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  • Bienvenue au Club : 25 ans de musiques électroniques [Arte]

     

     

    Comment la Techno, une musique alternative à la réputation sulfureuse – musique du ghetto, synonyme de violence et d’usage de stupéfiants – et trop souvent caricaturale, s’est-elle imposée pour devenir « le » courant musical fédérateur et universel, venu à la rescousse d’une industrie du disque moribonde ?

     

    Inspirée par l’écoute de l’album « Autobahn » du groupe précurseur allemand Kraftwerk, sorti en 1974, la Techno émerge à Detroit vers 1986, avec les trois pères fondateurs, Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson.

    Elle envahit d’abord l’Europe via Manchester et Berlin, avant de donner naissance aux raves et autres afters organisés dans des endroits sauvages, voire « interdits ». Bientôt, partout dans le monde, les DJs libèrent émotions et inhibitions et l’ecstasy dope les dancefloors, avant l’interdiction en Angleterre des raves. Laquelle suscite aussitôt une radicalisation du mouvement avec le phénomène des free parties. Spiral Tribe érige la Techno en mode de vie et les Daft Punk remettent la France sur la carte mondiale du genre, avec leur premier album « Homework » en 1997.

    Boostée par les soirées « Respect » organisées au Queen à Paris, la « French Touch » s’exporte, et le clubbing redevient branché. Omniprésentes aujourd’hui, des plages de Croatie à l’Ultra Music Festival de Miami, les musiques électroniques, hier diabolisées, sont devenues très bankable. Réunissant images d’archives et témoignages vibrants de figures emblématiques de la planète Techno, ce film impeccablement mixé revisite un quart de siècle de bandes son techno pour un retour vers le futur de la dernière grande révolution musicale.

     

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  • Yves Saint Laurent vs Saint Laurent

     

     

    Saint Laurent toujours, Saint Laurent for ever…

     

    Revenons sur deux films sortis à quelques mois d’intervalle en 2014. Si le premier s’est offert de beaux chiffres au box office, en ayant reçu au préalable la bénédiction de Monsieur Bergé, pour au final un rendu bien lisse et une réalité corsetée et servile, le deuxième, en revanche, déjà conspué alors que son tournage n’avait même pas encore démarré, proposait une vision du couturier, de sa vie et de son œuvre, plus viscérale et incandescente. Même s’il fut préféré par la presse, le film sera toujours évoqué en deuxième position, et finira par être un échec public.

     

    « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert

     

    Si on n’a jamais vu le magnifique documentaire de Pierre Thoretton, « L’Amour Fou », dont ce « Yves Saint Laurent » reprend sans vergogne aucune toute la trame, ou lu le livre d’Alicia Drake, « Beautiful People », peut-être alors trouvera-t-on un intérêt tout relatif au premier film de Jalil Lespert.

    Pédagogique dans sa forme, de facture digne d’un téléfilm de luxe de France 2, ce premier film sorti en salle, consacré au plus célèbre des couturiers français, s’évertue à empiler sagement les différents épisodes clés de la vie et la carrière de Saint Laurent. Les évènements se suivent et sont égrenés dans une cadence métronomique. Tout est en ordre, rangé dans des tiroirs, des compartiments, et rien ne dépasse.

    Pierre Niney singe plus le génie de la mode qu’il ne l’incarne réellement. Il ne réinvente définitivement pas Saint Laurent et ne cherche pas plus à se l’approprier. Il se contente juste de restituer des motifs, ce que l’on connaît en fait de cet homme au travers des images télé ou divers autres documents. Certes, il y a la voix, les manières, les attitudes, les gestes, mais cela ne procure rien d’autre que le contentement du spectateur ébloui par l’imitation parfaite d’un perroquet. « Yves Saint Laurent » n’offre aucune possibilité de rêver ou de s’abandonner. On reste à distance de ce ballet d’ombre.

     

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    « Saint Laurent » de Bertrand Bonello

     

    L’angle que choisit Bertrand Bonello pour aborder « son » Saint Laurent est forcément plus casse-gueule. En essayant de pénétrer la psyché du couturier, le réalisateur de « L’Apollonide » s’évite ainsi tout l’aspect biographique et distant vis-à-vis des personnages. On est là dans la tête du génie névrosé et c’est donc de son point de vue que l’on traverse ce film si organique.

    Nous voici dans les 70’s, soit la décennie la plus riche en événements et en créativité. C’est aussi une époque durant laquelle le fameux trio « sexe, drogue et rock’n’roll » n’a jamais aussi bien été représenté.

    L’autre idée géniale du film est de ne pas tenir compte d’une quelconque chronologie. Dans la deuxième partie, on fait des allers retours permanents entre les derniers jours de Saint Laurent et ses années fastes. Elégante façon de signifier que Saint Laurent et son oeuvre perdureront longtemps après sa disparition.

    « Saint Laurent », outre son souci de nous distiller des informations factuelles sur Yves Saint Laurent, se permet aussi des embardées baroques, tant Bertrand Bonello n’oublie jamais qu’il fait surtout et avant tout du cinéma. Il emprunte donc à Visconti, sans doute l’un des réalisateurs les plus proustiens de son temps (« Le Guépard », « Mort à Venise », « Les Damnés », « Rocco Et Ses Frères »), un de ses acteurs fétiches, mais aussi ses questionnements sur le temps et ses formes.

    Dès l’ouverture du film de Bertrand Bonello, on voit un homme de dos, fluet mais à l’allure élégante, entrer dans un hôtel pour se diriger jusqu’à la réception où il dit avoir réservé une chambre. Lorsque le concierge lui demande sous quel nom la chambre a été retenue, l’homme que l’on découvre enfin de face, avec ses lunettes à monture d’écaille et à l’attitude éthérée et timide prononce juste  « Swan », le nom du célèbre personnage de « La Recherche Du Temps Perdu » de Marcel Proust, écrivain cher à Saint Laurent. Le réalisateur de « L’Apollonide » exprime ainsi immédiatement ce qu’était Saint Laurent, sa psyché, sa force et ses faiblesses. D’une élégance tenue jusqu’au bout, « Saint Laurent » est le film ayant su capter l’âme d’une époque, son énergie vénéneuse et puissante.

     

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    On ne saura jamais vraiment qui était Saint Laurent, derrière ses robes, ses tissus, ses soirées, ses amants. Il était le héros d’un roman, de son histoire. Un être de papier qui grâce à Pierre Bergé put devenir l’un des plus grands couturiers de l’histoire de la mode.

     

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    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Dévoreur Hubertouzot

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images

     

     

     

  • 33 tours autour d’un microsillon | Ten Years After : « Ssssh »

     

     

    Aujourd’hui, qui se souvient encore de Ten Years After ? En août 1969, il y a cinquante ans, le plus injustement oublié des groupes de British Blues fut pourtant un de ceux qui enflammèrent le public relativement léthargique du Festival de Woodstock… Ça vous revient ? La même année sortait l’album « Ssssh » qui marquait d’une pierre blanche la grande histoire du Rock.

     

    Le guitar hero qui jouait plus vite que son ombre, comment s’appelait-il déjà ? Ah oui… Alvin Lee… Avec son compère Leo Lyons, bassiste, ils avaient formé The Jaybirds en 1960, et avaient suivi dès 1962 les traces des Beatles, pour aller jouer les stakhanovistes du rock au Star Club de Hambourg, tout juste après les scarabées. Puisant comme beaucoup d’autres groupes dans le répertoire du Blues originel, ils ne deviennent Ten Years After qu’après un concert mythique au Marquee Club de Londres en 1967.

    Leurs deux premiers albums paraissent la même année, et passent plutôt bien sur les radios américaines friandes de la « British Explosion ». Engagés par Bill Graham, ils font une tournée aux Etats-Unis en 1968, avant de se retrouver à Woodstock l’année suivante. L’énergie, l’enthousiasme et l’authenticité qui sont aussi flagrants dans leurs prestations scéniques que dans leurs enregistrements studio, compensent sans doute une créativité qui se limite à l’époque à inclure quelques paroles originales sur des grilles maintes fois revisitées, mais ils le font avec un punch unique.

     

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    Il faudra attendre l’album « Ssssh » sorti en août 1969, puis l’opus « Space in Time » en 1972, pour entendre enfin quelque chose de vraiment original. Sans oublier non plus qu’ils furent parmi les premiers, avec Stevie Wonder, à utiliser les synthétiseurs. La première tentative d’évolution créative, avec « Stonedhenge », leur troisième album paru quelques mois avant le mythique « Ssssh », s’était avérée assez infructueuse, même si ce fut leur premier vrai succès commercial. Il en avait résulté un album vain et raté, auquel seul un fan jusqu’au-boutiste pouvait trouver quelques qualités.

    Ce qui ne sera pas le cas du disque du jour… Paru en 1969, le quatrième album de Ten Years After ne présente en fait que deux défauts majeurs : son titre et une pochette hideuse. Et un défaut moindre : ce sample de volatile indéterminé qui ouvre le premier titre, totalement incongru… Mais le reste du contenu relève du sans-faute ; ici, ni solo de basse ou de batterie inutiles ni concepts foireux… Que du bon vieux blues bien poisseux et du rock psychédélique. Des reprises bien choisies, comme « Good morning little schoolgirl » , avec un riff à couper le souffle, une dérive jazzy bienvenue et des effets électroniques étranges sur la voix, qui font de cet album un Must absolu, même pour ceux qui ne seraient pas des inconditionnels du blues rock.

     

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    Alors, redonnons aujourd’hui ses lettres de noblesse à Ten Years After, car le groupe le mérite… Si, au final, Alvin Lee n’était pas un chanteur capable de rivaliser à l’époque avec un Rod Stewart, par exemple, et s’il n’était pas non plus le meilleur guitariste du monde, Jimi Hendrix ayant tout juste laissé la place à Clapton, et même si aucun des membres du groupe n’était un virtuose de son instrument, ensemble, leur jeu « Fast and Furious » faisait mouche.

    Reconnaissons-leur également le mérite d’avoir duré jusqu’en 1975, sans nous abreuver jusqu’à plus soif de disques merdiques, à l’instar de Jethro Tull, pour ne citer qu’eux. Et saluons aussi la constance de l’amitié qui liait les uns aux autres, Ric Lee, le batteur (sans aucun lien de parenté avec Alvin Lee), Chick Churchill, l’ancien roadie qui tenait les claviers et Leo Lyons, le bassiste, même si Alvin avait décliné en 2001 leur offre de participer à la reformation du groupe. Après quelques concerts exceptionnels en Europe et un album assez réussi, « Saguitar », paru en 2008, Alvin est décédé en 2014 en Espagne où il vivait depuis une dizaine d’années.

     

    Article : bigbonobo

     

     

     

     

  • Lunettes Noires pour Nuits Blanches

     

     

    En 1988, Thierry Ardisson réinvente l’interview télé. Il y aura un avant et un après « Lunettes Noires pour Nuits Blanches », même si l’émission du samedi soir n’a duré que deux ans.

     

    « Salut bande de nazes ! », « C’est en exclu, Lulu ! » ; ces formules en voix off de Thierry Ardisson, ponctuant son émission pour couche-tard du samedi soir, « Lunettes Noires pour Nuits Blanches », résonne encore dans bien des têtes. Elle n’a pourtant duré que deux ans, de septembre 1988 à juin 1990. À l’époque, Ardisson s’est fait connaître avec « Scoop à la Une », sur TF1 et « Bains de Minuit », sur la Cinq.

     

    « Si on vous donnait la tranche horaire des Enfants du Rock, qu’est-ce que vous feriez ? » Claude Contamine, alors directeur des programmes d’Antenne 2, n’attend pas longtemps la réponse à la question qu’il pose à Thierry Ardisson, convoqué dans son bureau. « Je ferais non pas une émission de rock, mais une émission rock, rétorque l’intéressé. Je parlerais non seulement de chanteurs, mais aussi d’écrivains, de peintres, de comédiens. Le rock est plus un état d’esprit et une culture qu’une musique. »

     

    Ardisson propose donc un magazine d’une heure 30, coproduit avec Catherine Barma, avec « 50 % de musique, 25 % d’interviews et 25 % de reportages », n’en déplaise aux amoureux du rock’n’roll, orphelins de leur émission. « Et comment vous l’appelleriez ? », interroge Contamine. En face, le jeune loup se souvient d’un slogan imaginé pour l’annonceur d’un journal « underground » où il travailla neuf ans plus tôt, dans le quartier des Halles. « J’avais trouvé un titre pour les Lunettes Glamor : lunettes noires pour nuits blanches » ; une des nombreuses griffes de l’ex-publicitaire, à qui l’on doit aussi les célèbres « Ovomaltine, c’est de la dynamite ! », « Vas-y Wasa ! » et « Lapeyre, y’en a pas deux ! ».

    « À partir de ce moment-là, ce qui était génial, c’est qu’on avait une liberté quasi totale », raconte Ardisson. Séquence nostalgie. En cette fin des années 80 souffle un vent de liberté qui touche tous les secteurs et presque tous les pays. En 1988, en URSS, Gorbatchev accélère les réformes qui vont aboutir, un an plus tard, à l’effondrement du rideau de fer soviétique, le mur de Berlin tombe, le dictateur roumain Nicolae Ceausescu est renversé, la France célèbre le bicentenaire de sa révolution.

    Dans l’air du temps, l’animateur invente un ton, sarcastique et provocateur. Antenne 2 veut une émission « branchée ». Lui déglingue les codes de l’interview, inquisiteur émoustilleur des intimités du show-biz. Une bouffée d’air frais salutaire, quand tous les autres animateurs font simplement de la promo. Son arme choc : l’interview-concept. Il y a en aura jusqu’à cinquante…

     

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    « À l’époque, on connaissait le questionnaire de Proust. C’était la seule interview formatée. Pourquoi toujours commencer par Bonjour, comment allez-vous ? ». Voici le « chouchou », « le jeu le plus naze de la télé », « l’antiportrait chinois » (« Si vous étiez une cicatrice », « Si vous étiez une catastrophe »), les « questions cons » (qui vont faire un tabac), le « blind test » (retrouver les titres de tubes), « l’auto-interview » (celle de Gainsbourg/Gainsbarre fait toujours le buzz sur la Toile aujourd’hui), sur fond de « Night Clubbing », musique du générique de l’émission signée Iggy Pop, au rythme de laquelle défilent les photos des invités « warholisés » ; portraits pop jaune, vert, rose et flanqués de lunettes noires.

    Le combat avec les invités-victimes semble pourtant douteux. L’émission ne se déroule pas en direct, et Ardisson a tout loisir de faire sauter au montage les dérapages incontrôlés. Celui-ci s’en défend. « Je n’ai jamais voulu faire l’émission en direct. Non pas par peur, mais parce que vous ne tenez pas les gens jusque tard dans la nuit si vous ne coupez pas les moments où on s’ennuie ». Aucune séquence n’a été censurée ? « Jamais, jure-t-il. Quand on dit montage, on pense souvent censure. C’est faux ! ». La censure vient d’ailleurs. « À un moment, il ne fallait pas inviter Jean-Edern Hallier parce qu’il avait écrit un pamphlet qui s’appelait « L’honneur perdu de François Mitterrand » », se souvient-il. Or, le président socialiste venait d’être réélu. « Il ne fallait pas non plus inviter maître Vergès parce qu’il avait défendu Klaus Barbie. C’était hallucinant ! Dieu sait si je hais Barbie, mais quand même ! »

     

    Les invités ne savaient pas à quelle sauce ils allaient être cuisinés. « Sauf Juppé, qui était alors secrétaire général du RPR », se souvient Ardisson qui s’exclame : « Il faisait l’auto-interview. C’est là que j’ai compris qu’il ne ferait jamais carrière. Il y avait une partie où moi je lui posais des questions. Et une autre où il chaussait les lunettes noires et où lui se posait les questions. C’était surréaliste ! Il n’y arrivait pas, jouait faux, jouait mal. Je me suis dit qu’il avait du souci à se faire, lui qui se lançait dans une carrière politique ! »

     

    L’enregistrement a lieu au Palace. La célèbre discothèque parisienne n’en est plus à ses heures de gloire, mais elle n’en reste pas moins l’endroit où il y a des mignonnes. Les langues s’y délient et les tabous explosent. Ardisson adopte un ton libertaire et libertin, parle sexe, drogue, « comme on en parle dans la vie ». Dès la première, le 17 septembre, il lance à Guesh Patti, qu’il tutoie : « Es-tu pour la légalisation de certaines herbes magiques ? » La chanteuse du hit « Etienne, Etienne », réplique : « Je trouve plus sympathique de l’avoir en douce ».

    La Marie-Jeanne, que l’animateur « ne considère pas comme une drogue », est omniprésente, du moins verbalement, chaque semaine. Mais quand Ardisson affirme que « la drogue, ce n’est pas de la merde », la ligne rouge est franchie. On n’est plus dans une transgression du langage. C’est du dérapage. Les Inconnus l’étrillent dans une parodie qui tourne toujours sur YouTube. L’époque est à une prise de conscience. 1988, c’est aussi l’année de la première conférence mondiale sur le sida.

     

    « L’époque autorisait certains débordements », jus­tifie le producteur qui assure avoir été « juste naturel ». Il plaide encore : « Je n’ai jamais fait la propagande de la cocaïne, moi qui ai eu tant de mal à m’en sortir. Je trouve toujours ridicule de dire que la drogue, c’est de la merde, car jamais personne ne va payer 120 sacs un gramme de merde. Partant de là, il faut aller au fond des choses pour expliquer pourquoi mieux vaut ne pas en prendre. »

     

    Deux mois après le lancement de l’émission, en 1988, deux millions de téléspectateurs sont au rendez-vous le samedi soir, souvent des night-clubbers qui attendent le générique de fin pour aller s’encanailler. Le succès vient aussi de la mise en scène. Ardisson arrive devant la discothèque en 404 coupée. En réalité, « elle était tirée par un camion spécial parce que je ne savais pas conduire ».

    Puis il y a l’ambiance, les volutes de fumée des clopes tirées comme si chacune était la cigarette du condamné, les rythmiques des clips (marque de fabrique des années 1980) qui montent à la tête, les verres d’alcool avalés comme autant de ponctuations, les figurants rasés, cloutés, badgés. « Il fallait donner tous les signes de la nuit, se souvient le producteur. Je procédais comme pour un film, en usant au maximum de l’illusion ».

    Ardisson a sabordé « Lunettes »… « Ma connerie est d’avoir annoncé dès le début la fin, pour juin 1990. Il fallait être fou ! Je ne voulais plus faire d’antenne ». Mais n’affiche aucun regret. Vingt ans après, les Dechavanne, Ruquier, de Caunes, Fogiel étaient-ils ses héritiers ? L’orgueilleux réfute ces ambitieux qui « ont tellement envie de faire de la télé », alors que lui, n’en voulant pas, pétrifié par le trac, aura gravi les marches du succès, simplement mû par le plaisir, interviewant en deux ans 800 stars, dans un esprit de pionnier.

     

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    Trente ans après la rencontre avec Gainsbourg, l’émission reste une référence dans la carrière d’Ardisson. Sur la Toile, les internautes commentent encore cette séquence durant laquelle l’animateur « parvient à faire sauter la carapace du fumeur de gitanes, dévoile un personnage attachant, tantôt pudique, tantôt outrancier, toujours libre ». L’auto-interview reste un moment d’anthologie. L’animateur, lui, se souvient ému de la genèse de cette « histoire » diffusée le 8 avril 1989.

     

    « Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Philippe Lerichomme, qui était l’homme de confiance artistique de Gainsbourg. Serge veut faire une émission spéciale avec toi. Il veut que ce soit tourné l’après-midi. Moi, l’après-midi, je trouvais ça nul mais bon, je n’avais pas le choix. Avec Catherine Barma, on monte l’émission, on lui fait rencontrer Antoine Blondin, Béatrice Dalle et d’autres artistes qu’il voulait voir. Je n’en revenais pas. »

     

    Ardisson admire Gainsbourg… Il évoque avec gourmandise comment il a passé ses invités à la moulinette de l’interrogatoire. L’actrice au parfum de scandale, révélée quatre ans plus tôt dans « 37°2 le Matin », brille par son ennui. Gainsbarre ironise sur ses frasques en trinquant avec l’auteur des « Enfants du Bon Dieu », son complice « d’alcool et de commissariats ».

    Sur la scène du Palace, Étienne Daho chante « Heures Hindoues ». Gainsbourg taquine Bambou et parle, comme s’il n’avait pas le temps, de leur garçonnet, Lulu. On dirait une émission testamentaire. Ardisson se souvient : « À la fin de l’enregistrement, j’ai demandé à Lerichomme : Pourquoi est-ce que Gainsbourg m’a fait ce cadeau ? Et là, il m’a répondu : Gainsbourg rentre à l’hosto demain, il a une chance sur deux d’y rester et il a voulu faire sa dernière télé avec toi. J’étais pratiquement en larmes ».

     

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    Interview de Thierry Ardisson publié dans Le Figaro Culture le 17.08.2009

     

     

     

  • Fabrice Mathieu : « Moon Shining »

     

     

    A l’occasion du 50ème anniversaire du premier pas sur la Lune, replongeons avec « Moon Shining » du réalisateur Fabrice Mathieu dans le making of du tournage de la Mission Apollo 11 réalisé par Stanley Kubrick en 1969. Attention : document classé Top secret depuis plus de 50 ans… jusqu’à aujourd’hui.

     

    Bon, admettons que Fabrice Mathieu prenne parfois quelques libertés avec le cours de l’histoire, mais ça n’est jamais péché car c’est toujours pour notre plaisir. Et il n’en reste pas moins que ses petits arrangements avec les événements sont toujours très cohérents et ont le mérite de nous ramener à des époques bénies entre toutes.

    Car le « Mashup » requiert tout de même non seulement une culture certaine, mais aussi un sens de l’imagination assez prononcé. Si les nouveaux moyens technologiques sont de plus en plus accessibles au premier quidam venu, il faut néanmoins être capable, en visionnant une scène précise, de pressentir quelle autre séquence ou quel autre son pourrait venir s’y marier à la perfection, tout en donnant sens à l’histoire que l’on souhaite raconter.

    Ce qui nous semblait hier être pratiqué sur le mode de « petits bidouillages entre amis » par quelques illuminés prend aujourd’hui une ampleur certaine, avec même un festival qui leur est consacré, le « Mashup Film Festival ».

     

    « Pop et Punk, drôle et subversif, le cinéma Mashup est un art contemporain populaire, né du croisement d’internet et du cinéma. Soutenu notamment par le CNC, la DRAC, l’Institut Français, parrainé en mars 2019 par Jean-Pierre Mocky, le « Mashup Film Festival » est l’occasion pour les aficionados et les cinéphiles de tout poil de se retrouver lors de plusieurs événements intimistes et ouverts, autour de projections, spectacles, ateliers et conférences, dans une vingtaine de lieux, en France comme à l’étranger. »

     

    Et attendant l’édition 2020 et l’émergence de nouveaux adeptes, régalons-nous des productions de Fabrice Mathieu, empreintes de poésie et de nostalgie pour une époque révolue, et vous avez d’ores-et-déjà de quoi faire sur sa page Vimeo.

    A découvrir d’urgence… A Instant City, on adore !

     

     

    Cast : Wernher von Braun, Stanley Kubrick, John Fitzgerald Kennedy, James Webb, Fred Ordway, Neil Armstrong, Buzz Aldrin, Matthew Johnson, Owen Williams, Arthur C. Clarke, Richard Nixon, Michael Collins…

     

    Extraits de films utilisés :

    ✓ « Operation Avalanche »
    ✓ « Moonwalkers »
    ✓ « Capricorn One »
    ✓ « 2001 : A Space Odyssey »
    ✓ « First Man »
    ✓ « Diamonds Are Forever »
    ✓ « Frenzy »

     

    Documents Visuels utilisés :

    ✓ Behind the scenes of « 2001: A Space Odyssey »
    ✓ Behind the scenes of « First Man »
    ✓ Wernher Von Braun tells the story of Apollo 11
    ✓ Wernher Von Braun, his story told
    ✓ Wernher Von Braun explains the possibility to reach the Moon
    ✓ Apollo 4 Wernher Von Braun explains how the preparations are going for the first launch
    ✓ Apollo 11 the first landing on the moon
    ✓ Revisiting The Moon Landing
    ✓ First Man on the Moon, The Real Neil
    ✓ Was the Moon Landing faked, Mythbusters
    ✓ A Funny Thing Happened on the Way to the Moon
    ✓ The Journeys of Apollo 11, The Conquest of the Moon, NASA documentary (2009)
    ✓ Stanley Kubrick Moon Landing Conspiracy
    ✓ President Nixon speaking with astronauts Armstrong and Aldrin on the Moon
    ✓ Astronauts welcomed by Nixon 1969

     

    Edited and directed by Fabrice Mathieu.

     

    [arve url= »https://vimeo.com/337720951″ align= »center » title= »« Moon Shining » by Fabrice Mathieu » duration= »5M42″ maxwidth= »900″ /]

     

     

     

  • Suspiria 2018 : et dansent les Sorcières…

     

     

    On avait tout à craindre de ce remake du mythique « Suspiria » sorti en 1977, même si son réalisateur Luca Guadagnino brille sous un vernis chic avec ses deux derniers films, « A Bigger Splash » et « Call Me By Your Name ».

     

    En s’attaquant au chef d’œuvre de Dario Argento sorti en 1977, Luca Guadagnino tente un pari culotté, fou et selon ses détracteurs, tout simplement pétri de vanité… Car beaucoup le considèrent, au même titre qu’un Paolo Sorrentino, tout juste capable d’étaler de belles images, sans une once de réflexion ou de cohérence.

    « Suspiria » est le premier volet de la « Trilogie des Enfers » (ou « Les Trois Mères »), qui comprend ensuite « Inferno » (1980) et « Mother of Tears » (2007). Ces trois films nous immergent dans des récits de sorcellerie et d’horreur, dont l’action se déroule dans trois grandes villes européennes.

    Le « Suspiria » de Dario Argento s’appréhendait ainsi comme un conte horrifique, une sorte de relecture du roman « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll. Ses couleurs, ses décors, sa mise en scène et son ton général nous embarquaient dans une expérience sensorielle, hypnotique et onirique, telle une sorte de sortilège.

    Un film effrayant et beau, qui fascine toujours autant, comme ces histoires que l’on raconte aux enfants. Pour ceux qui l’ont découvert à sa sortie, force est de constater qu’il ne les a plus jamais quittés…

    On se demandait donc comment Luca Guadagnino, le réalisateur qui avait déjà remaké avec « A Bigger Splash » le film mythique de Jacques Deray, « La Piscine », avec Delon, Schneider et Ronet, et qui affichait d’évidentes accointances avec le cinéma d’Eric Rohmer, allait bien pouvoir nous surprendre avec sa relecture du mythique « Suspiria »…

     

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    Le « Suspiria » version 2018 n’est définitivement pas un film de commande, un de ces succédanés que l’on voit fleurir chaque année, ces sempiternels remakes de classiques des années 70 et 80. Non ! Car de toute évidence, Luca Guadagnino chérit le film de Dario Argento et le considère, selon ses propres dires, comme l’un de ses films préférés… En souhaitant se le réapproprier, il déconstruit malgré tout complètement l’œuvre de son mentor italien.

    L’histoire se situe toujours en 1977, mais le parallèle entre les deux films s’arrête là. On délaisse la ville de Fribourg pour Berlin, en pleine époque dite « des années de plomb », celles de la bande à Baader et du fameux mur. Ici, point d’ambiance onirique et de lumières primaires. On est dans une réalité crue où se disputent les gris, les ocres et les bruns ; que des couleurs passées… Fini l’art nouveau poétique et tortueux, on passe à l’art déco, brut, ample et froid.

    Le fantastique est pourtant bien au rendez-vous, mais il nous est suggéré non par une ambiance mais par la mise en scène. Guadagnino prend ses distance avec l’œuvre matricielle dès le début, et il préfère tout expliquer, tout rationaliser, pour mieux ensuite nous plonger dans l’horreur et l’incrédulité.

    Il utilise également beaucoup mieux ce collectif de femmes qui vivent ensemble, avec de vraies personnalités accordées. Il en est de même pour tout ce qui entoure la danse, puisqu’il en fait le pivot central de l’histoire quand Dario Argento n’en faisait qu’un prétexte. Le maître italien a toujours été un fétichiste et un plasticien. Il préférait s’attarder sur les détails d’un décor plutôt que sur ceux d’un visage.

    Dans les premiers rôles, Tilda Swinton joue Madame Blanc, la chorégraphe largement inspirée d’une autre célèbre danseuse et chorégraphe allemande, Pina BaushDakota Johnson tellement insignifiante dans le diptyque lénifiant, « 50 Nuances de Grey », s’empare ici de son personnage à bras-le-corps, avec autant d’ingénuité que de perversité.

    Car ce « Suspiria » version 2018 est d’abord un film de femmes, dans lequel celles-ci occupent l’espace à 95 % et où on nous les représente tour à tour puissantes, mystérieuses, souriantes et solidaires. Jamais on nous avait d’ailleurs dépeint un univers de sorcières avec autant de sincérité et de crédibilité. Le film en est au final d’autant plus déstabilisant.

     

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    Le « Suspiria » de Guadagnino n’est certes pas un film facile… Pour les fans de jump scares et autres effets de manche, ils en seront pour leur frais. Si le film se révèle pourtant toxique à souhait, en distillant une atmosphère étouffante et malsaine, il ne cherche pas à faire plaisir et caresser dans le sens du poil. Sur 2h30 que dure le métrage, plusieurs histoires s’entremêlent sans véritable conclusion ni réel début.

    Seule certitude, ces sorcières ont toujours été là et le seront encore bien longtemps après. Elles nous laisse juste partager des moments de leur vie et de leur quotidien, mais le sens profond de leur existence nous dépasse, même s’il y est question en filigrane de quête de pouvoir. Malgré sa thématique et ses enjeux, ce « Suspiria » reste un film intime, qui se chuchote à l’oreille comme certains morceaux qu’on apprécie et que l’on préfèrera écouter au casque, et seul.

    Pour la musique, c’est Thom Yorke qui se charge de composer une partition mélancolique et belle, quand celle de la version de Dario Argento était signée par le groupe de rock progressif italien Goblin. Le piano et la voix plaintive du chanteur du groupe Radiohead se baladent et se marient parfaitement aux images, pour offrir un ton général doux, triste, mais paradoxalement réconfortant et enveloppant.

    S’il est néanmoins imparfait, en souffrant de problèmes de rythme et de compréhension, ce « Suspiria » deuxième du nom mérite une seconde chance, tant il fut boudé à sa sortie et injustement très vite oublié. Car il reste une ode magnifique à la féminité, mystérieuse, dangereuse, puissante, multiple, tellurique et radieuse ; un hymne à la volupté des corps, de la danse et de son pouvoir.

     

     

     

  • Jerry Goldsmith : Puissance, Mélodie et Chaos

     

     

    Jerry Goldsmith pourrait être le pendant de cet autre grand compositeur et mélodiste qu’est John Williams, car lui aussi a tant œuvré pour le cinéma à Hollywood, en contribuant à rendre immortels de nombreux films, avec ses scores reconnaissables entre tous.

     

    Mais si John Williams l’Américain a d’abord reçu une formation de jazzman, pour Jerry Goldsmith, c’est plutôt du côté du classique qu’il faut aller chercher technique et musicalité. Ses origines juives ashkénaze de Roumanie auront été infusées au fil du temps dans des influences profondément ancrées du côté de la musique d’Europe de l’est, qu’elle soit classique ou populaire et folklorique.

    C’est donc ici que la comparaison avec son illustre homologue s’arrête, car si Williams, le compositeur de « Star Wars », a su avec brio rebondir de thèmes emblématiques en envolées légendaires, il est toujours resté confortablement calé entre jazz et orchestration néo-classique, hormis peut-être pour deux ou trois scores surfant parfois sur le sériel et la dissonance (« Rencontres du Troisième Type », « Images » ou même « La Guerre Des Mondes »).

    Quand Jerry Goldsmith fut capable tout au long de sa très longue carrière de se réinventer sans cesse… Le compositeur à la queue de cheval a exploré et expérimenté, en utilisant pour étoffer ses œuvres à peu près tout ce qui pouvait émettre un son ; de l’électronique, dont il fut l’un des précurseurs au cinéma (« The Illustrated Man » en 1969 ou « Logan Run » en 1976), au bol de cuisine, en passant par un sifflet d’enfant ou encore des croassements de corbeaux (« Damien : La Malédiction 2 »)

     

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    Avec les musiques de « Patton », « Gremlins », « Papillon », « Basic Instinct », « Star Trek », « Chinatown », « Alien », « Rambo », « Poltergeist », « Legend » ou « Le 13ème Guerrier », Goldsmith impose sa patte. Autant de genres et de styles différents pour un compositeur hautement prolifique…

    Arrêtons-nous un moment sur une de ses œuvres en particulier, « La Planète des Singes » de Franklin J. Schaffner sortie en 1968. Sûrement son score le plus fou, le plus ambitieux et le plus mémorable. C’est là où réside toute la versatilité de Jerry Goldsmith qui compose un an plus tôt, en 1967, pour le film « In Like Flint » avec James Coburn, une pop Jazzy et désinvolte, avant de faire un grand écart absolu l’année suivante avec la musique de « The Planet Of The Apes »…

    Jamais percussions furieuses, maelström de cuivres et de sonorités inquiétantes, brutes, n’auront aussi bien collé à des images. Plus que la simple illustration sonore du film, la musique de « La Planète des Singes » constitue une œuvre singulière et puissante, digne de Stravinsky, Ligeti ou Bartok. Si le film de Schaffner est une réussite totale et un véritable ovni dans le paysage cinématographique de l’époque, c’est sans conteste grâce à Jerry Goldsmith qui signe le plus génial des scores du 7ème Art.

     

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    Mais Jerry Goldsmith, ce furent aussi souvent des musiques magnifiques composées pour des films pas forcément tous bons…

    La trilogie de « La Malédiction » avec le fameux Damien, l’Antéchrist, en est le parfait exemple. Car ce ne sont pas forcément des chefs d’œuvre impérissables. Et ces succédanés s’inscrivent plutôt dans la vague opportuniste des films de l’époque qui ont surfé sur le carton mondial de « L’Exorciste ». Il n’en reste pas moins que même si les trois films sont moyens, ce que Jerry Goldsmith a composé pour les habiller nous fait véritablement tomber à la renverse.

    Si vous écoutez les trois scores dans l’ordre chronologique, vous vous apercevrez qu’ils recèlent en eux une logique musicale propre, qui rappelle à certains égards de grandes œuvres classiques, comme dans une symphonie, lorsque l’orchestre se déploie petit à petit pour finir par exploser, alliant la puissance des choeurs au gigantisme du son. Le célèbre thème principal « Avé Satani », scandé par ces chœurs lugubres, en dit long sur la ferveur et le premier degré qui habitaient le compositeur de « Outland ».

    En évoquant le grand Jerry Goldsmith, ce que l’on gardera en mémoire, au-delà de ses compositions mythiques, c’est évidemment cette faculté à sans cesse se renouveler, cette puissance musicale inimitable (« La Momie », « Total Recall », « Capricorn One »), ses inventions (« Logan Run », « The Illustrated Man »), ses fulgurances pour le Space Opera (« Star Trek », « The Last Starfighter », « Explorers ») et un souffle romanesque inégalable (« Chinatown », « L.A. Confidential », « Medecine Man »).

    En substance, l’infatigable inspiration d’un génie discret, artisan magique tant au service des films que des oreilles mélomanes… Et au vue des œuvres composées et de cette facilité à réinventer les poncifs, tout en les sublimant, Goldsmith volait décidément bien au-dessus de la mêlée.

     

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  • Le Cinéma de Wes Anderson : La Mélancolie c’est Chic

     

     

    Dès son premier film « Bottle Rocket » en 1996, le réalisateur américain Wes Anderson affichait déjà une identité forte et surlignée, qui n’aura de cesse que de s’auto-alimenter au fil de sa carrière.

     

    Notre monde, en passant par le prisme de Wes Anderson, né à Houston au Texas il y a cinquante ans, devient une dimension parallèle. Un monde familier, mais en biais, où tout semble obéir à d’autres règles quantiques. Un univers intemporel dans lequel tout est suspendu, flottant… Ses films forment un tout ; un écosystème dont il serait le maître, le marionnettiste.

    Il y a quelque chose de Legoland dans cette vision autiste, comme une maison de poupée géante. La visiter provoquera en chacun de nous une sensation d’enfermement, d’étouffement, tant les visions ultra-léchées ne laissent jamais de place au hasard. Tout est sous contrôle, encadré, dans le sens le plus littéral du terme. Les plans de ses films sont des tableaux où même le passage d’un oiseau dans le ciel a été prévu…

     

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    Cette psychorigidité peut rappeler d’ailleurs celle de Peter Greenaway, qui était peintre avant d’être réalisateur. Il ne se tourna vers le cinéma que dans les années 80, comme pour créer une extension à son univers originel. On pense évidemment aussi à Tim Burton, adepte d’univers ultra-codifiés, même si cela fait déjà plus d’une quinzaine d’années que ses marottes et son maniérisme se sont retournés contre lui et l’ont enfermé à double tour dans l’armure d’un robot qui désormais photocopie ses films plus qu’il ne les crée de toutes pièces…

    Wes Anderson, quant à lui, affiche une filmographie plus restreinte et ne semble pas pour le moment trop tiraillé par les sirènes du succès ou la récupération malhonnête d’une certaine presse Indé. Il mène sa barque au gré de ses propres courants et de ses illuminations. Ses marottes à lui passent plutôt par les teintes de la mélancolie, de ces époques surannées et joyeuses. Il garde en lui cet espoir fané, comme le sentiment contrit que ce qui peut arriver de meilleur était forcément avant, et que le souvenir en est le plus parfait stimulant. Cette fameuse joie d’être triste…

    Dans ses films, les personnages, globalement dépressifs, adultes, enfants et animaux compris, aspirent à quelque chose de meilleur, mais sans trop y croire. Ils voudraient changer le cours des choses par eux-mêmes, dans ce monde clos tel une maison de repos, mais rien n’évoluera jamais vraiment car c’est un peu comme demander à quelqu’un de courir sur une étagère. Tout sera toujours à sa place, même dans quinze ans…

    Il y a dans le cinéma de Wes Anderson flegme et politesse feutrée, la musique rassurante d’une vieille horloge dans le salon de cette tante anglaise qui vous reçoit à l’heure du thé, pour siroter ensemble un thé au citron en dégustant des Short Bread au gingembre.

    Ces tableaux, avec le cadre intégré où le temps possède son propre tempo, montrent tout en aplat ; des êtres animés qui n’ont jamais d’ombre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Anderson a réalisé deux films en stop motion, avec pour le coup de vraies marionnettes, pour aller plus loin encore et tenter de coller le plus près possible à ses obsessions et ses visions.

    « Fantastic Mr Fox » (2010) et « L’île aux Chiens » (2018), deux formidables contes où l’anthropomorphisme nous rappelle que l’animal, même s’il est doué ici de parole, n’est pas semblable à l’homme mais juste une extension de sa réflexion et de son intelligence. Deux films d’animation où toutes les névroses du réalisateur sont traitées comme des histoires pour enfants, avec de l’action et des rebondissements, mais sans jamais se départir de cette distance courtoise installée dans le seul but de mieux critiquer l’espèce humaine et la punaiser au mur.

     

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    L’enfance est omniprésente dans les œuvres de Wes Anderson, au travers d’adultes tous pleins de regrets et de morgue, qui s’épanchent sur leur vie ; comme sur une route, lorsqu’on hésite entre repartir en arrière ou alors continuer droit devant, une route sur laquelle il faudra tout de même avancer un peu et tenter de vivre… Les enfants n’y sont jamais traités comme tels mais plutôt représentés à l’égal des adultes.

    De petites personnes qui font des plans, qui réfléchissent et qui semblent avoir déjà tellement vécu. L’idée de l’enfance et de sa naïveté passe en fait par l’image des films et leur forme. L’enfant est un double, revenu du passé, qui interroge. Il n’a jamais cette image d’innocence et de naïveté, mais fait plutôt figure de vecteur, de lien fort et de placebo pour se (re)construire à nouveau après telle ou telle épreuve.

    Parmi ses films les plus marquants, « La Famille Tenenbaum » fut un rendez-vous miraculeux lorsqu’il sortit en 2001. Nous n’avions pas encore totalement digéré le style de Wes Anderson, mais son art du papier crépon prenait déjà forme et servait merveilleusement l’histoire et ses personnages. On avait affaire à un film délicat, précieux, émouvant, drôle. Tout ce qui devait constituer l’esthétique Anderson était déjà là, et on imaginait avec peine comment le réalisateur allait pouvoir se renouveler, étonner encore, s’il gardait ce même maniérisme, cette intensité dans le détail.

     

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    En 2004, « La Vie Aquatique » constituait une sorte de déclinaison au film précédent, mais dans un décor différent. L’univers précieux d’Anderson était cette fois-ci transposé en version maritime. Cela fonctionnait encore, et le charme opérait.

    « A Bord du Darjeeling Limited » (2007), même s’il pouvait un temps surprendre dans ses nouvelles idées de mises en scène et ses péripéties forcées, avec cette tentative de renouveler cette forme cartonnée avec là encore un nouveau décor – le train, l’Inde, le mouvement pour répondre à l’immobilisme de ces trois frères – sonnait pourtant comme un aveu de redite.

     

    Ces trois œuvres forment ainsi une trilogie dont le thème premier tourne autour de la paternité, de la filiation et de la peur de l’atavisme. Mais peut-on justement répéter à l’infini le même concept ? Est-ce qu’un photographe ou un peintre refait toujours la même chose ?

     

    « Moonrise Kingdom », le sixième film de Wes Anderson, souhaite ainsi s’affranchir de ses trois prédécesseurs, en proposant, avec une affiche qui en dit long sur ce que l’on est invité à voir, une continuité pour les aficionados mais de nouvelles formes à malaxer. Le film semble en effet avoir été conçu pour dénicher de nouveaux adeptes de son univers codifié, tout en caressant dans le sens du poil les fans déjà convertis. Dès le générique, tout dans ce nouvel opus sent le musée, l’exposition, l’encombrement, l’amoncellement. Pour ceux qui découvrent cet univers pour la première fois, il y aura certes la surprise, l’émerveillement sans doute… Mais pour les autres, on se sent à l’étroit dans « Moonrise Kingdom » ; un manque flagrant d’oxygène…

     

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    Cette histoire d’amour entre deux pré-ados n’évoque décidément que des impressions de souvenirs polis mais froissés, sans odeur ni âme. Les mêmes thèmes répétés tout au long du film et époussetés pour l’occasion, paraissent maintenant si prévisibles, si aseptisés, que l’ennui guette à chaque nouvelle scène.

    Quant aux acteurs, fussent-ils utilisés comme fétiches, tel ce bon vieux Bill Murray qui n’a ici pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n’est juste le fait d’être de la partie – « d’en être » – ou toutes les nouvelles têtes (Bruce Willis, Tilda Swinton) qui viennent à leur tour sans doute caresser le vernis de cette oeuvre chic et hype, tout le monde a l’air de s’ennuyer ferme.

    Tout ce principe figé et pince-sans-rire, conçu pour être une marque de fabrique, cette fois-ci ne prend pas. Les péripéties se succèdent telles un cahier des charges. Le duo, tant le garçon que la fille, n’a aucun charisme et ce qui avant nous amusait, comme le fait de ne jamais voir sourire une seule fois les personnages, rend tout le monde juste antipathique.

    Mais fort heureusement, succède à l’insipide « Moonrise Kingdom » le magnifique « The Grand Budapest Hotel » qui marque le retour en grâce du réalisateur de Rushmore. Le film explore de nouvelles thématiques, de nouveaux personnages, et introduit avec cette fresque historique de nouveaux enjeux. Le charme et la magie sont revenus. Le miracle opère et on est surpris, ébahi, enchanté de cette façon virevoltante qu’a Wes Anderson de faire danser autant de personnages (ou de marionnettes…), sans jamais s’emmêler dans les fils. La poésie est intacte et la musique d’Alexandre Desplat contribue à la beauté de ce film.

     

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    A croire que Wes Anderson a encore bien des choses à nous raconter et que son coffre à jouets n’est pas vide. Nous avons hâte de découvrir son prochain film actuellement en post production, « The French Dispatch ». Le réalisateur reste unique dans son genre et est sans doute le seul dans sa partie à émerveiller de façon si intime, juste pour nous.

     

     

     

  • Le Wax se raconte dans « Wax. 500 Tissus »

     

     

    Le Wax se raconte à travers ses dessins imprimés sur coton. Et le nom attribué à chaque dessin renvoie à des expressions populaires, à un animal ou encore à un objet du quotidien. C’est la belle histoire que nous narre Anne Grosfilley dans son superbe ouvrage « Wax. 500 tissus ».

     

    A tous ceux qui sont originaires ou qui ont grandi en Afrique de l’Ouest, le terme « Wax » évoquera forcément des souvenirs encore vivaces, chargés de couleurs chaudes et d’histoire… Avec son livre « Wax. 500 Tissus » à paraître aux Editions de La Martinière le 23 mai 2019, Anne Grosfilley nous invite donc à partir à la découverte de cette étoffe emblématique du continent africain, par l’intermédiaire de 500 clichés originaux réunis dans cet ouvrage.

    Car le Wax est bien plus qu’un simple tissu aux dessins étonnants et aux couleurs audacieuses. Ces étoffes ont une histoire, une signification, depuis que les « Mama Benz » (riches commerçantes togolaises) leur ont donné des noms pour mieux les commercialiser. Ce nom, adapté au contexte économique et social local, peut changer suivant que l’on soit en Côte d’Ivoire, au Ghana ou au Bénin.

    Au cœur de polémiques sur l’appropriation culturelle, le Wax est une étoffe hybride dont l’identité est multiple. De l’Indonésie au Ghana en passant par les Pays-Bas, découvrez les différentes vies de ce tissu chatoyant, porté dans la quasi totalité de l’Afrique subsaharienne et depuis peu sur les podiums des défilés parisiens.

    Paris 2017. Stella McCartney crée la polémique en utilisant des tissus Wax pour son défilé lors de la Fashion Week parisienne. Elle est accusée d’appropriation culturelle mais pour l’historienne de l’art Anne-Marie Bouttiaux :

     

    « Ce qui rend ce tissu absolument fascinant est son hybridité, le fait qu’il défie toute possibilité de se voir assigner une identité fixe, pure. Bien plus que le concept d’identité, celui d’identification est à mon sens plus utile pour évoquer ce qui permet à un individu de se positionner, de se définir. Avec le wax, on se trouve face au même entrelacs d’identification multiple selon l’endroit où il est porté et selon le contexte qui le met en scène. »

     

    Originaire d’Indonésie

    Le Wax doit son inspiration au Batik indonésien, inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2009. Selon un procédé ancestral, les Javanais utilisent de la cire pour dessiner des motifs avant de teindre le tissu. La cire est ensuite enlevée à l’eau chaude, laissant apparaître le motif, d’où le nom de Wax (cire en Anglais).

     

    Fabriqué en Europe

    Au milieu du XIXème siècle, les Anglais, mais surtout les Hollandais, ont commencé à copier les tissus Batik produits à Java. Ils les ont manufacturés pour produire plus vite et moins cher et les vendre sur le marché indonésien. Mais les ventes ne suivent pas. Dans les années 1890, les Hollandais de la firme Vlisco s’inspirent alors de motifs africains pour vendre leur tissu en Afrique, via l’actuel Ghana, avec un succès immédiat.

     

    Diffusé en Afrique

    Au début du XXème, le Wax est un produit de luxe, mais dans les années 1950, il est popularisé par les « Mamas Benz ». Ces revendeuses togolaises vont diffuser ces étoffes largement en Afrique de l’Ouest. Comme ce tissu n’est pas lié à une population africaine particulière, tout le monde se l’approprie. Il devient ainsi un tissu panafricain.

    Comme c’était déjà le cas en Indonésie, le Wax est aussi un outil de communication. Les motifs et les teintes ont des significations particulières selon les pays et les circonstances. « Là où un dessin commence à devenir très fort, c’est quand il est toujours utilisé pour la même période ou la même cérémonie. Il y a des dessins au Ghana qui sont utilisés spécifiquement pour les enterrements », explique un responsable de l’entreprise Vlisco au Ghana.

    Dans les années 1960, à l’aube des indépendances, plusieurs pays africains se mettent à produire eux-mêmes du Wax. C’est le cas au Ghana, au Sénégal, au Nigéria et en Côte d’Ivoire. Beaucoup d’usines ont depuis été rachetées.

     

    Produit en Chine

    Dans les années  1990-2000, les « Mamas Benz » et les productions locales sont concurrencées par l’arrivée de Wax « Made in China ». La Chine se met à produire du Wax bon marché. Aujourd’hui la production chinoise représente 90 % du marché du Wax.

     

    Consultante pour des entreprises et des créateurs, Anne Grofilley est lauréate du prix Millenium Award en Angleterre, pour avoir fait découvrir l’Afrique à travers son patrimoine textile. En racontant l’histoire de chaque dessin, cette docteur en anthropologie spécialisée dans le textile et la mode en Afrique explique comment des classiques des années 1920 à 1950 ont pu traverser frontières et décennies afin de séduire aujourd’hui une clientèle parisienne, londonienne, milanaise ou new-yorkaise mais, aussi les créateurs.

    Ainsi, fin avril 2019, Maria Grazia Chiuri faisait appel à elle pour sa collection « Dior Croisière 2020 ». La directrice artistique de Dior a collaboré avec l’entreprise Uniwax, en Côte d’Ivoire, dont le studio a réinterprété deux motifs chers à la maison, donnant lieu à une édition spéciale autour d’un wax 100 % africain (les cotons étant cultivés, filés et imprimés en Afrique).

     

    « Chéri, ne me tourne pas le dos » (1984)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    « Z’yeux voient, bouche dit rien » (2011)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Dans la culture populaire, la tortue terrestre renvoie à la nuit des temps. Les comtes lui prêtent des qualités positives. (1982)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Motif ABC Grafton, Alphabet (1964)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Motif de 1949 dit « Hirondelle », « Fokker ». Au Ghana, il illustre la maxime « même l’argent s’envole »  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Motif « Elégance » (2008)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Motif « Animaux » (1935)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

    Motif dit « Queue de Cheval » (1950)  © Anne Grosfilley « Wax, 500 Tissus »

     

     

    Entre histoires coloniales et appropriations culturelles, découvrez l’histoire du wax, un tissu plus universel qu’on ne le pense…

     

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  • Les Réseaux Sociaux by Hubert

     

     

    Dans ma série de billets d’humeur devenue culte, « Hubert a des p*bip*ains de problèmes dans la vie », je souhaitais aborder aujourd’hui : ceux qui vivent des réseaux sociaux.

     

    Ah, s’esbaudir de ce monde actuel qui n’en finit plus de nous épater et de nous faire rêver… Andy Warhol a dit un jour « A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale ». S’agirait-il de l’ultime représentation de nos vanités, où vont se conjuguer talent pour le néant, savoir-faire du vide et accessoirement délire mégalomaniaque à tendance schizophrénique ? Voici venu le temps des Influenceuses, des YouTubeurs, des rires et des chants. Avec Internet, c’est tous les jours le printemps. C’est l’univers joyeux des ados heureux, des débiles gentils, oui… oui, c’est un paradis…

    Depuis l’avènement de ce que l’on appelle aujourd’hui « La Toile » et l’émergence de toutes ces nouvelles manières de communiquer, avec l’arrivée des smartphones et de leur capacité en perpétuelle évolution, pléthore d’égos ont pu enfin enfler en toute liberté, sans se voir écartés, bâillonnés, censurés. De façon exponentielle, on a vu fleurir comme narcisses au printemps (métaphore consensuelle, plutôt que d’avoir à évoquer des boutons blancs sur le visage puis sur tout le corps, avec du pue et des asticots en prime…), de parfaits inconnus hier qui, du jour au lendemain, ont envahi ces territoires virtuels.

    Les Youtubeur(ses), les Influenceur(ses), se sont donc auto-proclamés un beau matin, à leur réveil, détenteurs de la simple et pure vérité. Ils seraient le fer de lance, l’étendard de toute une génération en parlant uniquement… D’eux, juste d’eux… D’elles, d’eux, ou encore de leur point de vue, Moi, Je… Je, moi… Moi-Je.

    Alors bien-sûr, on peut concevoir différents angles d’attaque pour aborder le « MOI-JE », comme les secrets de beauté, de minceur, le domaine de la mode, le bon vieux coup de gueule sur n’importe quel sujet dont on ignore à peu près tout, des crottes de caniches sur les trottoirs à la dernière collaboration de la marque H&M avec un célèbre styliste. Des critiques de cinéma ou de jeux vidéo, des apprentis-comiques, des divers complotistes aux geeks en tout genre… Une faune sans limite peut désormais s’exprimer sans avoir à demander ni conseil ni autorisation. Se côtoient ainsi l’à peu près comme plus souvent le pire. De Norman à Soral, choisis ton camp, camarade…

    Grâce au nombre de vues de leurs vidéos, les plus suivis vont toucher des émoluments directement de la publicité, qui est venue se coller comme la vérole sur le bas-clergé à cette manne inopinée. Une nouvelle façon de gagner sa vie qui crée tous les jours des vocations dans ce domaine.

    Mais encore faut-il avoir alors quelque chose de vraiment pertinent à déclamer aux autres simples mortels restés dans l’ombre. Les Grecs comme les Romains avaient bien l’Agora ; un lieu purement démocratique où l’on pouvait venir exprimer ce que l’on voulait, mais à visage découvert.

    Je ne parlerais donc pas de tous ceux restés dans l’anonymat feutré, au chaud, qui à chaque seconde rebondissent sur l’actualité ou sur tout ce qui peut défiler sous leurs yeux, avec comme unique but de se défouler et d’afficher leur morgue, leur frustration, leur appétence à la méchanceté et à la bêtise. Les commentaires zélés, qui à base d’émoticons et d’injures, réduisent la parole et le sens du mot débat au rang de celui du plus pathétique des Facebook Lives.

    Pour ce qui est des Influenceuses, elles aussi sorties de nulle part, mais qui grâce au concours des réseaux sociaux (Instagram, Youtube, Facebook, Twitter…), apparaissent tous les jours, telles de futiles speakerines ou des évangélistes galvanisés par la forme de leur nombril, squattant les interfaces pour répandre leur érudition de « Moi-Je ».

    Sur le principe d’une téléboutique achat 2.0, les Influenceuses vantent les mérites de telle crème à se tartiner sur la tronche, du rouge hyper-rouge gloss à tendance poupouf, et divers autres produits de beauté, en n’oubliant surtout pas de bien mettre en avant la marque qui les sponsorise. Se déclinent ainsi sur le même principe, chaussures, sacs à main, chatons broyés au Magimix pour en faire des masques pour la peau, recettes de cuisine…

    Sans aucune expérience, aucune légitimité, toutes ces chères petites têtes à claques revendiquent de façon schizophrénique le fait d’être en mesure de parler à leur génération, car elles en font partie intégrante, tout en flottant à des kilomètres au-dessus, parce que sinon elle n’auraient pas atteint un tel stade de notoriété. Si au tout début, l’entreprise pouvait paraître amusante, ludique, honnête, voire même intéressante, il y a aujourd’hui des litres de lait pour le corps et de parfums rances qui ont coulé sous les ponts…

     

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    Toutes récupérées par des marques prestigieuses et des sponsors, ces Denise Fabre du net ne font plus que rabâcher sur un ton monocorde ce que le marketing leur a donné (ou plutôt offert) à promouvoir. Et c’est sans compter sur les dizaines de milliers de followers qui justifient chaque jour l’utilité de ces petites VRP en herbe des produits Avon (vendus à l’époque en porte à porte), au prix d’une terrible hypertrophie du pouce droit…

    Croulant sous les cadeaux, les invitations aux fashion weeks (pour les plus hype d’entre elles) ou les séjours dans les hôtels les plus prestigieux, ces influenceuses sont devenues les nouvelles icônes de notre époque, qui déclenchent de véritables scènes de guerre à chaque apparition publique. De l’hystérie collective, des hurlements, des évanouissements et des pipis dans la culotte comme s’il en pleuvait…

    … Sans avoir produit le moindre album de musique, écrit le moindre livre, réalisé le plus petit film ou la moindre série TV… Non. Juste un tutoriel, une webcam dans une chambre pour parler d’un dentifrice génial, de la housse protectrice à oreilles de panda pour téléphone ou encore du gel au wasabi pour les fesses. De bien mauvaises langues ajouteraient que la plupart de ces petites écervelées ultra-connectées gonfleraient le nombre de leurs fans en les achetant à des sociétés basées en Chine, spécialisées dans ce domaine.

    Il se trouve que les « Suiveurs » qui nous servent de gosses ont bien souvent le même âge que leur gourou, entre 13 et 25 ans en moyenne. Une grande partie sont d’ailleurs des adolescents qui à priori n’ont pas les ressources suffisantes pour se payer les articles que promeuvent leurs idoles. Eh oui, nous ne vivons pas forcément une période des plus opulentes… Face à ce constat, certaines marques seraient d’ailleurs déjà en train de rétro-pédaler. On aurait ainsi dernièrement vu durant des fashion weeks des Influenceuses se faire refouler des shows. Il en résulte retour à la triste réalité, eau dans le gaz, indigestion de paillettes, humiliation, frustration, ricanements, pleurs… VDM, quoi…

    Et évidemment, nous n’avons ici abordé que le cas de ces Influenceuses qui vantent les mérites de tel ou tel produit, mais qui ont eu l’occasion de l’essayer, qui se sont tout de même documentées ; bref, qui ont un peu bûché le sujet… Car il y a le degré encore inférieur, une sorte d’infini abyssal empli de vide et constellé de fautes de Français…

    Et puis il y a les blogueuses qui ne proposent en pâture rien de plus que leur propre personne. C’est possible ? Oui, bien-sûr. Pour cela, il faudra tout de même posséder au moins un joli petit minois de poupée maquillée comme une voiture volée. Le plus souvent mineures, voici des lolitas qui ne font que nous exposer leur quotidien d’adolescentes incomprises tellement qu’elles sont belles de trois-quarts, tellement qu’elles arborent bien le duck face, tellement qu’elles sont fortes en selfie. Elles peuvent parfois pousser la chansonnette, glousser comme des dindes ou raconter des inepties. Tout ça pour dire, ça fout quand même les jetons.

    Voilà, on en est là…

    Une autre mouvance rencontre également un incroyable succès, érigée en modèle à suivre par des milliers de petites gonzesses et de petits jean-foutre, dans la continuité des émissions « Anges de Marseille » et autres joyeusetés télévisuelles pas du tout vulgaires et vraiment très très, mais alors très enrichissantes.

    Pour cette catégorie-ci, c’est évidemment à la télé-réalité que l’on pense, vous vous souvenez, quand un jour une petite quiche, sans autre attribut que deux magnifiques lobes cervicaux portés hauts comme un étendard et maniant le couteau comme personne, a prononcé cette sentence propulsée depuis au pinacle de la langue de Molière : « Non mais allo quoi… ! ». Bon, la quiche en question, même avec son araignée au plafond, est devenue célèbre et accessoirement millionnaire ; et le but ultime à atteindre pour celles et ceux qui ne peuvent supporter leur existence que par ce prisme déformant et criard. Etrange renversement des valeurs et d’un syncrétisme jusqu’à présent fragile mais qui fonctionnait. Peut-on en rire plutôt que d’en pleurer ? Ok, mais en se bouchant le nez…

    Enfin pour terminer, permettons-nous tout de même de faire un grand écart trivial, et relativiser à défaut de juger, à l’aune d’un monde uniformisé et devenu tartignole. D’un côté, nous avons les sapeurs-pompiers qui sacrifient leur vie aux autres, avec abnégation et sans aucune reconnaissance ni considération en retour. Bon, ne grossissons pas le trait démesurément non plus ; dans certaines banlieues, on leur renvoie quand même des frigos, certes, sur le coin de la tronche depuis les toits…

    Et de l’autre côté, toutes ces créatures bi-dimensionnelles à la réalité aléatoire, mi-humaines, mi-photoshopées, qui se voient offrir des fortunes, de la gloire et tout l’amour de foules finalement pas si sentimentales, qui ont enfoui aux tréfonds d’elles-mêmes leurs dieux originels, leurs rêves et leurs espoirs, pour les remplacer par ces ersatz gonflés à l’hélium. Etre coûte que coûte connu ne serait-ce qu’une minute, reconnu, célébré comme les héros naguère, juste pour un sourire de l’autre, qui pourtant ne signifie plus rien. Ô insondable tristesse…

    Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…