces sentiments en regardant « Paroles et Musique ». J’ai ressenti de l’ennui, de l’agacement. J’ai même été atterrée.

     

    Hubert : Paroles et Musique… En 1984, à la sortie du 3ème film d’Elie Chouraqui, Catherine Deneuve rayonne de toute sa quarantaine éclatante. Pour l’occasion, elle s’est coupé les cheveux et elle n’a jamais été aussi belle. Christophe Lambert et Richard Anconina sont les deux jeunes acteurs du cinéma français que tout le monde veut voir dans les films. Le réalisateur de « Qu’est ce qui Fait Courir David » n’a qu’à ramasser. Avec un scénario prétexte et vaguement autobiographique, une musique de Michel Legrand, voici alors un concentré de toute une époque, avec ces ersatz de chansons de Christopher Cross, fortement dosés en glucose et lipides. Revoir ce film, ou le découvrir aujourd’hui, c’est en effet se confronter à une déferlante de clichés qui convoquent toute l’iconographie d’usage, allant de l’aéroport, avec ces avions en partance pour New York, à ces écrivains qui n’arrivent pas à finir leur « fucking book », en passant par cette façon qu’ont les personnages de tenir et de fumer leur cigarette, les sweats trop larges à épaulettes, les pulls amples manches chauve souris et ceinturés à la taille, les gros ventilateurs dans des lofts avec des stores vénitiens, les studios d’enregistrement en mode « On peut reprendre là, j’ai pas de feedback ! », les petits matins bleutés avec les éboueurs en plan large filmé au sol…

    Comme si justement ce film avait inventé lui-même toute cette imagerie publicitaire ou une sorte de pendant français à ce que faisait Adrian Lyne outre-Atlantique. Le film est donc à juste titre un festival de ce genre outrancier, ou bien une machine à remonter dans le temps. Pourtant, pour toutes celles et ceux qui l’ont découvert adolescent, il y a ce parfum, cette magie et cela ne tient pourtant pas à grand chose. Une lumière, un plan, une phrase de dialogue, quelques notes jouées au piano, un détail… La nostalgie qui nous étreint, cette délicatesse infinie qui nous serre la gorge avec son nœud coulant, tous ces chouettes petits moments passés, inavouables, secrets, honteux, que l’on refoule mais qui à chaque évocation du film, nous sourient. Indéfendable, sûrement, certainement même, mais avec toujours ces détracteurs qui vous regardent avec des yeux de hibou frits. Peut-on aduler Kubrick ou Billy Wilder au même titre que Chouraqui… ? Mais oui bien sûr !

     

    Anne : Je suis tout à fait d’accord avec toi quant au charme du film « Paroles et Musique ». Je suis également très sensible à tout cet univers que tu viens de décrire. Et  je le dis, c’est bien ce qui m’a plu dans ce film : son esthétisme dans la couleur, les éclairages, les costumes, les décors… Je comprends l’engouement de certains cinéphiles pour les films de cette époque. Il y a un côté nostalgie de ces années-là qui est très émouvant.

     

    Hubert : En effet, il y a une véritable fascination aujourd’hui pour les années 80. Il suffit de voir la mode et la musique qui n’en finissent pas de piocher dans les tics de cette époque…

     

    Anne : L’engouement pour les années 1980 tient davantage à la gaieté et au caractère festif du disco, qu’à la nostalgie de la musique de Michel Legrand ou de Christopher Cross. Ma seconde remarque concernant le film concerne le statut et la place des femmes. Deneuve ou Schneider sont l’archétype à l’époque des épouses des années 1980. Brushing, coupes de cheveux datées, types de rôles au cinéma.. Elles sont là, à la maison, rêvant d’émancipation, mais finalement soumises au bon vouloir de leur mari. Ce sont des personnages secondaires dans le couple. Elles veulent que leur mari les aime et pour cela elles sont prêtes à se taire, à accepter les allers-retours, les caprices, les brimades, les disputes, les cris injustifiés et les humeurs injustifiées des hommes. Elles font tout mais n’ont droit qu’aux critiques de tous : de leurs époux, de leurs enfants qui leur reprochent de n’être jamais là, de trop travailler, d’avoir des amants et donc de jouir d’une certaine liberté sexuelle. J’ai trouvé les deux rôles féminins très loin des personnages émancipés et libres du cinéma d’aujourd’hui. J’ai trouvé cela machiste de la part du réalisateur Elie Chouraqui. Mais avec le recul, et au deuxième degré, je me dis que les films de 1980-1985 sont un excellent témoignage de la condition féminine de l’époque.

     

    Hubert : A partir des années 60, puis 70 et 80, on suit l’émancipation de la femme au cinéma. Romy Schneider n’est certainement pas le meilleur exemple pour illustrer ce que serait une femme au foyer, quand on parcourt sa brève filmographie. Que ce soit chez Sautet, Girod ou Żuławski. Pour Deneuve, même combat, malgré une filmographie plus riche. L’actrice a toujours cherché à démonter de l’intérieur ce qui paraissait lisse ou rassurant dans son physique. Demy, Buñuel, Mocky, Truffaut, Broca et tant d’autres encore, lui ont offert les plus beaux rôles de femmes modernes, libres et insoumises. Vous faites donc un curieux raccourci encore une fois sur le cinéma français, en fondant juste votre analyse sur ce personnage de Deneuve dans « Paroles et Musique », ou bien encore sur les quelques autres personnages féminins du film, en les réduisant finalement à pas grand chose. A mon sens, tous les réalisateurs français d’après-guerre auront plutôt eu tendance à essayer de casser le moule d’un cinéma corseté, dit cinéma de « papa », en proposant des personnages de femmes assez novateurs, d’ailleurs tout de suite repris par les réalisateurs américains, italiens ou japonais… A propos du disco, précisons que  c’est une période assez courte, à l’instar du Punk, qui n’a duré que trois ans, et plutôt avant les années 80, précisément à la fin des 70’s… Avec le début de ces années 80, on assiste au contraire à l’avènement de genres de musique plus dépressives, marquées par la prédominance de sons de claviers et synthétiseurs New Wave ou Cold Wave, sons dits Novo et minimalistes. C’est en revanche durant la deuxième partie des 80 que la musique deviendra plus expansive, avec des groupe tels que Duran Duran, U2 ou Tears For Fears, qui prendront quant à eux un virage vers des albums plus gros et plus colorés.

     

    Anne : Pardon, j’étais plus sur « Stars 80 »… En parlant de Romy, je pensais à « César et Rosalie ». Mais tu as raison. J’ai tendance dans mes propos à faire d’un cas particulier une généralité. Je vais y être plus attentive désormais. N’es-tu pas d’accord avec moi lorsque je dis que le personnage de Deneuve dans « Paroles et Musique » est traité de façon machiste ? Tout le monde l’engueule : son mari la quitte parce qu’elle travaille… trop (!) mais lui laisse les gosses et revient par jalousie de mâle testostéroné dès qu’elle a un amant. Ses enfants lui reprochent de trop travailler et la culpabilisent à la fois du départ de leur père et de reprendre une vie amoureuse. Son amant passe ses nerfs sur elle. Et que fait-elle ? Elle tente de calmer et de satisfaire tout ce petit monde.

     

    Hubert : Elle reste quand même un personnage à la fois libre de ses choix et directif vis-à-vis des autres. Après, ce qu’elle décide lorsqu’elle retournera vivre avec son mari, c’est plus de la consilience par rapport aux enfants à qui leur père manque. On est dans une réalité concrète.

     

    Anne : Ma troisième remarque concerne les dialogues. J’ai été stupéfaite par la pauvreté des dialogues. contrairement au film « Trop Belle Pour Toi », par exemple (1989).

     

    Hubert : On ne peut pas citer Bertrand Blier et Elie Chouraqui en les mettant sur le même plan. Tout le cinéma de Blier fils est fondé sur le sens du dialogue et ce côté verbeux d’un style se voulant littéraire ou théâtral. Ses films s’inscrivent dans une forme maniériste, sophistiquée, un peu à la façon d’un Michel Deville. Les deux réalisateurs poussent jusqu’à l’abstraction le jeu des comédiens et les scènes dans lesquelles ces derniers s’inscrivent. Nous ne sommes pas là dans la même approche que ce qu’un Chouraqui fait depuis toujours. Celui-ci, clairement, n’a pas la même ambition stylistique, qui viendrait s’appuyer sur ses saillies et ce que les comédiens sont censés représenter à l’écran.

     

    Anne : Exactement. Ce sont deux mondes et deux univers spécifiques différents. Mais rien n’interdit de comparer deux mondes et deux univers. Au contraire, c’est intéressant de comparer deux réalisateurs, d’étudier ce qui les rapproche et ce qui les différencie. L’analyse comparative est constructive et pertinente. De même que le débat entre deux avis contraires. Et on est autorisé à dire qu’on préfère une écriture à une autre. C’est le cas ici : je préfère l’écriture scénaristique d’un Blier dans « Trop Belle Pour Toi » à celle d’un Chouraqui dans « Paroles et Musique ». Si j’ai utilisé cette comparaison, c’est uniquement parce que ces deux réalisateurs sont de la même époque.

     

    Hubert : Prendre comme référence qui se voudrait indéboulonnable Bertrand Blier, l’auteur de « Trop Belle Pour Toi », un réalisateur bourratif, qui pour le coup a fait des films assez pénibles à revoir aujourd’hui, tant par leur style ampoulé que désuet, me surprend. A part peut-être « Les Valseuses », et encore… Le reste de sa filmographie a un côté putride et frelaté qui véhicule en plus une image de la femme franchement douteuse et rance. Plusieurs décennies à nous asséner sa misogynie comme pause et principe à vivre, et qu’il badigeonne allègrement dans tous ses films. Côté dialogues, on ne peut tout de même pas faire l’impasse sur Jean-Loup Dabadie, sans doute le meilleur dialoguiste du cinéma français, le plus fin, le plus spirituel de tous. Sautet, De Broca, Yves Robert ont grâce à lui pu transformer leurs films en chefs d’œuvre immortels.

     

    Anne : Je n’évoquais pas toute l’oeuvre de Blier. Je prenais l’exemple bien spécifique d’un film en particulier de Blier. Mais soit. Supprimons une comparaison qui n’aurait pas lieu d’être. J’affirme donc, sans comparer, que les dialogues du film « Paroles et Musique » sont pauvres, parfois grotesques, surranés, bourrés de clichés et pathétiques. A mon avis, ils ont pris un sacré coup de vieux (sauf si on les aborde au second degré, encore une fois, en tant que témoignages d’une époque). Les répliques sont d’une platitude hallucinante, chargées de clichés consternants.

     

    Hubert : Pour revenir sur le film qui nous intéresse, c’est un mauvais procès d’intention que de lui faire de tels reproches concernant les dialogues. Le film est une sorte d’idéalisation des rencontres entre hommes et femmes vue par un réalisateur resté un peu adolescent quant aux choses de l’amour.

     

    Anne : Pour les dialogues : garder son âme d’adolescent ne signifie pas bêtifier ou être immature. On peut être jeune et intelligent. On peut être amoureux mais conserver sa raison. On peut être fleur-bleue, mais de manière drôle et pertinente. On peut écrire un film tendre mais plein de finesse. Quant à la relation amoureuse homme-femme : si elle est ici « idéalisée », je crie « au secours ! ». C’est ça l’idéal amoureux ?  Trouver un mec collant et bien lourd, qui fait des caprices, vous crie dessus, refuse d’affronter les problèmes. Se remettre en couple avec un type qui s’enfuit plutôt que de parler, abandonne sa femme et ses gosses et « démerde-toi », n’appelle pas, ne donne aucune nouvelle pendant des mois, sous-entend que tu es une traînée et une mauvaise mère ? Se faire draguer par un pauvre type en soirée qui drague toutes les nanas qui passent, te fais l’amour en chaussettes de tennis avant de te virer en pleine nuit comme une malpropre ? Mon idéal amoureux ne correspond à aucune de ces trois histoires d’amour décrites dans le film.

     

    Anne : Un des plaisirs du film est le casting. On est ravi de retrouver des visages qu’on aime et qui font un peu partie de notre vie : Dominique Lavanant, Clémentine Célarié, Charlotte Gainsbourg. En revanche, je n’ai pas aimé la musique du film composée par Michel Legrand, que j’ai trouvée trop sirupeuse. Un petit air de piano bien posé au bon endroit, quand il s’agit de signifier au spectateur qu’il doit être attendri, trop évident, trop gros…

     

    Hubert : Michel Legrand, de « la mélodie sirupeuse »… Oui, bien sûr, tout à fait… « Non Bogomir, Cvijetin ! Attendez, pas maintenant ! ». Désolé, chère Anne, mes deux hommes de main serbes voulaient juste vous vriller les bras et vous perforer les poumons à coups de poing américain. Michel Legrand, compositeur pour Jacques Demy, Godard, Molinaro, Rappeneau, Estwood, Lester, De Broca… Arrangeur de Jazz, chef d’orchestre… « Les Demoiselles de Rochefort », « Les Parapluies de Cherbourg », « Peau D’Âne », « L’Affaire Thomas Crown », « Cléo de 5 à 7 »… Je continue ? Elie Chouraqui, fan d’un certain cinéma populaire et surtout fan depuis toujours de ce compositeur, avait déjà collaboré avec lui sur son précédent film « Qu’est-ce Qui Fait Courir David ? ». Michel Legrand n’a certes ici pas forcément signé son meilleur score pour un film, si ce n’est ces petits thèmes au piano renvoyant à Eric Satie. Il a en effet composé toutes ces chansons qui, sorties de leur contexte, peuvent, je vous l’accorde, paraître aujourd’hui assez éprouvantes, mais pourtant, il a su apporter sa patte le temps de quelques notes au piano. Une mélodie placée ça ou là, qui renvoie tous les nostalgiques de ce film chéri à leurs années sucrées, idéalisées et souriantes.

     

    Anne : C’est exactement ce que je dis : une petite mélodie au piano bien placée, au bon moment, pile là où il faut. Efficace ? Talentueux. Mais justement… trop facile, tellement évident ! On n’est pas dupe et ça nous gonfle. Tout comme ces sitcoms derrière lesquels, en bruit de fond, on entend les rires qui nous indiquent à quel moment le scénario est drôle. Infantilisant. Directif.

     

    MA SCENE PREFEREE DU FILM

     

    Anne : La scène entre Lambert et Charlotte Gainsbourg dans la cuisine au petit-déjeuner : Lambert parvient à apprivoiser Charlotte après un dialogue à double sens. Et Charlotte Gainsbourg délicieuse, merveilleuse, si délicate, parfaite !

     

    Hubert : Ah vous voyez Anne, vous finissez par craquer et votre armure se fissure… A la 10ème vision du film, vous finirez par aimer Michel et Jérémie, Margaux et les autres… Si si… Vous verrez… On aime tous Paroles et Musique.

     

    Instant-City-Paroles-et-Musique-001

     

     

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  • About Face par Anthony Howe

     

     

    Une sculpture de visage qui se recompose sans cesse, grâce à 100 panneaux individuels de cuivre qui bougent avec le vent.

    Retrouvez les sculptures Kinetic, à l’intersection entre complexité mécanique et oeuvre d’art, de l’artiste américain sur http://www.howeart.net

     

     

     

  • Notre monde était arc-en-ciel

     

     

    Ils sont morts parce qu’ils étaient humoristes, dessinateurs, caricaturistes, journalistes. Ils sont morts parce qu’ils croyaient à la liberté d’expression, à la démocratie, à la laïcité.

    Ils sont morts parce qu’ils étaient juifs, catholiques, bouddhistes, musulmans, agnostiques.

    Ils sont morts parce qu’ils étaient jeunes, parce qu’ils étaient vieux, parce qu’ils aimaient se retrouver entre amis à boire et à manger en terrasse.

    Ils sont morts parce qu’ils allaient à des concerts, parce qu’ils aimaient la musique et la fête.

    Ils sont morts parce qu’ils s’amusaient, parce qu’ils riaient, parce qu’ils parlaient de tout et de rien.

    Et puis ils sont morts aussi parce qu’ils étaient homosexuels, trans, bi, travestis ou lesbian.

    Ils sont morts d’avoir pu choisir quelle vie ils souhaitaient, avec qui baiser, sucer, enculer, aimer, parler, s’enivrer, jouir.

    Ils sont morts tous autant qu’ils sont parce qu’ils étaient libres de danser, chanter, lever les bras en l’air s’ils en avaient envie.

    Ils sont tous morts pour la même raison.

    Ils sont morts parce qu’ils célébraient la vie, cette vie, la seule, brève, fugace, faite de courts instants de bonheur qu’il faut savoir cueillir comme on cueille les cerises.

    Ils sont morts parce qu’ils espéraient, parce qu’ils croyaient tous à la lumière et aux forces du bien.

    Ils sont morts parce qu’ils étaient en vie, que ceux qui les ont tués vivent quant à eux dans la peur, la colère, les ténèbres, et n’aspirent plus à rien d’autre que le silence et le froid du tombeau.

    Notre monde était arc-en-ciel…