Résultats de recherche pour « Serge Gainsbourg »

  • Serge Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil…

     

     

     

    Derrière cette célèbre adresse du 5 bis Rue de Verneuil à la façade devenue culte se cache l’antre de Serge Gainsbourg. Il y vécut de 1969 jusqu’à sa disparition en 1991. Ce petit hôtel particulier, acheté par l’artiste pour y abriter ses amours clandestins avec Brigitte Bardot, ponctuera ensuite tous les autres moments importants de sa vie, des débuts de son histoire avec Jane Birkin, en passant par la naissance de Charlotte, sa rencontre avec Bambou, jusqu’à la naissance de son fils Lulu…

     

    Cette maison, dont sa fille Charlotte héritera en 1992, n’a pas changé depuis la mort de Serge Gainsbourg. Rien n’a bougé… Comme dans un songe, on y trouve encore le cendrier plein de gitanes, le frigo rempli, les bouteilles de vin entamées… Tony Frank a eu le privilège de fréquenter, dans le cadre de cet écrin exceptionnel, le propriétaire des lieux, qu’il photographia à plusieurs reprises dans son décor favori, dès les débuts de leur rencontre à la fin des années 60.

    Au printemps 2017, plus de 25 ans après la mort de l’artiste, Tony Frank est revenu, non sans une certaine émotion, dans cette demeure si riche en souvenirs, où y plane encore l’ombre de Serge. On y découvre avec surprise que Gainsbourg admirait Marilyn Monroe, on croise l’immense portrait de Bardot, qui lui brisa le cœur avant qu’il ne rencontre Jane… On reconnaît le manuscrit original de La Marseillaise qu’il acheta aux enchères en 1981, et « l’Homme à la Tête de Chou »… Gainsbourg est tombé par hasard sur cette sculpture de Claude Lalanne à la vitrine d’une galerie d’art contemporain. Immédiatement fasciné par l’oeuvre, il l’achètera sur le champ, « cash » comme il se plaisait à le dire non sans une certaine fierté, et la fera livrer chez lui, pour l’installer dans sa cour intérieure.

    Le temps s’est donc arrêté au 5 bis de la Rue de Verneuil… C’est en ce lieu que Serge Gainsbourg a composé ses plus sublimes chansons et a façonné, au fil des années, un univers esthétique unique peuplé de milliers d’objets et de souvenirs. Une fois passée la célèbre façade recouverte de graffitis, et franchie la grille, on entre dans le grand salon tout tapissé de noir. C’est alors que commence la découverte de ce lieu fascinant. Œuvre de décorateur, de collectionneur et d’esthète, l’hôtel particulier de Serge Gainsbourg fut aussi un lieu de vie, et le repaire d’un des créateurs les plus importants du siècle dernier.

    Nous avons choisi de présenter une sélection des clichés de Tony Frank, pris en 1982 comme lors du retour récent du photographe au 5 bis Rue de Verneuil, mêlant ainsi le passé et le présent, le musicien et son ombre qui plane encore sur ce sanctuaire étonnant.

     

    « Voilà, c’est chez moi. Je ne sais pas ce que c’est : un sitting-room, une salle de musique, un bordel, un musée… »

     

    Dès l’entrée dans la maison, par le grand salon au rez-de-chaussée, on est immergé dans l’univers chargé d’objets de Serge. Appuyé sur la cheminée, le portrait grandeur nature de Brigitte Bardot, réalisé par Sam Levin au début des années 60, comptait beaucoup pour Serge. Il ne voulait en aucun cas qu’on le déplace ne serait-ce que de quelques centimètres.

     

     

    Dans l’angle gauche du séjour se trouve le buste de Jane Birkin, sculpté par E. Godard, et un écorché en papier maché grandeur nature dans le style de l’anatomiste Honoré Fragonard. On reconnaît également « l’Homme à la Tête de Chou » de Claude Lalanne créé en 1969. Sur la gauche, un orgue électrique Lowrey de 1980 au-dessus duquel est accroché « The Bishop’s Children », une huile de l’école anglaise du XIXème.

     

     

    Le séjour, toujours… Très complice avec les forces de police, qui le déposaient régulièrement chez lui au petit matin, Serge aimait se faire offrir des insignes, menottes et diverses munitions… au point qu’il s’était constitué une impressionnante collection de plus de 250 pièces ! A gauche, sur la table, on aperçoit une mallette à cocktails, et sur le mur, un article du Journal du Dimanche : « Gainsbourg face au paras ».

     

     

    La cuisine est éclairée par un lustre en bronze doré à riche décor de fleurs et feuilles de liseron en pâte de verre de Murano datant du XIXe. C’est Serge qui avait imaginé ce réfrigérateur dont la porte est en verre. Il trouvait ridicule d’avoir à l’ouvrir sans cesse…

     

     

    Juste derrière la salle de bain, la chambre d’artiste dans toute sa splendeur. Derrière le grand lit, une toile persane imprimée de la fin du XIXe. Un banc en forme de sirène, un paravent d’osier doré et, sur la gauche, un flambeau de bois sculpté à six bras laqué blanc d’origine allemande. Au pied du lit, une paire de Repetto blanches.

     

     

    Serge Gainsbourg chez lui le 15 Avril 1982.

     

     

    Gainsbourg sur son lit, entouré de quelques-uns de ses albums souvent illustrés par des photos de Tony Frank, en 1979.

     

     

    Retour dans le salon… Quel musicien n’a pas rêvé un jour de posséder un Rhodes Seventy Three, piano électrique d’une qualité sonore exceptionnelle ! Sur la droite, un pan entier de mur est réservé à des articles de journaux consacrés à la chanson « Je t’aime moi non plus » sortie en 1968.

     

     

    Serge Gainsbourg chez lui à côté de « l’Homme à la Tête de Chou » le 15 Avril 1982.

     

     

    Serge Gainsbourg à table dans sa cuisine, en 1982

     

     

    Serge Gainsbourg chez lui, jouant avec une marionnette à son effigie, en 1982.

     

     

    Serge Gainsbourg en blazer, avec son insigne des parachutistes.

     

     

    La Galerie de l’Instant nous permet donc de nous immiscer dans l’intimité du dandy au fil des photographies de Tony Frank. Une exposition nostalgique et poignante, qui raconte en images le quotidien de Serge Gainsbourg et de sa famille. Les gitanes s’entassent dans le cendrier, les bouteilles de rouge sont à moitié vides, le piano est ouvert, prêt à accueillir de nouvelles mélodies… Du grand salon illuminé par le portrait de Brigitte Bardot à la chambre de style persan où l’on aperçoit les Zizi blanches au pied du lit, en passant par le séjour rempli de vinyls et de beaux souvenirs qui prêtent à l’anecdote, la maison de Serge Gainsbourg semble encore habitée par sa présence magnétique.

    Sur son trône en velours dans l’entrée ou allongé sur le tapis d’Orient de sa chambre, entouré de marionnettes à son effigie, de poupées de porcelaine, le dandy se prête au jeu, avec malice et tendresse. Et pour un instant, ce lieu nous devient familier, porteur de tant de fantasmes et de légendes.

    En février 2018, Charlotte Gainsbourg relançait sur France Inter l’idée d’ouvrir au public le sanctuaire de son père, à l’exception de la chambre à coucher. L’actrice y est d’ailleurs retournée récemment pour tourner le clip de « Lying With You », extrait de son album « Rest » paru en novembre 2017, chanson dans laquelle elle s’adresse à lui. Mais ce musée est un serpent de mer… Charlotte Gainsbourg en avait déjà parlé au Monde en 2007 en évoquant un projet de l’architecte Jean Nouvel : « depuis quinze ans, nous y songeons ».

     

    [youtube id= »g7b6J63QHXM » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « 5 bis rue Verneuil, photographies de Tony Frank », du 29 mars au 10 juin 2018 à la Galerie de l’Instant, 46 Rue de Poitou, 75003 Paris

    Crédit photo : Serge Gainsbourg, 5 bis rue de Verneuil © Tony Frank

     

    [ultimate_google_map width= »100% » height= »300px » map_type= »ROADMAP » lat= »48.857138″ lng= »2.331635″ zoom= »15″ scrollwheel= » » infowindow_open= »infowindow_open_value » marker_icon= »default » streetviewcontrol= »false » maptypecontrol= »false » pancontrol= »false » zoomcontrol= »false » zoomcontrolsize= »SMALL » top_margin= »page_margin_top » map_override= »0″][/ultimate_google_map]

     

     

     

  • De Gainsbourg à Gainsbarre : seul l’amour est un art

     

     

    Serge Gainsbourg est un monde à lui tout seul, un concept. Une immensité aussi grande que contrastée. C’est un océan puissant, profond et tour à tour sombre, étincelant, élégiaque ou vociférant, en fonction des flux et reflux du temps. Et la lune, maîtresse argentée, l’a souvent brinquebalé, en yo-yo schizophrénique.

     

    Capable de composer des chansons aux mélodies sublimes et aux textes ciselés comme de sorties publiques plus problématiques, Serge Gainsbourg était ce Docteur Jekyll et Mister Hyde soumis à l’astrologie et aux femmes, esclave de son signe zodiacal et de son thème astral. Ses frasques et ses attitudes sont aussi célèbres que ses chansons. Gainsbourg était bélier ascendant poisson, l’eau et le feu. Il a véhiculé, tout au long de ces trente années passées sous les feux de la célébrité, autant de paradoxes, d’excès et de fulgurances, dans le seul but de se construire un personnage de légende ; plus qu’une carrière, une épopée.

     

    « Je t’aime et je crains de m’égarer et je sème des grains de pavot sur le pavé de l’anamour. »

     

    Peintre et romancier avorté, nourri de poésie et de littérature du 19ème siècle, Gainsbourg voue un culte et une obsession à Rimbaud, Musset, Baudelaire, Edgar Alan Poe, et chez les écrivains, à Oscar WildeLe Portrait de Dorian Gray ») ou Benjamin ConstantAdolphe ») ; mais surtout à sa bible absolue, la matrice de toute son œuvre et de ses pulsions, « A Rebours » de Joris-Karl Huysmans. Et c’est ainsi qu’il deviendra ce dandy flamboyant, cynique et passablement méchant, qui jette sur le monde un regard désinvolte.

     

    « Ce mortel ennui qui me vient quand je suis avec toi… »

     

    Vous ne lui trouverez pas d’équivalent créatif et artistique dans le reste du paysage musical et lexical. Sans le savoir, Gainsbourg a su remixer avant l’heure Brahms, Chopin, Beethoven, Schumann, Khatchaturian, Sibelius, Dvořák, pour reprendre ces mélodies appartenant à l’inconscient collectif et leur apporter sa prose et ses humeurs.

    Ce fils de parents juifs russes ayant fui le communisme n’aura jamais autant rendu leurs lettres de noblesse à la langue française comme à ces illustres compositeurs. Et ce qu’il aura raté ou perdu dans la peinture, il le retrouvera dans la musique et la chanson, qu’il appelait pourtant un art mineur.

    Plus encore que ses quelques percées dans la réalisation pour le cinéma ou la publicité, il composera également des musiques de films (« La Horse », « Ce Sacré Grand-Père », « Je T’aime Moi Non Plus », « Mister Freedom », « Slogan », « Cannabis », « Manon 70 »…), en leur apportant une plus-value indéniable, tant en termes de qualité que d’émotion, qui transcenderont les longs-métrages eux-mêmes. Des mélodies, des sonorités à la modernité évidente, qui se dissocient instantanément des images et dont on se souvient encore aujourd’hui, contrairement aux films qu’elles habillèrent…

    De la fin des années 50 jusqu’au début des années 90, le petit Lucien Ginsburg, qui deviendra tour à tour Serge Gainsbourg puis Gainsbarre, en une lente et sinueuse métamorphose, nous aura gratifié d’une œuvre himalayesque. Ce petit garçon juif arborant fièrement son étoile jaune comme on porte une étoile de shérif, sans doute déjà enclin à l’anti-conformisme et avec sa vision du monde toute personnelle, cet enfant malingre aux oreilles décollées, transportera longtemps une pelletée de complexes. Se sachant laid ou pensant l’être, il cultivera toute sa vie un art de la provocation et du bon mot, quitte parfois à être méchant en blessant les autres.

     

    [youtube id= »8TF2YNbDyb8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Telle la petite chenille, il a commencé simple pianiste sous la houlette de Boris Vian, puis s’est déployé comme un papillon noir et or. Son œuvre n’a eu de cesse que de croître, à raison de tubes incontournables et de chansons inoubliables. Il fut toujours à la recherche de collaborateurs rares et talentueux, entre Alain Goraguer pour la patte jazzy, Michel Colombier et l’avènement pop, Jean-Claude Vannier pour les expérimentations psychédéliques ou Jean-Pierre Sabard pour des sons plus « FM ». Autant d’inspirations et de rencontres, pour mieux créer encore et canaliser toute cette passion, ce sacerdoce imposé par une exigence sans limite. Ces arrangeurs ont servi les créations de Gainsbourg comme des écrins et les diamants qu’ils renferment.

    Chaque décennie recèle un ton et évoque un univers bien défini, où Serge surfe allègrement sur les genres et les attentes, pour dépasser aussi les lignes imposées par l’époque. Il ne veut pas simplement se contenter de recracher de petites chansons à succès, bien sages, à l’image d’un Claude François, car son objectif ultime est de sublimer le moment et s’inscrire toujours, à la manière d’un Ronsard, d’un Baudelaire, dans un(e) geste définitif(ve).

    Ces volutes Gitanes, la fragrance Van Cleef & Arpels, cette verve au débit saccadé et narquois, ont séduit les plus belles femmes. Et il en a fait chanter plus d’une… Blondes, brunes, rousses, elles se sont toutes bousculées pour venir roucouler les mots que Gainsbourg leur sculptait sur mesure, tel un Michel-Ange torturé, fougueux et génial. Certaines sont restées plus longtemps que d’autres, avec ce privilège d’être dans l’intimité de l’homme à la Rolls Royce, comme un collier de perles qu’on ne quitte jamais, même pour dormir. Bardot, Gréco, Deneuve, Bambou

    Et puis il eut Jane, à qui l’auteur de « Je t’aime moi non plus » consacra tout un album, « Histoire de Melody Nelson », probablement son chef-d’œuvre. Pour l’ex-épouse du compositeur anglais John Barry, Gainsbourg déploie toute son imagination et écrit ses textes les plus forts, les plus fous, ceux qui donnent l’impression de léviter.

     

    [youtube id= »i1cJEN8xj8M » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Ecoute ma voix, écoute ma prière. Écoute mon cœur qui bat, laisse-toi faire… »

     

    A Jane Birkin, Gainsbourg offre autant de chansons sublimes. Il n’a pas peur de les rendre meilleures, et bien plus encore que celles qu’il se réserve. L’amour rend aveugle. L’amour rend fou. L’amour rend meilleur aussi. Si Serge Gainsbourg ne sait pas dire « je t’aime », parce que tout compte fait, sa pudeur et sa timidité souvent le rongent, il s’emploie par des moyens détournés à déployer sa prose et son lyrisme, pour hurler ses sentiments en des élégies somptueuses et des musiques sophistiquées.

    Il était un poète à fleur de peau qui se cachait derrière la subversion et l’insolence…

    Jane Birkin possède une voix fragile et candide, mais en théorie pas celle conçue pour chanter. Et pourtant, c’est toute l’histoire de la chanson française que cet artiste au physique étrange révolutionne. Les mots collent ici au plus près de la tessiture de la petite Anglaise. Ce sont presque des feulements qui parfois expriment autant de caresses, de désirs et de tristesse. La chanson va devenir intime, tellement proche. Une fois de plus, Gainsbourg étonne, innove. Avec l’élégance dont il s’entoure pourtant et cette manière de ne pas y toucher, il grave tout un répertoire dans le marbre.

    En 1971, sort dans les bacs le nouvel album du propriétaire du 5 bis rue de Verneuil. S’inspirant des riffs langoureux et hypnotiques de Jimi Hendrix, Serge Gainsbourg imagine toute une histoire dans laquelle il décrit un personnage sorti tout droit d’un roman caché de Lewis Caroll. Presque androgyne et encore enfant, Gainsbourg tient la ligne de crête dans ses descriptions, avec des allusions qui aujourd’hui l’enverraient tout droit au tribunal, accusé par nos nouveaux inquisiteurs, serviteurs infatigables de la bien-pensance.

     

    [youtube id= »97ip0sdVN14″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « Comment tu t’appelles ? Melody ! Melody comment ? Melody Nelson ! Melody Nelson a les cheveux rouges et c’est leur couleur naturelle. »

     

    Tout dans ce nouvel opus n’est que somptuosité et magnificence. Avec cette « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg tutoie les astres. Hélas, ces idiots qui constituent le public de l’époque préfèrent se bâfrer de Mike Brant et autres chanteurs bellâtres du moment. C’est un échec commercial et critique cinglant, avec moins de 18.000 copies vendues. Gainsbourg en gardera longtemps une aigreur et une douleur, tel un ulcère. Mais il va prendre sa revanche, à sa façon.

    Avec « L’Homme à Tête de Chou », qui sort cinq ans plus tard, Gainsbourg réitère pourtant avec le principe de l’album-concept. Ce nouvel opus peut s’écouter comme l’autre versant de celui de 71. Une version plus glauque, plus sordide, de cette Melody, être diaphane et fantastique, devenue désormais une simple humaine prénommée Marilou. Une coiffeuse un peu vulgaire et passablement intéressée, qui rend dingue celui qui est tombé en pâmoison sous ses charmes de shampouineuse. Elle le mènera à sa perte, avant que celui-ci, dans un éclair de lucidité, ne lui fasse la peau en lui fracassant le crâne à coup d’extincteur d’incendie.

     

    « … elle a sur le lino, un dernier soubresaut, une ultime secousse.
    J’appuie sur la manette, le corps de Marilou disparaît sous la mousse… »

     

    Gainsbourg aura tout testé, tout tenté, avec des fortunes diverses, même avec deux albums Reggae et un ultime album Funk, très dispensable.

    Si Serge Gainsbourg, à l’instar d’un Gilbert Bécaud, ne tombera jamais dans l’oubli, c’est parce qu’il était habité par l’amour et sa passion des femmes. C’est ce qui reste et qui vibre à chaque nouvelle écoute de son œuvre. Qu’il les chante ou qu’il les ait fait chanter, chacune d’entre elles nous habite et nous subjugue. De la petite chansonnette (« Le Poinçonneur des Lilas », « L’Ami Caouette ») à la définitive (« 69 Année Erotique », « Je suis venu te dire que je m’en vais »), cette précision du mot, cette musique et ses arrangements, alliés à la désinvolture qui le caractérisait, ne peuvent pas nous faire oublier que ce dandy absolu était d’une ultra et hyper-sensibilité qui lui permettait ainsi de voler au-dessus des contingences et des hommes. Son œuvre polymorphe et précieuse s’enracine dans notre culture. On a chacun une chanson, un air, une phrase, une rime, de celui qui fumait des Gitanes lorsque Dieu, lui, préférait les Havane.

     

    « Sorry angel, sorry so, c’est moi qui t’ai suicidée mon amour, moi qui t’ai ouvert les veines.
    Je sais maintenant tu es avec les anges pour toujours, pour toujours et à jamais. »

     

     

     

  • 1979, l’année qui changea le monde, Episode 16 : La Marseillaise by Gainsbourg

     

    [kleo_pin type= »circle » left= »yes » right= » » top= » » bottom= » »]          « FOCUS » : un article de fond sur un thème que nos rédacteurs ont sélectionné.

     

     

    L’année 1979 est définitivement une année-charnière, comme la fin d’un cycle. Elle scelle le sort des dernières utopies. Le monde prend une pelle et enterre à la hâte les cadavres encore fumants de nos illusions perdues. Après 1979, rien ne sera plus vraiment comme avant…

     

    Coincée à la fin d’une décennie qui paraît un peu creuse, durant laquelle les dirigeants politiques semblent manquer de charisme (le pâle Carter face au cowboy médiatique Reagan, VGE après De Gaulle et Pompidou), l’année 1979 n’attire décidément pas les flashes. Et pourtant… Que d’événements considérables ont eu lieu cette année-là, autant de tremblements qui ont marqué la face du monde et dont on ressent encore les répliques quarante ans plus tard.

    Révolution iranienne, arrivée de Saddam Hussein au pouvoir en Irak, début de la Guerre d’Afghanistan qui mènera à la chute de l’URSS et à l’apparition du terrorisme islamiste, second choc pétrolier et crise économique mondiale, paix entre Israël et l’Egypte, fin des Khmers Rouges… Il n’est pas insensé de penser que 1979 a en réalité été l’année la plus importante de l’après-Seconde Guerre Mondiale.

     

    Nous ne pouvions pas quitter cette année 1979 sans évoquer la Marseillaise version Reggae de Serge Gainsbourg… Parti à Kingston pour enregistrer son album « Aux Armes et Caetera » avec les plus grands musiciens jamaïcains, le chanteur français en rapporte un scandale fondateur.

     

    Ça n’est plus une offense que de passer en 2019 la Marseillaise Reggae de Serge Gainsbourg sur les ondes du service public. 40 ans après l’affaire « Aux Armes et Caetera », les passions se sont apaisées et ce bon Gainsbarre est désormais célébré jusqu’au sommet de l’état comme l’un des plus géniaux représentants de notre culture populaire. Si nous parlons aujourd’hui de cet enregistrement qui fit scandale en 1979, c’est justement pour tenter d’aller un peu plus loin que les grandes pétitions de principe qui, d’un bord et de l’autre, s’affrontèrent à l’époque.

    Une première remarque, tout d’abord : en 1979, lorsqu’il part à Kingston, en Jamaïque, enregistrer cet album reggae qui va véritablement révolutionner sa carrière, Serge Gainsbourg n’a guère connu le succès auparavant. En fait, à deux reprises uniquement. Une première fois, en 1969, avec « Je t’aime moi non plus » et une seconde fois en 1978 avec « Sea, Sex and Sun », 45T qui fut l’un des tubes de cet été-là.

    À l’époque où Serge Gainsbourg décide d’enregistrer « Aux Armes et Caetera », sa cote d’amour navigue donc à marée basse et ses derniers disques – « Rock Around the Bunker », « L’Homme à Tête de Chou » – furent autant d’échecs commerciaux. Seule sa maison de disques Philips semble encore croire en lui en tant qu’interprète.

    Et les musiciens qu’il va rencontrer en Jamaïque, Sly Dunbar, Robbie Shakespeare et quelques autres légendes du reggae, ne connaissent en fait rien de Serge Gainsbourg, si ce n’est cela… Eh oui, toujours « Je t’aime moi non plus », ici dans une version quelque peu salace du jamaïcain Judge Dread datée de 1974. Car « Je t’aime moi non plus » est la seule chanson de Gainsbourg qui ait traversé l’Atlantique en 1979…

     

    [youtube id= »nw8yc_OeON0″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Mais Gainsbourg, avec sa Marseillaise version Reggae, va aussi enseigner aux Français quelques singularités de leur hymne national. Par exemple, le dernier couplet de son « Aux Armes et Caetera »… Il n’est en fait pas de Rouget de Lisle, mais de l’abbé Antoine Pessonneaux, professeur de rhétorique à Vienne en 1792. L’abbé qui écrit ce que l’on appelle « le couplet des enfants », que Gainsbourg a réappris à des millions de Français.

     

    « Nous entrerons dans la carrière

    Quand nos aînés n’y seront plus

    Nous y trouverons leur poussière

    Et la trace de leurs vertus »

     

    D’ailleurs, lors de sa dernière tournée en 1988, Gainsbourg choisira de chanter encore un autre couplet à la fin de sa Marseillaise. Un couplet beaucoup plus patriotique, au premier degré.

     

    « Tout est soldat pour vous combattre,

    S’ils tombent, nos jeunes héros,

    La terre en produit de nouveaux,

    Contre vous tout prêts à se battre ! »

     

    [youtube id= »tU1kWOgqiYw » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Mais il est vrai que Gainsbourg n’avait jamais exprimé de sentiments particulièrement opposés à la Nation Française en tant que telle, et appelons un chat un chat, il a toujours apprécié la fréquentation des militaires ou des policiers.

    Son anti-communisme était d’une virulence assez forte pour qu’il ne méfie pas assez des militaires… Et a-t-on vraiment prêté attention à ce qu’il dit au moment du célèbre incident de Strasbourg ? Cherchez bien, vous vous souvenez ? Les paras qui veulent empêcher le concert d’avoir lieu, les musiciens jamaïcains qui refusent de monter sur scène, Gainsbourg le point levé, et ça donne ça. Gainsbourg l’insoumis, le vrai, pas à la mode mélanchoniste…

     

    [youtube id= »BwSWf3Ny0Dc » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Etats-Unis, Gabon, Bahamas… Serge Gainsbourg était autant artiste que voyageur. Les pérégrinations de cet iconoclaste l’ont même mené jusqu’en Jamaïque, La Mecque du renouveau musical. C’est ainsi dans la patrie de Bob Marley que Gainsbourg entre dans sa période Gainsbarre, s’inspirant de la force révolutionnaire et jusqu’au-boutiste du reggae. Un changement de cap symbolisé notamment par le fameux scandale de La Marseillaise… Retour sur la genèse du concert où Gainsbourg mit les « paras au pas ».

     

    [youtube id= »87W_Th08O_c » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « C’était mon époque reggae, j’en avais marre de Londres, je suis parti après la mort des Sex Pistols… je me suis cassé et j’ai pris les musicos de Tosh et la femme de Marley. J’ai fait deux 33T avec eux, le premier à Kingston et le second à Nassau. » (Serge Gainsbourg)

     

    Lorsque Gainsbourg décide avec son producteur Philippe Lerichomme d’aller en Jamaïque, il prend contact avec Chris Blackwell, le boss du label Island Records, pour qu’il lui arrange le coup et lui trouve les meilleurs musiciens de l’île.

    Aujourd’hui, avec le recul, on peut dire que le casting organisé était parfait : Sly Dunbar à la batterie, Robbie Shakespeare à la basse, Robbie Lyn et Ansel Collins aux claviers, Mikey Chung et Dougie Bryan aux guitares, Sticky Thompson aux percussions et les I-Threes (Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt) aux chœurs.

    À signaler également, la présence du très regretté Geoffrey Chung derrière la console pour les prises de sons et le mixage.

     

    « Le reggae me branchait par son côté voyou, contestataire, plus proche de l’Afrique. Mais il y a aussi la religion rasta et le feeling. À cette époque, j’étais très fan du chanteur Leroy Smart. J’étais aussi persuadé que mon phrasé « talk over », parlé plutôt que chanté, allait parfaitement coller aux rythmiques reggae. » (Serge Gainsbourg)

     

    Pourtant, lorsque Serge Gainsbourg débarque dans les studios Dynamic Sound en janvier 1979, l’affaire est loin d’être gagnée : « Le premier jour, j’ai rencontré Robbie qui m’a dit : Je dois te prévenir, je ne parle pas. Donc, silence. Et puis on a dû attendre trois jours Geoffrey qui était à New York. C’était l’angoisse car je ne savais pas avec qui on allait enregistrer. »

    « Finalement, je me suis mis au piano du studio et ça les a snobés. Ils ont compris que j’étais l’auteur de « Je t’aime moi non plus », gros hit en Jamaïque. L’ambiance s’est dégelée. Pourtant, contrairement à ce que j’ai dit à mon label, je suis arrivé en Jamaïque sans avoir écrit un seul texte, j’avais juste les titres des différentes chansons ! Il y a eu d’abord deux jours de rythmique, une demi-journée avec les chœurs et ensuite une nuit blanche à écrire… Le lendemain, j’ai mis presque toutes les voix en boîte. J’ai même refait certaines paroles dans le studio. Tout ou presque a été enregistré en une prise. »

     

    [youtube id= »Wd4qEzNyzmo » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    « J’ai toujours eu une affection pour ce genre de plan, Marley, Tosh, mais sur des harmonies trop sophistiquées, ça ne roule pas. Il faut deux harmonies maximum. Comme « Aux Armes et Caetera » et tout ce que j’ai fait sur mon premier album reggae. Il n’était pas question d’avoir plus de trois, quatre harmonies, c’était pas possible. Et c’est comme ça que ça roule avec les rastas… Shakespeare et Dunbar sont parmi les plus grands, mais ils se sont fait jeter par James Brown, faut pas oublier… parce qu’ils pouvaient pas assurer des harmonies trop… sophistiquées. Sur une ou deux harmonies, ils sont superbes… (il rythme), (rires)… autrement, ça va pas. »

     

    Malgré tout ce qu’a pu vivre Serge auparavant, il est tout de même impressionné par l’ambiance qui règne à Kingston : « faut être cool pour survivre là-bas. Quand on rentrait du studio à une heure du matin, certains coins faisaient vraiment peur. En fait, je ne suis resté qu’une semaine et je n’ai rien vu du reste de l’île. »

     

    Ce qui surprend surtout à l’écoute de l’album « Aux Armes et Caetera », c’est l’adéquation entre les versions instrumentales et la voix de Serge – que les musiciens ont surnommé le « Barry White français » – cette impression de fluidité et de légèreté : rarement la langue de Molière a aussi bien sonné en musique.

    Sur ce 33 tours, Gainsbourg revisite deux de ses anciens titres : « Pauvre Lola » [« Lola Rastaquouère »] et « La Javanaise » [« Javanaise Remake »). On y trouve également une adaptation de « Vieille Canaille », une chanson de 1931. Comme à son habitude, Serge s’amuse sur quelques titres, comme « Les Locataires » : « eau et gaz à tous les étages ». Sans oublier le texte « Brigade des Stups » qui prend tout son sens au pays de la ganja. Mais le reste des paroles est beaucoup plus sérieux, Serge maniant l’ironie et la dérision comme peu d’auteurs ont su le faire avant lui (« Des Laids des Laids », « Pas Long Feu » ou « Daisy Temple »).

    Cet album fait aussi beaucoup parler de lui à cause de la polémique sur sa réinterprétation de l’hymne national en version reggae. Le journaliste du Figaro, Michel Droit, reprochant même à Serge Gainsbourg de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse avec notre hymne national ». On se souvient aussi de son concert à Strasbourg investi par des membres d’une association d’anciens parachutistes qui désapprouvent sa réinterprétation de « La Marseillaise ». Gainsbourg leur répond en chantant l’hymne national a cappella et le poing levé !

    Loin de lui porter ombrage, cette polémique porte le disque, une jeune génération s’entiche des 12 morceaux, et découvre Gainsbourg en même temps que cette musique venue tout droit de Jamaïque, le Reggae. « Aux Armes et Caetera » deviendra le premier album platine de Serge Gainsbourg et connaîtra une suite presque aussi réussie avec « Mauvaises Nouvelles des Etoiles ».

     

    En ce premier jour de l’année 2020, nous sommes ravis de clore ce 40ème anniversaire de l’année 1979 avec Serge Gainsbourg, car quel autre précurseur que lui aurait pu aussi bien symboliser cette année-charnière qui scellait le sort de nos dernières utopies… Après 1979, rien ne fut plus jamais comme avant.

     

    Sources : Musiq XXL / Bertrand Dicale / Sens Critique

     

     

     

  • L’Instant Gainsbourg avec Tony Frank

     

     

    Tony Frank n’est pas un simple photographe de stars. Il a toujours su saisir l’âme des célébrités pour mieux les raconter. En mai 2016, l’artiste s’exposait à la Galerie de l’Instant pour commémorer le 25ème anniversaire de la disparition de Serge Gainsbourg. Par les clichés intimes et léchés de Tony Frank, Gainsbourg n’aura jamais été aussi vivant. « Ça vous étonne, mais c’est comme ça »… Une rencontre suspendue dans le temps et bercée par les notes de Melody Nelson.

     

    Vous présentez jusqu’au 31 mai des clichés de Serge Gainsbourg à la Galerie de l’Instant. Quelle est l’histoire de cette exposition ?

    A l’occasion des 25 ans de la mort de Serge Gainsbourg, j’ai été contacté par de nombreuses galeries afin de lui rendre hommage. Je connais Julia Gragnon depuis très longtemps, elle avait déjà exposé au sein de sa galerie des photographies de Serge Gainsbourg. C’était donc une occasion de se retrouver.

     

     

    Vous l’avez évoqué : nous commémorons cette année les 25 ans de la disparition de Serge Gainsbourg. Comment expliquez-vous qu’il fascine toujours autant aujourd’hui ?

    Je dirais même qu’il fascine encore plus aujourd’hui que par le passé. Je me souviens que lorsque « Melody Nelson » est sorti, nous étions tous comme des fous à l’idée de découvrir cet album-concept. Le disque a cependant été boudé par le public, ce qui a vraiment affecté Gainsbourg. En tant qu’interprète, il a bien marché seulement à la fin de sa carrière. Je me souviens notamment de sa joie quand il est remonté sur scène après plus de dix ans, avec Bijou, le groupe de rock. Ensemble, ils se sont produits au Théâtre Mogador avec une reprise de la chanson « Les Papillons Noirs ». Et j’ai eu la chance d’assister à ce beau moment.

    Aujourd’hui « Melody Nelson » est reconnu comme un album majeur et a influencé de nombreux musiciens comme Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin, les deux membres du groupe Air. Ils l’écoutent religieusement tous les ans ! Serge est également devenu mythique grâce à tous les titres qu’il a écrits pour les autres, et notamment pour les femmes. J’imagine qu’au fil des années, son talent a enfin été reconnu. Le public a compris à quel point il était rock’n’roll, dans le fond…

     

    Parmi les photos mythiques de cette exposition, celle de la pochette du concept-album « Melody Nelson ». Comment s’est déroulé la séance ?

    J’ai l’habitude de discuter avec les artistes avant de réaliser leurs pochettes d’albums. Mais en ce qui concerne « Melody Nelson », je n’en avais aucune idée, même si j’avais entendu quelques bribes lorsque Serge composait l’album à Londres. Il m’a demandé de venir en studio afin de prendre la photo de l’album. Jane Birkin, alors enceinte de trois mois, était seule quand je suis arrivé. Serge était en retard. J’ai donc commencé à tout installer et à faire les premiers réglages sans vraiment savoir ce que cela allait donner. Puis Serge est arrivé : il était parti chercher une perruque car le personnage de Melody, qu’il avait créé, avait les cheveux rouges. J’ai dirigé Jane de manière générale. Serge, lui, savait ce qu’il voulait. La photo est née de cette manière.

     

     

    Quel rapport Serge Gainsbourg avait-il avec la photographie et en particulier vos portraits de lui ?

    Serge adorait l’image. Il a même mis en scène des clips et des moyens métrages. Il a également publié un livre de photos, « Bambou et les Poupées ». Il avait une idée assez précise de ce qu’il voulait et m’a souvent demandé des conseils techniques.

    En ce qui concerne les portraits que j’ai faits de lui, il était en général assez content du résultat, je crois. Certains clichés figuraient d’ailleurs parmi ses préférés. Il me demandait d’immortaliser des moments de vie. Et nous choisissions les photos ensemble.

     

     

    De Frank Zappa à Sammy Davis Junior, en passant par Alain Bashung ou Léo Ferré, vous avez photographié beaucoup de célébrités. Pourquoi avoir choisi de les photographier eux, plutôt que des inconnus ?

    Je ne suis pas fasciné par les célébrités, je n’ai jamais été un fan. J’ai plutôt été ami avec les personnes que je photographiais, sinon je n’aurais pas pu travailler avec eux. Au début, j’ai fait des photos de jazzmen, car j’adorais le jazz. Puis j’ai commencé à photographier les artistes sur scène comme Louis Armstrong, Modern Jazz Quartet ou Gerry Mulligan. J’avais la passion de la photo et de la musique.

    Avec l’arrivée du rock’n’roll, j’ai commencé à sortir au Golf Drouot, fréquenté à l’époque par Johnny Hallyday ou Eddy Mitchell. C’est là que je les ai rencontrés et j’ai commencé à bosser avec eux, puis avec James Brown, les Who… J’ai également travaillé sur les tournages de films où j’ai pu photographier Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo.

     

     

    En plus de cinquante ans de carrière, quelle célébrité auriez-vous aimé immortaliser ?

    Je regrette de ne pas avoir pu photographier Frank Sinatra et Elvis Presley.

     

    Vous êtes également l’auteur de la photo de Michel Polnareff qui a tant fait scandale à l’époque. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette affaire ?

    A l’époque, nous avions fait cette photo comme un gag potache. J’ai été convoqué à la brigade des moeurs et nous avons été condamnés à payer une amende. Je peux vous dire que je n’en menais pas large lorsque j’ai atterri Quai des Orfèvres… Ma photo a été saisie au même titre que de vulgaires magazines pornos, alors qu’elle n’avait rien à voir avec cela.

    Avec le recul, je pense qu’il en faudrait plus aujourd’hui pour choquer les gens. Quand je vois les magazines affichés sur les devantures des kiosques à journaux, je ne trouve d’ailleurs pas toujours cela de bon goût. Je me rends compte aussi que dès que l’on parle de Polnareff, on fait référence à cet épisode, ce qui, à l’époque, avait le don de l’agacer. Aujourd’hui, je crois qu’il est assez content que l’on en parle, finalement.

     

     

    Pour reprendre notre « baseline », en quoi êtes-vous un photographe « not like the others » ?

    Parce que j’ai eu les cheveux longs avant les autres, peut-être… Plus sérieusement, c’est une question difficile. De quels autres parle-t-on ? Je crois que j’ai toujours respecté les gens. J’ai toujours essayé de parler avec eux avant de faire une photo pour savoir dans quel contexte ils vivent, quelles sont leurs racines… j’ai à cœur de ne pas trahir leur esprit. Cette confiance est importante à mes yeux. C’est peut-être ce qui me différencie des autres.

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour Aller Plus Loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size=« large »] Tony Frank Official

    [kleo_icon icon= »link » icon_size=« large »] Tony Frank à la Galerie de l’Instant

     

     

     

  • Happy Birthday, Mr Gainsbourg

     

     

    Le 2 avril 2018, Serge Gainsbourg aurait eu 90 ans. À cette occasion, France 5 diffuse le documentaire « Gainsbourg, Art(s) et Essai(s) » et un coffret de 4 CD accompagnés d’un DVD propose plus de 70 chansons, dont de nombreuses ont été interprétées par d’autres artistes que lui, de Brigitte Bardot à Juliette Greco, en passant évidemment par Jane Birkin.

     

    Serge Gainsbourg fut un artiste surdoué. Un interprète, bien-sûr, mais aussi un auteur : « A l’inverse des autres qui ont des idées que font véhiculer les mots, moi, ce sont des mots que véhiculent les idées ». Et de mots, sa tête de chou en était pleine… Avec presque 500 chansons écrites en trente ans de carrière, Serge Gainsbourg fut un auteur-compositeur prolifique. Il a écrit pour tous les grands noms de la chanson française. Pourtant, en tant qu’interprète, le jeune Lucien Ginsburg connait des débuts mitigés.

     

    [youtube id= »eWkWCFzkOvU » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    « Les premières expériences de scène de Gainsbourg sont désastreuses. Il a trop le trac et incarne un personnage qui ne ressemble en rien à ce qu’est un chanteur normal à l’époque. Ça commence très mal mais il va persévérer. L’enregistrement le plus remarqué du « Poinçonneur des Lilas », ça n’est pas celui de Gainsbourg mais celui des Frères Jacques. » (Bertrand Dicale, auteur de « Tout Gainsbourg » – Editions Jungle)

     

    [youtube id= »uqnews4C0g8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Serge Gainsbourg suit donc le parcours habituel d’un auteur-compositeur à l’époque, qui essaie de percer comme interprète, mais qui reste essentiellement chanté par les autres. Il a alors la chance d’être adoubé par Juliette Greco, qui enregistre ses chansons  et le prend en première partie de ses concerts.

     

    [youtube id= »GEpaVG3As-c » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Une fois le succès obtenu en devenant la plume de Juliette Greco, il va susciter l’engouement de bien d’autres chanteuses.

     

    [youtube id= »tMCfnLAKRl8″ align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Le désir est un thème récurrent dans les textes du grand Serge, mais ce grand timide joue à les faire chanter par des femmes.

     

    « Il aime que des femmes chantent ses mots. C’est ce qu’il fera avec Zizi Jeanmaire, Régine ou Greco, et évidemment France Gall. Mais avant Gainsbourg, jamais un auteur n’aurait écrit ces paroles-là pour une femme. Sauf que lui a osé… Quand il fait chanter à France Gall dans « Poupée de Cire, Poupée de Son » qu’elle n’est qu’une gourde sans cervelle, car c’est ce qu’elle chante dans les faits, il trouve cela beaucoup plus intéressant. » (Bertrand Dicale, auteur de « Tout Gainsbourg » – Editions Jungle)

     

    Gainsbourg est un parolier malin, intelligent. Il ne va pas simplement jouer sur des évidences telles que « amour, toujours, caresse, tendresse », mais il va plus exceller dans l’art de l’écriture que l’on pourrait qualifier de « piégée » : «  Je choisis toujours des rimes en axe, ixe… C’est beaucoup plus difficile. Au départ, je n’ai pas d’idée, mais le mot me donne les idées ».

     

    [arve url= »https://vimeo.com/119921095″ title= »Françoise Hardy : « Comment Te Dire Adieu »  » description= »Dim Dam Dom (1er mars 1969) » align= »center » maxwidth= »900″ sticky_pos= »top-left » loop= »no » muted= »no » /]

     

    Gainsbourg pratique beaucoup le jeu de mots. Souvent, le mot est à double-sens, quand il n’est pas à double-sens sexuel, comme dans « Les Sucettes » en 1966. Et puis, il y a ces chansons magnifiques écrites pour Bardot ou Birkin.

     

    [youtube id= »VPOYtC1n5bE » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Pour les garçons, il est en revanche moins inspiré. Il compose des chansons fortes pour Jacques Dutronc, mais ce ne sont pas des paroles qui mettent en danger l’image ou la posture culturelle de ses interprètes. Cependant, il retrouve parfois cette façon de renverser l’échiquier, avec une chanson comme « Joujou à la casse », un texte dans lequel il fait dire à Alain Chamfort que les petites fans, les filles qui sont amoureuses de lui, il n’en veut plus.

     

    [youtube id= »nJnTP6yeH6w » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    Gainsbourg ne rend pas les armes pour autant et persiste. En 1979, avec son album « Aux Armes et Caetera », il devient enfin un interprète reconnu. Avec le succès, ses collaborations se font de plus en plus rares, même si certaines feront date.

     

    [youtube id= »yu1-ZeQ-leI » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

    A ne pas rater le documentaire « Gainsbourg Art(s) et Essai(s) » dimanche 1er avril à 09h25 sur France 5.

     

     

     

  • Gainsbourg Toujours

     

     

    Il y a vingt-cinq ans disparaissait Serge Gainsbourg. Expos, disques, émissions, il est partout…

     

    A la Mairie du 9ème Arrondissement, où Lucien Ginzburg a passé son enfance, au 11 Rue Chaptal, se tient jusqu’au 10 avril « De Gainsbourg à Gainsbarre », une expo de photos d’Odile Montserrat et Pierre Terrasson, proches de l’artiste. Des clichés intimistes et pour la plupart inédits. Tony Frank, lui, expose à la Galerie de l’Instant, jusqu’au 31 mai, de magnifiques portraits en noir et blanc de Serge, avec ou sans Jane. Du 4 mars au 8 avril 2016, la galerie d’art contemporain HEGOA met en place l’exposition « Gainsbourg Toujours 25 Ans » dans plusieurs lieux de son quartier du Carré Rive Gauche (7ème arrondissement), sous l’égide de Nathalie Atlan Landaburu.

    Côté musique, ça thématise dur chez Mercury / Universal, sa maison de disques, qui réédite l’intégrale de l’artiste, un double DVD de 79 titres et interviews filmées (« D’autres nouvelles des étoiles »), un double CD qui réunit pour la première fois un Best of Gainsbourg et un Best of de ses interprètes (« Gainsbourg & Co »), de Bardot à Paradis, ou encore « London Paris », une compil de ses morceaux les plus pop-psyché des années 60.

    Enfin, l’émission « Monte Le Son » sur France 4 consacrera une soirée spéciale Gainsbourg et Bashung, quant à lui disparu le 14 mars 2009, avec un documentaire diffusé le 16 mars à 22h45, dit par Alain Chamfort, et revenant sur leurs parcours croisés (« Gainsbourg / Bashung : Fantaisie Nelson »). Aux larmes, et caetera…

     

    F.T. pour le Magazine ELLE (11 mars 2016)

     

     

     

  • Gainsbourg et Rouget de l’Isle : Aux armes etc…

     

     

    Le 14 décembre 1981, les feuillets originaux de la Marseillaise rédigés de la main de Rouget de l’Isle et datés de 1783 sont mis en vente à Versailles. Serge Gainsbourg est dans la salle…

     

    Il souhaite se porter acquéreur de ce que Rouget de l’Isle appelait « une de mes vieilles sornettes ». Les enchères s’ouvrent à 40.000 francs. Serge Gainsbourg est assis au premier rang. Il a les cheveux gris mi-longs, porte des lunettes de soleil, un jean, un imperméable beige et tient une cigarette dans la main droite. Il est mal rasé mais porte la cravate, passage obligé pour accéder à la salle de vente.

    Au fur et à mesure que les enchères montent, sa jambe bat le vide. Il enlève l’enchère pour 135 000 francs. Il est heureux, souriant. La salle applaudit. Reste à signer le chèque (avec un simple stylo Bic transparent !) tandis que les flashs crépitent et qu’une autre enchère a déjà démarré. « J’étais prêt à me ruiner » déclare-t-il en quittant la salle sous les huées et les sifflements.

    Sur le manuscrit original, à partir du deuxième refrain, Rouget de l’Isle écrit : « – Aux armes, Citoyens ! etc… ».

     

    [youtube id= »PCxBLfz_CxM » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    Une revanche sur les parachutistes qui avaient chahuté sa Marseillaise version Reggae une année plus tôt ? La chanson « Aux Armes etc », composée en 1979, avait provoqué une vive réaction des militaires à Strasbourg en 1980. Les premiers rangs de la salle sont occupés par des parachutistes qui distribuent des tracts tandis que le chanteur explique au public parfois en larmes que le concert devra être annulé en raison de menaces et d’alertes à la bombe à l’encontre de l’hôtel, mais aussi à cause de la présence de près de 300 parachutistes et de nombreuses forces de l’ordre qui ont fait fuir les musiciens jamaïcains.

    « Je suis un insoumis qui a redonné à la Marseillaise son sens initial » clame-t-il, avant d’entonner a capella le premier couplet de la Marseillaise en version originale, le poing levé. On sent à l’image les regards gênés de ces hommes coiffés d’un béret rouge qui, pris à contre-pied sur leur propre terrain et de manière totalement inattendue, ne savent pas quel comportement adopter. C’est finalement au garde-à-vous qu’ils chanteront aussi. Serge Gainsbourg quitte ensuite la scène en leur adressant un bras d’honneur. Grand Seigneur, il paiera tous les frais d’annulation.

     

     

    [youtube id= »lXoczmKOEWE » align= »center » mode= »normal » maxwidth= »900px »]

     

     

    [kleo_divider type= »full » double= »no » position= »center » text= »Pour aller plus loin » class= » » id= » »]

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= »large »] Gainsbourg.net

     

     

  • Gainsbourg / Vannier | Histoire de Melody Nelson

     

     

    Musicien autodidacte, Jean-Claude Vannier apprend les rudiments de l’orchestration en potassant un « Que sais-je ? »… A l’époque, il est ingénieur du son, notamment pour des musiciens arabes : l’influence de leur musique sera déterminante dans son écriture, en particulier des arrangements de cordes caractéristiques des albums qu’il réalisera par la suite.

     

    En 1971, Jean-Claude Vannier rencontre Serge Gainsbourg, et ils composent ensemble le mythique « Histoire de Melody Nelson ». Cet album est considéré comme le premier concept album français, dans la digne lignée des « Porgy And Bess » de Miles Davis, « Blonde On Blonde » de Bob Dylan, « Pet Sounds » des Beach Boys, « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles ou du fameux « Tommy » des Who.

    Melody Nelson, c’est l’histoire d’une jeune fille aux cheveux rouges, une adorable garçonne âgée d’une quinzaine d’années, percutée au début de l’album par la Rolls Royce Silver Ghost 1910 de Serge Gainsbourg. L’album se referme par la disparition de Melody, dans le crash du Boeing 707 à destination de Sunderland (Cargo Culte).

    A l’occasion de l’enregistrement de cet album « Histoire de Melody Nelson », Gainsbourg abandonne pour la première fois le chant pour ce parlé-chanté narratif qui deviendra par la suite une des marques de fabrique de ses albums ultérieurs. Gainsbourg et Vannier réaliseront ensuite plusieurs musiques de films : « Cannabis », « La Horse », ou encore « Slogan ». Leur collaboration s’achève en 1973 avec le disque de Jane Birkin, « Di Doo Dah », sur lequel Vannier compose plusieurs titres seul.

     

    [vimeo id= »30678737″ align= »center » mode= »normal » autoplay= »no » maxwidth= »900″]

     

     

    Histoire de Melody Nelson
    © 1971 Philips
    Histoire de Melody Nelson (40th Anniversary Deluxe Edition)
    © 2011 Mercury

     

     

     

     

     

  • Projet Musique : Cargo Culte in Tokyo

    Projet Musique : Cargo Culte in Tokyo

    [vc_row inner_container= »yes » text_color= »#000000″ section_type= »main » type= »color » bg_color= »#e8e8e8″ bg_position= »top » bg_position_horizontal= »left » bg_repeat= »no-repeat » bg_cover= »true » bg_attachment= »false » parallax_speed= »0.1″ padding_top= »10″ padding_bottom= »10″ min_height= »0″ border= »bottom » css_animation= »right-to-left » padding_left= »10″ padding_right= »10″ animation= »animate-when-visible »][vc_column width= »1/1″][vc_progress_bar values= »100″ bgcolor= »bar_green » options= »striped » title= »Progression de la collaboration: Terminé » units= »% » custombgcolor= »#547179″][vc_empty_space height= »32px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width= »1/1″][vc_tabs type= »tabs » style= »default »][vc_tab title= »Le Projet collaboratif » tab_id= »1410008861-1-58301e-cdf9361c-873099f7-ead7″ icon= »briefcase »][vc_column_text css_animation= »right-to-left »]

    En novembre 2012, Mona & Co publie sur Soundcloud son morceau Cargo Culte In Tokyo, en hommage au mythique Cargo Culte de monsieur Serge Gainsbourg. En avril 2013, le groupe aixois Nothing But Silence revisite le morceau, en lui apportant ce joli son electro pop bien léché, et très British, qui lui donne un nouveau souffle.

    Un an plus tard, le parisien Elvis Maurice, guitariste du groupe Diskover, nous propose à son tour sa propre relecture du morceau, avec un remix plus destructuré, mais tellement bon…

    A découvrir absolument sur le Ep deux titres Cargo Culte In Tokyo

     

    [soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/89895834″ params= »auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true » width= »100% » height= »450″ iframe= »true » /][/vc_column_text][/vc_tab][vc_tab title= »Les artistes » tab_id= »1410008861-2-51301e-cdf9361c-873099f7-ead7″ icon= »male »][vc_column_text css_animation= »right-to-left »][bc_member size= »25″ name= »chris » fields= »Mon activité artistique principale: »]

    [bc_member size= »25″ name= »nothingbutsilence » fields= »Mon activité artistique principale: »]

    [bc_member size= »25″ name= »elvismaurice » fields= »Mon activité artistique principale: »][/vc_column_text][/vc_tab][vc_tab title= »Actualités » tab_id= »1410009079467-2-10301e-cdf9361c-873099f7-ead7″ icon= »calendar »][vc_column_text css_animation= »right-to-left »][/vc_tab][vc_tab title= »Liens Web » tab_id= »1410009463157-3-8301e-cdf9361c-873099f7-ead7″ icon= »link-ext »][vc_column_text css_animation= »right-to-left »][kleo_icon icon= »link » icon_size= » »] Mona & Co sur Bandcamp

    [kleo_icon icon= »link » icon_size= » »] Nothing but Silence[/vc_column_text][/vc_tab][/vc_tabs][/vc_column][/vc_row][vc_row inner_container= »yes » section_type= »main » bg_position= »top » bg_position_horizontal= »left » bg_repeat= »no-repeat » bg_cover= »true » bg_attachment= »false » parallax_speed= »0.1″ padding_top= »60″ padding_bottom= »60″ min_height= »0″ border= »bottom » css_animation= »right-to-left »][vc_column width= »1/1″][kleo_gap size= »10px »][vc_progress_bar values= »100|Musique, » bgcolor= »bar_blue » title= »Domaine artistique »][/vc_column][/vc_row][vc_row inner_container= »yes » section_type= »main » bg_position= »top » bg_position_horizontal= »left » bg_repeat= »no-repeat » bg_cover= »true » bg_attachment= »false » parallax_speed= »0.1″ padding_top= »60″ padding_bottom= »60″ min_height= »0″ border= »none » css_animation= »right-to-left » text_align= »center »][vc_column width= »1/1″][kleo_gap size= »20px »][/vc_column][/vc_row]

  • Gaspard Proust : Dansons Vite avant l’Apocalypse

     

     

    Gaspard Proust, le maître de l’humour noir, est de retour sur scène pour les ultimes représentations de ce « Nouveau Spectacle ». Son écriture millimétrée, son phrasé subtil et le regard ironique qu’il porte sur le monde qui nous entoure font de lui un humoriste singulier. Impertinent, cynique et corrosif, vous serez sensible à sa plume et à son humour ravageur.

     

    Que n’a-t-on pas entendu sur Gaspard Proust ? Impertinent, cynique, corrosif, brillant… Il se définit d’ailleurs lui-même comme un « cartésien désabusé » ! Une chose est sûre, dès ses premières apparitions sur scène, il a raflé la mise en conquérant un public depuis lors acquis à sa cause, au point de parvenir à devenir incontournable, sans pour autant être vraiment présent médiatiquement. Celui qu’on a longtemps considéré comme le fils spirituel de Pierre Desproges, n’épargnant rien ni personne, décoche des flèches acérées, l’air de rien, avec son allure de dandy désenchanté.

     

    « Gaspard Proust est dérangeant, sans concession, à l’aise plus que jamais dans son rôle de punk en habit de bourgeois. » (Le Monde)

     

    Petit-fils, par son père, d’une rescapée de Ravensbrück et d’un enrôlé de force dans l’armée allemande, Gašper Pust naît et grandit en république socialiste de Slovénie, avant de s’installer, à cause du travail de son père, en Algérie où il vit durant douze ans. Il y fréquente l’école primaire française d’Hydra, dans une atmosphère « à la Camus, mais pour de vrai ».

    En 1994, à la suite des attentats qui secouent Alger, il quitte le pays pour Aix-en-Provence où il finit sa terminale C dans une institution catholique. Il sort diplômé de la Faculté des Hautes Etudes Commerciales de l’Université de Lausanne et devient gestionnaire de fortunes en Suisse en 2000. Mais il réalise vite qu’il s’ennuie, ne voyant pas de finalité intéressante à ce travail qui n’est motivé que par l’argent. Il concède se sentir très loin de ce qu’il est vraiment…

    C’est alors qu’il perçoit un important bonus, qui lui permet de démissionner et de partir s’installer dans les Alpes, à Chamonix, pour s’adonner à sa passion, l’alpinisme. Il se met ensuite à l’écriture de textes humoristiques et débute sur scène en Suisse, puis à Paris.

    A l’instar d’autres humoristes qui se sont frottés à la vraie vie avant d’entrer dans la carrière, l’histoire de Gaspard Proust commence donc par un triple renoncement… Renoncement au socialisme, au passeport français et à la facilité obscène du monde de la finance. Ce qui dénote d’une intelligence vive, alliée à une lucidité implacable et un détachement face au monde qui l’entoure.

    Et c’est probablement la raison pour laquelle Gaspard Proust se permet tout. Ses plus fidèles aficionados savent que soir après soir, il va taper sans distinction aucune sur les hommes, les femmes, les catholiques, les juifs, les musulmans, les bourgeois, les bobos, les Parisiens, les riches, les pauvres, la gauche ou la droite. Ce qui devrait pourtant nous sembler grotesque et pathétique, Gaspard Proust parvient par son humour sans filtre à nous en amuser.

     

    [arve url= »https://www.dailymotion.com/video/x16gt6e » align= »center » title= »Gaspard Proust déclenche un fou rire en imitant François Hollande » description= »Gaspard Proust » maxwidth= »900″ /]

     

    Tout le monde en prend pour son grade, regarde son voisin, se pince pour y croire avant de s’installer dans un rire généreux et essoufflé par la rapidité avec laquelle cette fine gâchette de l’humour lâche ses coups. Gaspard Proust déteste les interviews et ne se sent bien que sur scène, même si ce n’est en fait pas vraiment lui qu’on vient y voir, « mais ce monstre que le public paie pour être dans la surenchère ».

     

    « Sur scène, il règne encore une vraie liberté, pour peu que l’on construise un truc cohérent et que les gens soient avertis de ce qu’ils vont voir. Mais, moi qui viens d’un pays communiste, une société où on doit tout le temps faire attention avant de s’exprimer m’inquiète. De ce point de vue, la France me fait parfois penser à l’ex-Yougoslavie. La seule différence est qu’on ne risque pas d’aller au goulag, mais qu’on risque plutôt une mort sociale. »

     

    Car Gaspard Proust s’agace qu’on ne puisse plus tout dire en France. Et c’est sûrement l’un des derniers humoristes à ne pas trop se brider de ce point de vue-là qui en fait le triste constat… Mais il s’en fout, il n’est pas Français et n’envisage plus de le devenir… « La France, ce n’est pas seulement une vague idée fumant au dessus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Non, la France, c’est une réalité brute, c’est une terre, un peuple, une culture ; bref, un monde, avec sa musique, sa respiration. Tourmentée, diverse, fabuleuse. Mais aujourd’hui, je connais peu de personnes venant des pays de l’Est, et je ne parle même pas de nos amis suisses, qui voudraient du passeport français. Car un pays qui se méprise à ce point, qui s’incline devant tout, n’est plus attirant. Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? Sincèrement, moi, je ne sais plus ». Celui qui se dit qu’aujourd’hui Serge Gainsbourg « ne pourrait sans doute plus écrire une chanson comme « No Comment » », n’est « pas sûr que Voltaire reconnaîtrait son pays ».

    Alors, pour combattre ce recul de la liberté d’expression, il opte pour le « naturel ». Pour l’instant, il est l’un des rares humoristes à remplir encore les salles, mais il assure que le jour où ça ne marchera plus, « il y aura toujours quelque chose à en apprendre. Je ne recherche pas d’exposition ». Lui préfère compter sur le bouche-à-oreille pour gagner sa vie plutôt que « d’aller me vendre dans des émissions en disant : « Venez, c’est formidable ». Ce n’est pas dans ma nature ».

     

    [arve url= »https://vimeo.com/233271093″ align= »center » title= »Bande-Annonce du « Nouveau Spectacle » de Gaspard Proust » description= »Gaspard Proust » maxwidth= »900″ /]

     

     

    Loin des promos fracassantes, des affiches provocantes, des fixettes pathologiques d’humoriste engagé pétant dans la soie à la Christophe Alévêque ou des interviews larmoyantes façon Stéphane Guillon, vous savez, le gars né à Neuilly, qui critique tout mais qui court les plateaux télé pour expliquer tellement c’est dur de se faire licencier, Gaspard Proust est devenu un véritable phénomène. Son « Nouveau Spectacle », inauguré à la Comédie des Champs-Élysées fin 2016, a déjà attiré 300.000 spectateurs en 450 représentations.

    De retour Avenue Montaigne depuis octobre 2019, le comédien fait salle comble et annonçait au Point en novembre qu’il prolongeait la dernière version de ce seul-en-scène jusqu’en avril 2020. À l’heure où les humoristes font grise mine, il est l’un des seuls à remplir son théâtre. Et ses fidèles parmi les fidèles savent que, soir après soir, il se renouvelle, refuse les facilités et va déranger…

    Il souffle sur ce « Nouveau Spectacle » un vent de fraîcheur et de cynisme qui égalera, à n’en pas douter, le succès de son précédent spectacle, « Gaspard Proust Tapine ». Et nous pouvons faire confiance à son écriture millimétrée, à son phrasé subtil, au regard ironique qu’il porte sur le monde qui nous entoure. Tiens, si nous l’écoutions quelques instants parler des bobos-écolos Parisiens qu’il affectionne tout particulièrement…

     

    « J’ai bien davantage de respect pour les soixante-huitards qui ont eu les couilles d’aller dans le Larzac pour élever des chèvres. Ils ont eu du bon sens et ont surtout appliqué leur idéologie plutôt que faire des fraises en rooftop. Ce localisme de pacotille me fait doucement rigoler. Je trouve ça grotesque. Et on va nous expliquer que c’est écolo ! Quel rapport véritable à la nature peut-on avoir en vivant à Paris ? Est-ce que ces gens ont regardé une fois avec un œil neutre où ils habitaient ?

    Les écolos-urbains, c’est un oxymore. Ils ne comprennent rien à la nature. Ils pensent que faire de l’écologie, c’est arroser trois carottes qui poussent sous un arbre greffé sur un trottoir de la place Monge dans un atelier « écolo-participatif jardinatoire de vivre-ensemble urbain à composter ». Ils ne savent pas ce que c’est d’aller chercher du bois en forêt, de le couper, d’allumer un feu de cheminée. Ils vivent en apesanteur. Si ce n’était que ça, ça m’irait encore, mais, en plus, ils donnent des leçons de morale aux autres. Je veux bien qu’on m’apprenne la vie quand on la connaît. Faire des pistes cyclables au milieu des voitures : quel intérêt ? Il n’y a que d’un esprit malade que peuvent sortir de telles idées. Et le pire ? On en est fier. Ils font tous la course pour être le plus écolo. Dans quel but ? Transformer Paris en Creuse… Mais, allez-y dans la Creuse ! Allez au bout de votre raisonnement, repeuplez les campagnes ! Il y a l’embarras du choix. »

     

    Gaspard Proust, « Dansons Vite avant l’Apocalypse » !

     

    Comédie des Champs-Elysées, Paris
    Du 19 septembre 2019 au 25 avril 2020
    Durée : 1h30 environ